Corbière le crapaud
Publié le 29/05/2024
Extrait du document
«
Un chant dans une nuit sans air...
La lune plaque en métal clair
Les découpures du vert sombre.
« Le Crapaud »
...
Un chant ; comme un écho, tout vif,
Enterré, là, sous le massif...
- Ça se tait : Viens, c’est là, dans l’ombre...
- Un crapaud ! - Pourquoi cette peur,
Près de moi, ton soldat fidèle !
Vois-le, poète tondu, sans aile,
Rossignol de la boue...
- Horreur ! –
...
Il chante.
- Horreur !! - Horreur pourquoi ?
Vois-tu pas son oeil de lumière...
Non : il s’en va, froid, sous sa pierre.
.....................................................................
Bonsoir - ce crapaud-là c’est moi.
Tristan Corbière, Les Amours jaunes, 1873
Introduction
Tristan Corbière, né à Morlaix en Bretagne, rêvait de devenir marin comme son père, mais il avait une santé
fragile et il meurt avant même d’avoir trente ans : malade, misérable.
Toute sa vie, il se sent incompris.
Il n’a
publié qu’un recueil de poèmes, Les Amours Jaunes, passé inaperçu.
Presque 10 ans après sa mort, c’est le
Paul Verlaine qui le redécouvre : il l’admire immédiatement et le classe dans les Poètes maudits.
« Le crapaud » poème du recueil Les Amours jaunes illustre bien l’expression de « Poète Maudit » : Corbière
y apparaît comme un poète incompris qui représente sa condition à travers la mise en scène d’un crapaud.
Le poème un sonnet, mais un sonnet à l’envers, qui commence par deux tercets, et finit par deux quatrains.
Le poète a toutefois conservé une pointe à la fin : il utilise les traditions poétiques, mais en les détournant
( Une quinzaine d’années plus tôt, Victor Hugo avait écrit un poème « Le Crapaud », dans sa Légende des Siècles.
Mais c’était
pratiquement une fable, très longue, en alexandrins, avec un ton sérieux et une longue morale.
Ici, Corbière s’affranchit pas de la
tradition, il la détourne pour mieux montrer son ironie : son crapaud, contrairement à celui de Hugo, ne sera pas moralisateur ).
Lecture
Construction du texte
…….
- -
[…]
Premier mouvement : vers 1 à 6 : Un lyrisme dégradé
Deuxième mouvement : vers 7 à 10 :Une esthétique paradoxale
Troisième mouvement : vers 11 à 14 : Le poète fatalement incompris
Le titre
Le Crapaud, c’est le poème lui-même, avec son apparence toute biscornue.
Et le poème est à l’image du poète
qui l’écrit.
Corbière ne se considère pas comme un grand poète comme Hugo par exemple.
Premier mouvement : les 2 tercets
Un chant dans une nuit sans air…
– La lune plaque en métal clair
Les découpures du vert sombre.
Dès les premiers vers, on est placé dans un cadre romantique : on se trouve une nuit d’été, « sans air » où « la
lune » éclaire de façon assez vive un espace naturel aux teintes d’un « vert sombre », où se trouve également
« le massif » vers 5.
C’est un cadre classique, presque stéréotypé pour une promenade romantique.
Mais le lyrisme est tout de suite dégradé :(normalement, le paysage naturel entre en écho avec les émotions
du poète, mais ici :
Le chant est comme enfermé, avec la préposition « dans ».
C’est une métaphore : la nuit est comparée
à une boîte, elle enferme le chant.
polysémie du mot « air », qui a plusieurs sens.
Une nuit sans air, c’est une nuit étouffante, mais aussi
une nuit sans musique.
Le vers commence avec un chant et se termine sans air, c’est une antithèse.
« la lune » est réduite à une « plaque en métal clair ».
La végétation est comme « découpée » : ces éléments n’ont plus rien de naturel, plus de conjonction
possible avec les émotions du poète.
polysémie aussi du mot « vert » utilisé comme nom commun : à la fois la couleur, et le verre
( homophone)La végétation est comme du verre découpé, tranchant.
paysage est mis en place, mais de façon très lacunaire, ce ne sont que des phrases nominales, sans
verbe conjugué
Du coup, la laideur, la dysharmonie dominent ici, avec des contrastes, des antithèses : clair s’oppose à
sombre, la verdure s’oppose au métal
la présence de la couleur verte à la fin du tercet prépare l’arrivée du crapaud du titre
… Un chant ; comme un écho, tout vif
Enterré, là, sous le massif…
– Ça se tait : Viens, c’est là, dans l’ombre…
la dysharmonie est particulièrement visible dans ce tercet : les phrases sont coupées par des suspensions, des
moments de pause avec de la ponctuation forte ou de simples virgules.
Toujours des contrastes dans ce 2nd tercet :
-
tout « vif », mais pourtant « enterré ».
Un enjambement suggère cet enterrement.
le crapaud est « enterré
», la préposition « sous le massif » est aggravée....
»
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