CONTE et LITTERATURE
Publié le 22/11/2018
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Conte et fiction
Le conte est avant tout un récit non thétique, qui ne pose pas la réalité de ce qu’il représente mais au contraire cherche plus ou moins délibérément à détruire l’« illusion réaliste ». Les formules initiales et finales, essentielles dans la tradition orale, inscrivent d’emblée ces récits sous le signe de la fictivité : « Ceci se passait au temps/Où les poules avaient des dents »; « Voici un conte dans lequel il n’y a pas de mensonge, si ce n’est un petit mot ou deux »; «... Et il se maria avec la Belle aux cheveux d’or. Moi, j’étais à la cuisine avec un beau tablier blanc. Mais j’ai laissé tout brûler, et l’on m’a mise à la porte ».
Ces formules sont beaucoup plus rares en littérature, parce que le sujet même des contes suffit à en accentuer le caractère fictif; en effet, le surnaturel y tourne soit au merveilleux, soit au fantastique, soit encore au surréel, selon le contexte culturel de l’époque.
La typologie du conte dans la tradition orale, qui à première vue peut sembler très hétérogène, reflète bien l’importance primordiale de la fictivité comme caractère distinctif. En effet, la tradition orale, qui distingue soigneusement entre les genres du conte et de la légende — alors que, thématiquement, un conte merveilleux peut nous sembler très proche d’une vie de saint ou de l’histoire de Mélusine, par exemple —, regroupe sous le même vocable les contes merveilleux, les contes facétieux, les contes d'animaux, les histoires d’ogre ou de diable dupé, les « hâbleries » (contes de menterie) et les « randonnées » (histoires énumératives). C’est que le surnaturel de la légende (qu’il s’agisse de saints, de fées ou de génies locaux) et celui des anecdotes ou récits biographiques (loups-garous, revenants, etc.)
CONTE. Attesté dès 1080, le mot dérive de « conter» (du latin computare), « énumérer », puis « énumérer les épisodes d’un récit», d’où «raconter». La réfection savante « compter » ne fut longtemps qu’une variante orthographique, et les deux formes sont employées indifféremment dans les deux sens jusqu’à la fin du xviie siècle. Conformément à son origine populaire, conte, comme conter et conteur, a toujours fait partie du langage courant, d’où son emploi souvent imprécis. Historiquement, le sens du mot a beaucoup varié. Au sens de « récit de choses vraies », il est attesté depuis le XIIe siècle et jusqu’à Malherbe. A la Renaissance, le mot est encore à double sens : « récit de choses vraies », mais aussi « récit de choses inventées », comme le montre une phrase d’Henri Estienne citée par le Dictionnaire de la langue française du xvie siècle de Huguet. En 1694, le Dictionnaire de l'Académie définit le conte comme « narration, récit de quelque aventure, soit vraie, soit fabuleuse, soit sérieuse, soit plaisante » et ajoute : « Il est plus ordinaire pour les fabuleuses et les plaisantes », indiquant par là une transition vers le sens moderne : « récit de faits, d’événements imaginaires, destiné à distraire » (Dictionnaire Robert). L’accent s’est donc progressivement déplacé, et le mot conte, qui désignait d’abord un récit fait dans une situation de communication concrète, orale au départ, en est venu à désigner le récit d’un certain « type d’événements ». Diverses expressions courantes : « conte de bonne femme », « conte à dormir debout », etc., soulignent bien l’élément mensonger, fictif, qui entre dans l’acception du mot à l’époque moderne.
Conte populaire, conte littéraire et nouvelle
En tant que pratique du récit, le conte appartient à la fois à la tradition orale populaire et à la littérature écrite. D’ailleurs, les points communs entre les deux domaines sont innombrables, sans qu’il soit possible, le plus souvent, d’établir s’il s’agit d’influence génétique directe ou de simple appartenance à un fonds thématique commun qui n’est d’ailleurs pas spécifique au conte. Toutefois, la tradition orale définit le conte, en tant que genre, selon des critères qui, par rapport à ceux que retenait la tradition littéraire jusqu’à une période très récente, sont légèrement différents et bien plus précis.
Pour la tradition orale, le conte se distingue nettement des genres thématiquement voisins du « mythe » et de la « légende », d’une part, de l’« anecdote » et du « récit biographique », d’autre part, en ce que les événements qu’il narre sont explicitement présentés comme « fictifs ». L’oralité du récit, pourtant essentielle, n’est pas un critère distinctif pertinent, puisqu’elle est, par définition, commune à tous les genres traditionnels.
En littérature, l’emploi de ce mot n’a jamais obéi à un usage fixe, et le conte en tant que tel n’a pas constitué pour la conscience critique un genre précis, dont on analyse les éléments constitutifs à défaut d’en codifier la production. Tout au plus peut-on déceler une certaine
vision implicite du conte dans l’histoire de la distribution des termes « conte/nouvelle » [voir aussi Nouvelle].
Au Moyen Age, une bonne partie de la littérature est orale, chantée ou récitée; le narrateur — le « conteur »
— est physiquement présent, et conte désigne tout récit d’une aventure, d’une anecdote quelconque. Au xvic siècle, les recueils inspirés de Boccace comprennent presque toujours dans leurs titres le terme nouveau de « nouvelle »; mais le corps du récit témoigne d'une synonymie entre « nouvelle » et « conte » qui prouve le caractère oral prononcé de la nouvelle au xvie siècle. Il n’y a guère de réflexion théorique sur ce conte qu’est la « nouvelle » de la Renaissance, mais les auteurs insistent — abusivement — sur la nouveauté de leurs sujets et, contrairement à Boccace, sur l’authencité des événements qu’ils racontent. Au xviie siècle, les nouvelles se distinguent moins nettement, par le fond et par la forme, des romans, auxquels les théoriciens les rattachent constamment. Ce sont des récits écrits, d’où tout caractère oral a disparu; d’ailleurs, leurs auteurs ne recourent plus jamais à l’association « nouvelle/conte » de leurs prédécesseurs. En revanche, le mot conte apparaît dans les titres de recueils de récits ayant en commun leur caractère merveilleux : Contes de ma mère l’Oye, de Perrault, Contes de fées, de Mme d’Aulnoy; plus tard « contes orientaux », imitant les Contes des Mille et Une Nuits traduits par Galland entre 1704 et 1712.
Au xvme siècle, le terme apparaît dans des récits courts, pas forcément surnaturels, mais qui établissent une certaine distance par rapport à la réalité en raison de leurs intentions didactiques : contes philosophiques de Voltaire, Contes moraux de Marmontel, etc. Bien que les auteurs disposent du terme « conte » pour designer toute forme de récit fantastique, ils le remplacent parfois par le terme de « nouvelle ». Ainsi, le Diable amoureux de Cazotte porte en sous-titre « nouvelle espagnole ». Cette ambiguïté ne fait que s’accentuer au XIXe siècle, âge d’or du récit bref. « Conte » finit par être plus employé que « nouvelle » dans les titres des recueils, même ceux qui ne comportent que des histoires vraisemblables (Contes du lundi, de Daudet, Contes de la chaumière, de Mir-beau, etc.). Il est vrai qu’à cette époque, dans l’esprit des auteurs, les termes « conte » et « nouvelle » ne s’excluent pas. Ainsi, dans sa correspondance, Mérimée qualifie la Vénus d’Ille — ce récit fantastique par excellence
— à la fois de « conte » et de « nouvelle ». Il semble qu’on ait alors affaire à un seul genre, le récit bref, qui peut être sérieux ou plaisant, narrer des événements vraisemblables ou invraisemblables, comporter ou non un narrateur explicite, et qui porte indifféremment le nom de « conte » ou de « nouvelle ». Le xxe siècle voit le retour à un emploi plus rigoureux de ces deux termes, réservant l’appellation de « conte » pour des récits courts, soit merveilleux ou fantastiques, soit facétieux. Sans que l’ambiguïté terminologique ait entièrement disparu, il semble bien que la plupart des auteurs pourraient faire leur cette remarque de Marcel Arland : « Toutes mes nouvelles reposent sur des données véritables ou à tout le moins vraisemblables... J’appellerai “conte” une fiction (assez courte), qui ne se pique pas d’une vraisemblance ou la refuse, qui se propose de surprendre, de déconcerter, etc. » Notons cependant que le Passe-muraille, de Marcel Aymé, porte le sous-titre de nouvelles! En littérature, le conte est donc un genre assez mal défini. Il est d’autant plus circonscrit que la distribution des termes nouvelle et conte est rigoureuse : celle-ci semble reposer implicitement sur l’opposition vraisemblable/non vraisemblable et, dans une mesure bien moindre, sur la notion de contage, c'est-à-dire de narration orale, ou, plus exactement, de ses vestiges dans le texte écrit.
Cette définition du conte littéraire par ses usagers (auteurs et critiques), enfermée qu’elle est dans le champ clos de la littérature, est toutefois beaucoup trop restreinte et n’épuise pas les caractéristiques du genre. D'ailleurs, l’histoire de la littérature montre que tous les textes intitulés « contes » n’en sont pas nécessairement, et que de véritables contes portent parfois un autre titre. Plutôt que par opposition à la nouvelle, genre très mal défini lui aussi, c’est par référence au conte populaire de la tradition orale que le conte littéraire aura quelque chance d’être cerné avec précision.
Le conte littéraire est d’autant plus spécifique qu’il se rapproche davantage du conte populaire oral, genre bien circonscrit, dont l’identité repose sur la conjonction de plusieurs facteurs hétérogènes; c’est un récit oral, à structure archétypale particulièrement contraignante, d’événements fictifs et donnés pour tels, et qui remplit une fonction précise dans une communauté donnée, principalement rurale. Si tous ces caractères sont d’importance égale dans la tradition orale, il n’en va pas de même pour le conte littéraire, qui ne présente souvent que l’un d’entre eux. De plus, fictivité et structure en sont venues à jouer un rôle croissant à mesure que l’oralité s’atténuait. Quant à la fonction sociale, elle se confond avec celle, diffuse, de la littérature dans son ensemble.

«
fiction
(assez courte), qui ne se pique pas d'une vraisem
blance ou la refuse, qui se propose de surprendre, de
déconcerter, etc.» Notons cependant que le Passe
muraille , de Marcel Aymé, porte le sous-titre de nouvel
les! En littérature, le conte est donc un genre assez mal
défini.
Il est d ·autant plus circonscrit que la distribution
des termes nouvelle et conte est rigoureuse : celle-ci
semble reposer implicitement sur l'opposition
vraisemblable/non vraisemblable et, dans une mesure
bien moindre, sur la notion de contage, c'est-à-dire de
narration orale, ou, plus exactement, de ses vestiges dans
le texte écrit.
[Voir aussi NouvELLE].
Cette définition du conte littéraire par ses usagers
(auteurs et critiques), enfermée qu'elle est dans le champ
clos de la littérature, est toutefois beaucoup trop res
treinte et n'épuise pas les caractéristiques du genre.
D'ailleurs, l'histoire de la littérature montre que tous les
textes intitulé� «contes» n'en sont pas nécessairement,
et que de véritables contes portent parfois un autre titre.
Plutôt que par opposition à la nouvelle, genre très mal
défini lui ausst, c'est par référence au conte populaire de
la tradition orale que le conte littéraire aura quelque
chance d'être cerné avec précision.
Le conte littéraire est d'autant plus spécifique qu'il se
rapproche davantage du conte populaire oral, genre bien
circonscrit, d0nt l'identité repose sur la conjonction de
plusieurs facteurs hétérogènes; c'est un récit oral, à
structure archétypale particulièrement contraignante,
d'événements fictifs et donnés pour tels, et qui remplit
une fonction précise dans une communauté donnée, prin
cipalement rurale.
Si tous ces caractères sont d'impor
tance égale dans la tradition orale, il n'en va pas de
même pour le conte littéraire, qui ne présente souvent
que l'un d'entre eux.
De plus, fictivité et structure en
sont venues à jou er un rôle croissant à mesure que l'ora
lité s'atténuait.
Quant à la fonction sociale, elle se
confond avec celle, diffuse, de la littérature dans son
ensemble.
Conte et narration
Jusqu'à une époque récente, la pratique du conte
populaire étaiL une situation de communication concrète,
orale.
Le narrateur était présent et interp ellait l'auditoire,
qui intervenait parfois dans le récit.
Dans les recueils de
contes traditionnels, l'abondance des repères formels de
la voix du conteur témoigne d'ailleurs de la fidélité du
collecteur qui les a notés et publiés.
Il en allait de même
pour les fabliaux médiévaux.
Le jongleur présente
d'abord le conte qu'il va« réciter », dont il est loin d'être
toujours l'auteur: «L'idée m'est venue de "conter"
l'histoire d'un riche vilain ...
>>; «Je voudrais vous
"conter" l'histoire d'une vieille pour vous réjouir>>.
Et
Rutebeuf scande le récit de Frère Denise de divers « Que
pourrais-je vous dire encore? ...
>> « Que me reste-t-il à
vous dire? >>.
De même, les Cent Nouvelles nouvelles,
recueil de contes en prose du xvc siècle qui trouve son
origine dans une réunion de seigneurs de la cour du duc
de Bou rgogne:, a un tour oral très prononcé : le récit est
par sem é de« ·:>r escoutez »,de« que je vous dy >>, etc.
Au
XVIe siècle, Marguerite de Navarre avec 1 'Heptaméron,
Nicolas de Tmyes avec le Grand Parangon des nouvelles
nouvelles placent leurs récits dans un contexte narratif
avoué : réunion de sei gn eurs retenus par le mauvais
temps, qui dé:ident de se « raconter >> des histoires pour
se distr ai re .
Ce caractère essentiellement oral du conte
littéraire français à l'aube de son histoire disparaît pres
que entièrement au XVI� siècle, pour réapparaître avec
force au XIXc.
On peut même se demander si les éditeurs
de Maupassant n'ont pas choisi d'intituler ses récits
« contes et nouvelles » avant tout parce que la moitié
d'entre eux (150 sur 300) sont des histoires « contées ».
C'est
un procédé fréquent à l'époque que de faire narrer
le corps du récit à la première personne par un narrateur
personnage, lui-même mis en scène dans le «cadre>> de
la nouvelle.
Ce procédé est utilisé avec raffinement par
Mérimée dans Lokis.
Maupassant cherche à en épuiser
toutes les ressources d'utilisation, systématisant cinq
modes de présentation : récit à un auditoire d'une aven
ture que le narrateur a vécue ou dont il a été témoin;
rencontre d'un ami, qu'il met au courant de certains
faits de son passé; évocation de souvenirs personnels qui
s'adressent directement au lecteur; récit d'une aventure
apprise par ouï-dire; lettre.
Conte et fiction
Le conte est avant tout un récit non thétique, qui ne
pose pas la réalité de ce qu'il représente mais au
contraire cherche plus ou moins délibérément à détruire
l'« illusion réaliste>>.
Les formules initiales et finales,
essentielles dans la tradition orale, inscrivent d'emblée
ces récits sous le signe de la fictivité : «Ceci se passait
au temps/Où les poules avaient des dents>>; «Voici un
conte dans lequel il n'y a pas de mensonge, si ce n'est
un petit mot ou deux »; « ...
Et il se maria avec la Belle
aux cheveux d'or.
Moi, j'étais à la cuisine avec un beau
tablier blanc.
Mais j'ai laissé tout brOier, et l'on m'a
mise à la porte».
Ces formules sont beaucoup plus rares en littérature,
parce que le suj e t même des contes suffit à en accentuer
le caractère fictif; en effet, Je surnaturel y tourne soit au
merveilleux, soit au fantastique, soit encore au surréel,
selon le contexte culturel de l'époque.
La typologie du conte dans la tradition orale, qui à
première vue peut sembler très hétérogène, reflète bien
l'importance primordiale de la fictivité comme caractère
distinctif.
En effet, la tradition orale, qui distingue soi
gneusement entre les genres du conte et de la légende -
alors que, thématiquement, un conte merveilleux peut
nous sembler très proche d'une vie de saint ou de l'his
toire de Mélusine, par exemple -, regroupe sous le
même vocable les conte s merveilleux, les contes facé
tieux, les contes d'animaux, les histoires d'ogre ou de
diable dupé, les « hâbleries» (contes de menterie) et
les «randonnées >> (histoires énumératives).
C'est que le
surnaturel de la légende (qu'il s'agisse de saints, de fées
ou de génies locaux) et celui des anecdotes ou récits
biographiques (loups-garous, revenants, etc.) sont objet
de croyance, mais que le merveilleux du con te ne 1' est
pas.
Cette distance par rapport à l'illusion réaliste que le
merveilleux installe d'emblée, le conte facétieux la réa
lise par le rire, et le conte d'animaux, paradoxalement,
par le refus du surnaturel : dans la mesure où ces bêtes
ont des caractéristiques uniquement humaines (contraire
ment aux animaux, nombreux, qui sont doués de pou
voirs magiques dans les contes merveilleux), la fictivité
des récits apparaît d'emblée.
Quant aux hâbleries et aux
randonnées, leur aspect ludique prononcé en fait des
récits non thétiques par excellence : le jeu langagier
l'emporte de loin sur l'intérêt narratif d'un récit réduit à
son ossature minimale.
Pour la tradition orale, donc, le
conte repose avant tout sur l'opposition sémantique
« vrai/fictif ».
Pour la tradition littéraire, le critère de fiction ou
plutôt de « fictivité » - toujours valide -s'est légère
ment déplacé vers l'opposition « vraisemblable/non vrai
semblable >>; cela reflète la différence socioculturelle des
publics auxquels les deux traditions furent d'abord desti
nées.
Pour le reste, la typologie du conte littéraire corres
pond, dans les grandes lig ne s, à celle du conte populaire,
avec ses branches principales : le conte facétieux, le
conte merveilleux, et son avatar, qui à bien des points de
vue s'oppose à lui, le conte fantastique..
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