CONDORCET Marie Jean Antoine Nicolas de Caritat, marquis de : sa vie et son oeuvre
Publié le 22/11/2018
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CONDORCET Marie Jean Antoine Nicolas de Caritat, marquis de (1743-1794). Victime de cette Révolution qu’il avait préparée par ses écrits et son action, celui que Michelet appelle « le dernier des philosophes » est aussi un précurseur du xixe siècle et le for-mulateur de l’idéologie du progrès qui, sous des formes diverses, anime les œuvres de Saint-Simon, Comte, Spencer, Proudhon, Marx. Lucide et prophétique, en même temps que nourri d’illusions, Condorcet, encore mal connu, mérite plus que jamais aujourd’hui d'être lu et interrogé.
Issu d’une famille d’ancienne noblesse dauphinoise, le marquis de Condorcet révèle un génie mathématique précoce, qui lui vaut d'être distingué par d’Alembert et Clairaut, et il publie un Essai sur le calcul intégral (1765), «plein d’idées sublimes et fécondes» (Lagrange). Élu à l’Académie des sciences en 1769, il en devient le secrétaire perpétuel en 1773, et les Éloges qu’il prononce des académiciens morts entre 1666 et 1699 constituent une des premières tentatives d’« histoire des sciences » au sens moderne. Très lié au milieu
des encyclopédistes et des physiocrates (d’Alembert, Voltaire, Turgot), il est nommé, en 1775, inspecteur général des monnaies par Turgot, lors du bref passage de ce dernier au ministère. Élu à l’Académie française en 1782, il va prendre une part de plus en plus active dans les campagnes d’idées qui marquent les années précédant la Révolution : lutte pour la tolérance religieuse, dans la tradition de Voltaire, lutte pour la liberté économique, dans le sillage de Turgot, et, de façon plus audacieuse encore, lutte pour la défense des droits de l’homme, l’abolition de l’esclavage des Noirs, l’égalité des femmes. Son mariage avec la jeune, belle et intelligente Sophie de Grouchy (qui deviendra plus tard l’égérie des Idéologues), en 1786, fait de sa maison le lieu de rencontre des meilleurs esprits français et étrangers, Chamfort, Beaumarchais, les futurs révolutionnaires Mirabeau, Cloots et Paine, Beccaria, Adam Smith, Alfieri, Jefferson...
Membre de la municipalité parisienne en 1790, député de Paris à l'Assemblée législative, Condorcet publie, en 1792, cinq Mémoires sur Tinstruction publique et un Rapport et projet de décret sur l'organisation générale de l'instruction publique. Après le 10 août 1792, il se déclare favorable à la République, mais, élu à la Convention, il ne vote pas la mort du roi. Ses amitiés avec les Girondins, les critiques qu’il porte contre la Constitution de l’an I lui valent la haine des Jacobins, qui le font décréter d’accusation en juillet 1793. Il réussit à se cacher, à Paris, pendant huit mois. C’est alors qu’il écrit, sans disposer de ses livres et de ses notes, l’Esquisse d'un tableau historique des progrès de l'esprit humain, qui ne sera publiée qu’en 1795. Obligé de quitter sa retraite, il s’enfuit de Paris. Il est arrêté à Clamart et conduit à la prison de Bourg-l’Égalité (Bourg-la-Reine). Le surlendemain de son arrestation, le 29 mars 1794, on le trouve mort dans sa cellule. Épuisement ou suicide? On ne le saura sans doute jamais.
Condorcet n'est pas seulement un représentant caractéristique du siècle des Lumières, l’héritier de Voltaire, de d’Alembert et de Diderot, il a apporté une contribution originale à l’œuvre de ses amis et inspirateurs. La variété de ses intérêts, qui vont des mathématiques pures et appliquées jusqu’aux questions sociales, politiques et économiques, ne doit pas cacher l’unité de sa pensée. Promouvoir un nouvel ordre dans la société n’est, selon lui, possible que par la constitution d’une nouvelle science de l’homme, individuel et collectif. La science de l’homme individuel existe, depuis Locke et Condillac, mais la science de l’homme collectif ou social est encore à bâtir, et Condorcet veut s’y employer en appliquant à l’étude de la société l’instrument mathématique réservé jusque-là exclusivement à l’étude de la nature. C’est là que les travaux de Condorcet mathématicien sur le calcul des probabilités et la statistique rejoignent les préoccupations du réformateur. L’Essai sur l'application de l'analyse à la probabilité des décisions rendues à la pluralité des voix (1785) établit, de façon très moderne, un modèle théorique de la décision collective. Le Tableau général de la science qui a pour objet l'application du calcul aux sciences politiques et morales (non terminé, 1793) propose une «mathématique sociale» permettant de fonder rationnellement une politique démocratique et d’éliminer les inégalités de richesse, de statut social et d’instruction grâce à l'emploi du calcul statistique dans les phénomènes économiques, sociaux et politiques.
Très en avance sur son temps dans sa conception de la science sociale, Condorcet l’est aussi dans ses idées sur l’organisation du système éducatif. Ses projets d'école publique et indépendante des pouvoirs politique et religieux ne furent pas retenus par les assemblées révolutionnaires, mais ils inspirèrent largement l’œuvre
«
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pédagogique de la m• République à ses débuts.
Cepen
dant le nom de Condorcet reste surtout attaché à l'Es
quisse, qui est le testament intellectuel du xvm• siècle et
le manifeste de l'idéologie du progrès.
Inspirée du
Tableau philosophique des progrès de l'esprit humain
de Turgot (1750), l'Esquisse n'est que l'introduction à
une grande histoire de la science considérée dans ses
rapports avec la société que Condorcet n'eut pas le temps
d'écrire.
Découpée en dix périodes, elle montre l'éman
cipation progressive de l'humanité s'arrachant aux liens
de la dépendance physique et à ceux que l'homme a
suscités lui-même (fanatisme et despotisme).
L'homme
étant, par essence, perfectible de façon indéfinie, les
seuls vrais obstacles à son progrès ne peuvent venir que
de l'ignorance et de la superstition, et ils seront inévita
blement détruits par la marche en avant de la science et
de la technique.
L'optimisme de Condorcet, d'autant
plus émouvant qu'il est celui d'un de ces révolutionnai
res que la Révolution est en train de dévorer, repose
donc sur la conviction que progrès intellectuel et progrès
moral ont toujours marché de pair et qu'ils continueront
de le faire, et sur le postulat que, dans l'avenir, la science
ou mathématique sociale permettra d'assurer le dévelop
pement libre et démocratique des potentialités humaines.
BIBLIOGRAPHIE Œuvres, Paris, Firmin-Didot, 1847-1849 (reprint Frommann,
Stuttgart, 1969); Écrits sur l'instr_uction publique, Paris Edlig,
1989; Esquisse (édition séparée) : Ed.
sociales, Paris, 1966; Vrin,
1970; Garnier-Flammarion, 1987; Moyens d'apprendre à comp
ter sûrement et avec facilité, Paris, ACLE, 1989; Premier
mémoire sur l'instruction publique, Paris, Klincksieck, 1989.
A consulter.
-K.M.
Baker, Condorcet, from Natural Philoso
phy to Social Mathematics, Chicago et Londres, The University
of Chicago Press, 1975.
trad.
fr., Condorcet, raison et politique,
Paris, Hermann, 1988; G.G.
Oranger.
la Mathématique sociale
du marquis de Condorcet, Paris, P.U.F., 1956; C.
Kintzler,
Condorcet.
l'instruction publique et la naissance du citoyen,
Paris, le Sycomore, 1984; E.
et R.
Badinter, Condorcet (1743-
1794).
Un intellectuel en politique, Paris, Fayard, 1988; Colloque
Condorcet.
Mathématicien, économiste, philosophe, homme
politique.
Paris, Minerve, 1989.
A.
PONS ··----
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