CONDILLAC Étienne Bonnot de : sa vie et son oeuvre
Publié le 22/11/2018
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CONDILLAC Étienne Bonnot de (1714-1780). Philosophe, né à Grenoble dans une famille de robe, il emprunta le nom de Condillac à une terre sise près de Romans et achetée par son père en 1720. L’un de ses frères aînés fut l’abbé de Mably.
Après des études chez les jésuites de Lyon, Condillac fut attiré à Paris par Mably, fréquenta le séminaire de Saint-Sulpice, puis la Sorbonne; en 1740, il fut ordonné prêtre. Toute sa vie on l’appellera « l’abbé de Condillac », mais la tradition veut qu’il n’ait célébré qu’une seule fois la messe. Habitué des salons littéraires, il rencontra chez Mme de Tencin Jean-Jacques Rousseau, qui devint son ami et lui fit connaître Diderot. De cette période mondaine datent ses œuvres les plus connues : l'Essai sur l'origine des connaissances humaines (1746); le Traité des systèmes (1749); le Traité des sensations (1754), qui contient l’hypothèse de la « statue » dont M,le Ferrand lui suggéra l’idée; le Traité des animaux (1755). Le succès de la doctrine sensualiste, dont il était devenu le principal théoricien, attira sur lui l’attention de la famille royale. En 1758, Louis XV l’envoya à Parme, en Italie, comme précepteur de son petit-fils l’infant don Ferdinand. L'abbé demeura jusqu’en 1767 auprès de cet élève peu doué, rédigeant son Cours d'études (1775), ouvrage de pédagogie en seize volumes [voir aussi Rhétorique et littérature]. De retour à Paris, il fut élu à l’Académie française (1768), puis se retira à la campagne, près de Beaugency, où il continua à écrire jusqu’à sa mort.
La problématique de Condillac est fondée sur une critique de la métaphysique. Celle-ci ne serait peut-être qu’une querelle de mots, qu’on dissiperait en retraçant l’origine et la génération des concepts : le philosophe anglais Locke (1632-1704) s’était déjà engagé dans une entreprise générative de ce type, définie par Voltaire comme une « histoire » de l’âme; Condillac, lui, sera « le Locke français ». Mais il est aussi un lecteur de Newton, et, à ce titre, son projet est de « rappeler à un seul principe tout ce qui concerne l’entendement humain » (Essai sur l'origine...). Pour « découvrir les erreurs des philosophes » (ibid.), l’archéologie condillacienne remontera donc aux couches les plus profondes du signifié et du signifiant, étudiera leur combinaison et les rattachera à une source commune : l’affectivité.
Renouvelant dans le Traité des sensations l’image de la « page blanche » de Locke, Condillac expose sa doctrine générative en imaginant une statue animée, « organisée intérieurement comme nous » et ayant l’usage de nos cinq sens. Ses premières expériences : des sensations; ensuite, des gestes, des cris, toute une mimique se rapportant aux besoins; enfin, les liaisons qu’elle ne peut manquer d’établir entre ses propres réactions affectives et les signaux envoyés ou reçus. De la combinaison de ces éléments Condillac fait sortir la totalité des facultés de l’âme, « toutes identiques à la faculté de sentir ». La continuité de la transformation n’est jamais brisée, mais la naissance de l’entendement proprement dit date du moment décisif où la liaison entre le signifiant et le signifié devient assez libre et arbitraire pour engendrer le langage. Les ressources infinies de l’expression claire

«
et
de la réflexion abstraite ouvrent alors à 1' esprit humain
les voies de la technique, de la science, de toutes les
connaissances théoriques qui prolifèrent à mesure que
les besoins se multiplient.
«Levier de l'esprit », le langage lui tend aussi ses
pièges.
Tant qu'il reste au service « des besoins de pre
mière nécessité », son bon usage reçoit la sanction de la
réussite pratique.
Mais une double perversion le guette :
«des besoins inutiles et tous plus frivoles les uns que les
autres » peuvent engendrer un langage qui se met à tour
ner en roue libre.
D'où 1' ivresse de la conversation, voire
de la dispute, vains échanges où les mots coupés de tout
signifié s'attribuent abusivement un poids ontologique :
chamaillerie métaphysique qu'une «archéologie du fri
vole» (J.
Derrida) renverrait au néant.
D'où, en contre
partie, l'urgence d'une pédagogie active : tout au long
du Cours d'études, rédigé à la première personne comme
le Traité de�· sensations, l'abbé incarne un dieu
précepteur pla.;é auprès d'un enfant-statue, veillant à ce
que l'expérience sensorielle se formalise utilement et se
garde des« bewins frivoles» et des« notions vagues>>.
Même dévoyée, la parole signale toujours l'apparition
de l'esprit.
Mais un dilemme se pose :ou bien l'abbé se
résigne au dualisme du sensible, l'un humain, l'autre
animal, ou bien sa doctrine bascule dans le matérialisme.
Oui, répond Condillac dans le Traité des animaux,
l'homme appartient bien au «système général qui enve
loppe tous les êtres animés»; mais si l'esprit a fîni par
émerger de la sensation, commune à tous les êtres, c'est
que dès l'origine il s'y trouvait en germe : l'âme, plus
ou moins développée, circule du haut en bas de l'échelle
des espèces; en l'homme seul elle devient parole, voire
parole d'éternité.
Ainsi Descartes et La Mettrie sont-ils
renvoyés dos à dos : pas plus que de l'animal le sensua
lisme de Condillac ne fait de l'homme une« machine >>.
BIBLIOGRAPHIE
Œuvres.- Œuvres philosophiques de Condillac, éd.
G.
Le Roy,
Paris, P.U.F., 1948-1951, avec un index des noms cités et des
notions; Œuvres compl�tes, 8 vo l., Paris, 1821, 1822, Genève,
Slatkine Repri nt>, 1970; la Langue des calculs, éd.
S.
Auroux et
A.-M.
Chou ill et , Lille.
Presses un i v., 1981: les Monades, éd.
L.
Bongie , Studies on Voltaire.
Oxford.
1980: Traité des sensa
tions, Paris, Fay.ud, 1984.
A consulter.
--R.
Lefèvre, Condillac, Paris, Seghers, 1966
(bonne i ntr od uction à l'œuvre, avec des extraits de textes):
J.
Derrida, I'An·héologie du frivole, acc omp ag nant une édition
de l'Essai sur l'origine des con/Ulissances humaines, Pari s, É d.
Galilée, 1973; J.
Sgard .
dir., Condillac et les probl�mes du lan
gage, Genève, Slatkine, 1982..
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