Commentez ces lignes d'André Maurois : «La plupart des écrivains, consciemment ou non, fardent la vie ou la déforment ; les uns parce qu'ils n'osent pas montrer la vanité de tout ce à quoi s'attachent les hommes et eux-mêmes ; les autres parce que leurs propres griefs leur cachent ce qu'il y a, dans le monde, de grandeur et de poésie ; presque tous parce qu'ils n'ont pas la force d'aller au-delà des apparences et de délivrer la beauté captive. Observer ne suffit pas ; il faut pénétrer
Publié le 30/01/2011
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convaincu que Baudelaire de la signification métaphysique du beau a toujours soutenu que l'artiste est l'homme quiaime les bibelots, qui s'attarde longuement à contempler tel objet étrange.
Il écrit par exemple dans son article surConstantin Guys (Le Peintre de la vie moderne, III, Pléiade, Œuvres complètes, t.
II, p.
690-691) : «C'est à cette curiosité profonde et joyeuse qu'il faut attribuer l'oeil fixe et animalement extatique des enfants devant le nouveau, quel qu'il soit, visage ou paysage, lumière, dorure, couleurs, étoffes chatoyantes, enchantement de la beautéembellie par la toilette.
Un de mes amis me disait un jour qu'étant fort petit, il assistait à la toilette de son père, etqu'alors il contemplait, avec une stupeur mêlée de délices, les muscles des bras, les dégradations de couleurs de lapeau nuancée de rose et de jaune, et le réseau bleuâtre des veines.
Le tableau de la vie extérieure le pénétrait déjàde respect et s'emparait de son cerveau.
Déjà la forme l'obsédait et le possédait.
La prédestination montraitprécocement le bout de son nez.
La damnation était faite.
Ai-je besoin de dire que cet enfant est aujourd'hui unpeintre célèbre ?» Les surréalistes ont accordé une grande place à ces objets évocateurs qui se creusent sous leregard de mille significations, pour peu qu'on les ait détournés de leurs fins utilitaires : dans L'Amour fou, 1937 (coll. Folio, pp.
38-57), André Breton montre comment les objets étranges qu'on découvre au Marché aux Puces - parexemple un demi-masque de métal, une cuiller en bois avec un manche muni d'une sorte de petit talon - deviennentsous le regard de concrètes images de nos désirs, jouant ainsi à l'égard de ceux-ci le même rôle libérateur que lerêve.
Pour Breton aussi la beauté est donc prisonnière des choses et destinée à être libérée par notrecontemplation.
Toutefois, comme on vient de le voir, c'est sur la nature de cet au-delà des choses qued'importantes divergences peuvent se manifester entre les artistes : tandis que pour Proust cet au-delà est uninstant d'éternité, il est pour Breton une prise de conscience du désir et donc une invitation à l'action (cf.
Les Vases communicants).
Pour d'autres, plus métaphysiciens, l'au-delà des choses serait carrément un autre monde, un monde des archétypes ou des idées (cf.
Du Bellay, Olive, sonnet 113).
6 Peut-on concevoir des artistes qui voudraient s'en tenir rigoureusement à la surface deschoses ou inversement arriver à un Absolu de beauté sans passer par la contemplation deschoses ? La première attitude est, on le sait, assez répandue dans la littérature actuelle : lechosisme d'un Ponge, l'objectivisme d'un Robbe-Grillet (Ibidem, p.
546) prétendent à un art qui se limiterait à une évocation des objets refusant toute signification profonde.
PourtantRobbe-Grillet reconnaît (par exemple dans l'Introduction de L'Année dernière à Marienbad) que les choses peuvent être le film d'images passées, présentes ou futures qui se dérouledans l'esprit d'un personnage.
On voit dès lors très mal comment les choses necomporteraient pas un certain au-delà de signification.
En tout cas l'obsession d'une imagetelle qu'elle apparaît souvent chez les romanciers du Nouveau Roman n'est pas trèsdifférente de la contemplation proustienne et les «clochers de Martinville» ne semblent guèrerelever d'une esthétique très différente de celle du «Vitrail du meurtrier» dans L'Emploi du temps de Michel Butor.
Quant à l'attitude inverse, celle qui consisterait à tourner le dos aux choses, à se plonger directement dans l'univers intérieur pour rechercher la beauté dans lecoeur mystérieux de l'âme, elle ne semble guère avoir produit de chefs-d'œuvre durables :elle aboutit au vaporeux, au flou qui gâche par exemple tant de poésies de Lamartine, auxlangueurs fades d'un certain symbolisme, aux teintes un peu passées de certaines pièces deMaeterlinck, etc.
Inversement, les poèmes d'un Baudelaire, d'un Rimbaud, d'un Mallarmé,pourtant soucieux, les uns et les autres, d'un Absolu spirituel, gardent pour nous toute leurnetteté parce qu'ils n'ont jamais cherché à escamoter l'objet, au moins sous forme desymbole ou d' «Aboli bibelot d'inanité sonore».
7 Le seul procès qui pourrait être fait à la page de Maurois, et donc à l'esthétique de Proust,pourrait être un procès de tendances.
Cette beauté-révélation, cette beauté-illumination,cette Belle au bois dormant délivrée par l'artiste, voilà qui a des nuances peut-être un peutrop magiques, voire mystiques, aux yeux de certains, qui diront que la beauté n'est pas àrévéler, mais à créer, qu'elle est dans notre lutte contre les choses, qu'elle consiste àtransformer le monde et non à le subir ou à le dévoiler : on reconnaît là les objections d'uneconception marxiste de la littérature et plus généralement de toute critique «engagée».
Ilfaudrait en tenir compte, ne serait-ce que pour les dépasser, ou les intégrer, dans unerédaction complète de cette dissertation sur la place exacte de la Beauté par rapport auxchoses..
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