Commentez ce jugement de Brunetière sur Corneille : Nous n'avons point affaire de lui pour nous apprendre à vivre, mais pour nous habituer au contraire, à placer bien des choses au-dessus de la vie, et pour nous mettre, en quelque manière, dans cet état d'exaltation morale qui devient, avec l'occasion, le principe des grandes actions.
Publié le 15/02/2012
Extrait du document
Ferdinand Brunetière juge les écrivains en fonction de la morale éternelle, dont il s'est constitué le champion dans le domaine des Lettres. Ce mode d'appréciation est favorable à Corneille : « Corneille est plus moral, disait déja La Bruyère, le comparant à Racine. Aussi le grand critique ne lui ménage ni son estime, ni sa sympathie; et ces lignes sont un des plus beaux éloges qui aient été décernés à notre vieux tragique....
«
Don Gormas, dedaigneux, affecte de le traiter en enfant.
Rodrigue bondit,
s'indigne : Qui m'ose titer l'honneur craint de m'oter Id vie?...
Et cet adversaire jaloux, hautain, brutal, qui n'a su sacrifier sa rancceur au
bonheur de sa fine, ne pense pas autrement que don Diegue et Rodrigue en matiere d'honneur.
Le Roi exige qu'il presente des excuses au vieillard
insulte.
Son honneur - un honneur mal compris, vaniteux et aveugle - le
lui interdit.
L'emissaire de don Fernand lui annonce les chatiments royaux,
salaire de ce refus :
Qui ne craint point la mort ne craint pas les menaces...
Et l'on peut me reduire a vivre sans bonheur,
Mais non pas me resoudre a vivre sans honneur!...
Rien a obtenir d'un tel homme, qui met son honneur « au-dessus de la vie ».
Et ce sentiment empeche don Gomez de nous etre entierement antipathique.
Les dernieres paroles qu'il adresse a Rodrigue equivalent a une demi-rehabi-
litation : Viens, to fais ton devoir, et le fils degenere
Qui survit un moment l'honneur de son Ore.
Combien plus eloquent encore est don Diegue, l'offense plein de dignite,
cause involontaire du drame; et comme it nous « exalte », ce noble vieillard!
Tant que son affront n'a point ate lave, la charge si enviee de gouverneur de
l'Infant n'est rien a ses yeux; it ne la merite pas meme :
Ce haut rang n'admet pas un homme sans honneur.
La vie, pour un jeune homme, c'est l'amour; pour l'homme mar, pour le vieil- lard, c'est souvent une ambition realisee.
La sienne kali legitime; it est
arrive au terme.
Apres le choix flatteur du roi, it n'attend plus rien de l'exis-
tence, sinon le bonheur de ses enfants.
Son rave s'ecroule sous le souffiet
du Comte.
Va-t-il chercher a le realiser par des moyens trop habiles, de
lathes concessions? Il ne peut plus exercer ses fonctions; le manage de
Rodrigue et de Chimene, par lui desire autant que la charge de gouverneur,
devient impossible : it sacrifie tout a l'honneur, qu'il faut conte que cofite,
recouvrer.
Pas plus que Rodrigue, tl ne peut « vivre infame ».
Mais le voici
venge.
Va-t-il satisfaire, en egolste, sa juste ambition? Pas davantage.
L'hon-
neur Arend pour lui une seconde forme.
Pour sauver la tete de son fils, it
,offre la sienne :
Il m'a rendu l'honneur, it a tug le Comte...
...Quand le bras a failli, l'on en punit la tete.
La vie, les honneurs ne sont rien pour lui, au prix de Phonneur: Mourant sans dishonneur, je mourrai sans regret.
Telle est la conclusion du sublime plaidoyer oil don Diegue requiert contre
lui-meme!
Horace nous enseigne A placer la patrie au-dessus de la vie.
Lecon plus
admirable, pent-etre, a coup sfir plus pratique que celle du Cid.
Car si l'on
pent aisement se meprendre sur l'honneur, si le cas de Rodrigue est presque
it est impossible de se tromper en repondant a l'appel de la patrie
menacee qui, malheureusement, retentit pour la plupart des generations.
L'Albain Curiace et le jeune Horace, avec des nuances que nous tache-
rons de preciser, nous disent tous deux : quand le pays vous convoque,
si.penible, si perilleuse que soit la tAche, vous devez l'accomplir sans recri-
miner.
Curiace, soldat de Vann& albaine, s'est montre, en guerre,
Aussi bon citoyen que veritable amant...
II se rejouit de la trove qui lui permet de revoir Camille, sa fiancée romaine,
qu'il espere epouser des le lendemain.
II felicite le jeune Horace d'avoir ate
choisi comme champion de Rome.
Mais, sachant la valeur des Horaces, it
tremble pour Albe; et it craint aussi pour les jours de son futur beau-frere.
Quand it apprend que les trois Curiaces ont ate designes pour combattre les
trois Horaces, it accueille sans joie la nouvelle; it repond neanmoins au mes-
sager chargé de renseigner le dictateur albain:
Dis-lui que l'amitie, l'alliance et l'amour
Ne pourront empecher que les trois Curiaces
Ne servent leur pays contre les trois Horaces.
Reponse ferme, oa perce le sentiment du devoir, dresse en face diepou-
Don Gormas, dédaigneux, affecte de le traiter en enfant.
Rodrigue bondit, s'indigne: · Qui m'ose ôter l'honneur craint de m'ôter la· vie? ...
Et cet adversaire jaloux, hautain, brutal, qui n'a su sacrifier sa rancœur au bonheur de sa fille, ne pense pas autrement que don Diègue et Rodrigue en matière d'honneur.
Le Roi exige qu'il présente des excuses au vieillard insulté.
Son honneur - un honneur mal compris, vaniteux et aveugle - le lui interdit.
L'émissaire de don Fernand lui annonce les châtiments royaux, salaire de ce refus :
Qui ne craint point la mort ne craint pas les menaces ...
Et l'on peut me réduire à vivre sans bonheur,
Mais non pas me résOudre à vivre sans honneur! ...
Rien à obtenir d'un tel homme, qui met son honneur « au-dessus de la vie.».
Et ce sentiment empêche don Gomez de nous être entièrement antipathique.
Les dernières paroles qu'il adresse à Rodrigue équivalent à une demi-réhabi litation : Viens, tu fais ton devoir, et le fils dégénère Qui survit un moment à l'honneur de -son père.
Combien plus éloquent encore est don Diègue, l'offensé plein de dignité, cause involontaire du drame; et comme il nous «exalte», ce noble vieillard! Tant que son affront n'a point été lavé, la charge si enviée de gouverneur de l'Infant n'est rien à ses yeux; il ne la mérite pas même : ·
Ce haut rang n'admet pas un homnie sans honneur.
La vie, pour un jeune homme, c'est l'amour; pour l'homme mûr, J?OUr le vieil lard, -c'est -souvent une ambition réalisée.
La sienne était légttime; il est arrivé au terme.
Après le choix flatteur du roi, il n'attend plus rien de l'exis tenc-e, sinon le bon~eur de ses enfants.
Son rêve s'écroule sous le soumet du Comte.
Va-t-il chercher à le réaliser par des moyens trop habiles, de lâches concessions? Il ne peut plus exercer ses fonctions; le mariage de Rodrigue et de Chimène, par lui désiré autant que la charge de gouverneur, devient impossible : il sacrifie -tout à l'honneur, qu'il faut coûte que coûte, recouvrer.
Pas plus que Rodrigue, il ne peut « vivre infâme :..
Mais le voici vengé.
Va-t-il satisfaire, en égoïste, sa· juste ambition? Pas davantage.
L'hon neur prend pour lui une seconde forme.
Pour sauver la tête de son fils, il ,offre la sienne·: · ...
Il m'a rendu l'honneur, il a tué le Comte ...
.
...Quand le bras a failli, l'on en punit la tête.
La vie, les honneurs ne sont rien pour lui, au prix de l'honneùr: Mourant sans déshonneur, je mourrai sans regret.
Telle est la conclusion du sublime plaidoyer où don Diègue requiert contre lui-même! · .
.
.
.
.
..
Horace nous enseigne à placer la patrie au-dessus de la vie.
Leçon plus admirable, peut-être, à coup sûr plus pratique que celle du Cid; Car si l'on peut aisément se méprendre ·sur l'honneur, si le cas de Rodrigue est presque moui, il est impossible de se tromper en répondant à l'appel de la patrie menacée qui, malheureusement, retentit pour la plupart des générations.
L'Albain Curiace et le jeune Horace, avec des nuances que nous tâche rons de préciser, nous disent tous deux : quand le pays vous convoque, si pénible, si périlleuse que soit la tâche, vous devez l'accomplir sans récri miner.
Curiace, soldat de l'armée albaine, s'est montré, en guerre, Aussi bon citoyen que véritable amant...
.
II se réjouit de la trêve qui lui permet de revoir Camille, sa fiancée romaine, qu'il espère épouser dès le lendemain.
Il félicite le jeune Horace d'avoir été choisi comme champion de Rome.
Mais, sachant la valeur des Horaces, il tremble pour Albe; et il craint aussi pour les jours de son futur beau-frère.
'Quand il apprend que les trois Curiaces ont été désignés pour combattre les trois Horaces, il accueille sans joie la nouvelle; il répond néanmoins au mes sager chargé de renseigner le dictateur albain: Dis-lui que l'amitié, l'alliance et l'amour Ne.
pourront empêcher que les trois Curiaces Ne servent leur pays contre les trois Horaces.
Réponse ferme, où perce le -sentiment du devoir, dressé en face d'épou-.
»
↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓
Liens utiles
- Voltaire, vers 1740, définissait le roman « la production d'un esprit faible décrivant avec facilité des choses indignes d'être lues par un esprit sérieux ». — Comment expliquez-vous ce jugement sévère? Montrez, par des exemples, de quelle manière le roman a évolué depuis Prévost jusqu'à Balzac, au point de devenir le genre littéraire le plus compréhensif qui embrasse les diverses formes de la pensée et de la vie humaine.
- Voltaire, vers 1740, définissait le roman « la production d'un esprit faible décrivant avec facilité des choses indignes d'être lues par un esprit sérieux ». Comment expliquez-vous ce jugement sévère ? Montrez, par des exemples, de quelle manière le roman a évolué depuis Prévost jusqu'à Balzac, au point de devenir le genre littéraire le plus compréhensif qui embrasse les diverses formes de la pensée et de la vie humaines.
- Discuter ce jugement de G. Lanson : « Le reproche qu'on pourrait faire à Corneille, ce serait plutôt, tout au contraire de ce qu'on a dit, d'avoir trop exclusivement tiré l'action des caractères : à tel point que sa tragédie a parfois quelque chose de factice, l'air d'un jeu concerté, d'une partie liée et soumise à des conventions préalables. Les personnages ne comptent pas assez avec le hasard et les circonstances... Rien n'intervient qui dérange leur action; et le miracle, précisémen
- En vous appuyant sur tels auteurs que vous voudrez, vous commenterez ce jugement de Brunetière : « La grande originalité, ce n'est pas de tirer quelque chose de sa propre substance, mais bien de mettre aux choses communes sa marque individuelle. »
- « Quand nous avons pratiqué1 les belles conceptions humaines, quand nous avons vécu avec les grandes âmes crées par l'art, ce n'est pas d'un regard morne et d'un cœur dédaigneux que nous retournons vers la vie; au contraire nos cœurs et nos yeux sont avertis et ils discernent mieux les trésors de beauté qui sont dans le monde, les trésors de bonté qui sont dans l'homme. » Commentez, à l'aide d'exemples tirés d'œuvres littéraires empruntées de préférence à divers genres et à diverses ép