Commentaire littéraire: Jorge Semprun L'Ecriture ou la vie
Publié le 25/09/2013
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Lecture analytique Jorge Semprun L'Ecriture ou la vie Jorge Semprun est né le 10 décembre 1923 à Madrid. En 1937, au cours de la guerre d'Espagne, sa famille se réfugie en France. En 1941, il rejoint dans la Résistance l'organisation communiste des Francs Tireurs et Partisans. Il est arrêté par la Gestapo en 1943 et est déporté à Buchenwald jusqu'à la libération du camp en avril 1945. Jorge Semprun écrit plusieurs ouvrages autobiographiques sur son expérience des camps de concentration comme Le Grand Voyage en 1963, Quel beau dimanche en 1980 et L'Ecriture ou la vie en 1994. L'Ecriture ou la vie mêle à la fois le témoignage de l'expérience personnelle et une réflexion sur la difficulté de mettre en mots cette expérience. Notre extrait d'étude se situe au début de l'ouvrage. Nous étudierons comment la littérature peut transmettre l'inimaginable /comment le texte exprime la difficulté à transmettre un témoignage/ la difficulté à pouvoir tout dire. Nous analyserons la valeur du texte tout d'abord comme témoignage, puis comme réflexion sur l'écriture. I)Jorge Semprun livre un témoignage personnel de l'horreur vécue dans le camp de Buchenwald 1) Le texte s'inscrit dans le genre littéraire de l'autobiographie. a) Jorge Semprun s'exprime à la première personne. Il est l'auteur et le narrateur et intervient à ce titre notamment par l'emploi des modalisateurs « certes « (l.1), « opportunément « (l.2), « en somme « (l.36). Il est aussi le personnage, matière du récit, placé au centre du propos, comme « survivant « qui a « mission « de « raconter «. Cette place est appuyée par le pronom personnel tonique « moi « (l.1) et le présentatif « me voici « (l.2). b) Témoigne aussi du genre autobiographique le jeu sur les différents emplois et valeurs des temps. Le présent et futur de l'énonciation « peut-on raconter ? «, « Le pourra-t-on ? « (l.10) renvoient au temps de l'écriture ; le présent de narration « nous sommes le 12 avril 1945 « (...
«
à une humanité à part.
Il est un « revenant », sur lequel la mort a laissé son empreinte.
Les
négations répétées « il ne semble pas que je sois au-delà » (l 71), « revenu dans la vie…Ce
n’est pas évident » ( l.
69), « la sensation …de ne pas avoir échappé à la mort »(l.77), « je
n’avais pas vraiment survécu à la mort » (l.84), « je n’y avais pas échappé » (l.85) …
marquent bien le traumatisme de l’expérience de la mort qui a « transformé »,
« transfiguré » , arrachant l’homme à sa condition ordinaire, le deshumanisant.
Cette
étrangeté est révélée alors par la confrontation avec les officiers qui interrogent, « le
regard épouvanté, presque hostile, méfiant du moins», « silencieux », qui « évitent de
regarder ».
(l.64).
La thématique du regard, reflet de l’âme prend toute sa dimension dans
le constat selon lequel « l’œil horrifié » des officiers est « miroir » et renvoie l’horreur
qui se lit dans le regard du revenant.
La phrase finale de l’extrait, au présent de vérité
générale appuyé par l’adverbe, qui rejette le sujet « cela fait toujours peur, les revenants »
insiste sur la marginalisation du survivant.
c) Enfin l’horreur traumatisante est rendue manifeste par le choix d’une technique
d’écriture : celui du présent de narration pour l’évocation des souvenirs.
Ce présent abolit
la distance entre les faits rapportés et leur récit.
Cinquante ans se sont écoulés, le temps n’a
rien effacé « c’est encore au présent la mort.
Ca se passe sous nos yeux ».
(l.16) La
présence des souvenirs traumatisants est prégnante et si la distanciation par l’humour des
expressions « survivant de service » ou « ces trois zigues », cherche à dédramatiser l’écrit,
elle n’en altère pas la vérité du drame et finalement l’impossibilité de l’oublier.
II) Or Jorge Semprun ne peut alors dissocier la valeur du témoignage de l’horreur, d’ une
réflexion sur la possibilité de mettre en mots c’est à dire de dire et d’écrire cette horreur.
1) Cette réflexion surgit d’ un questionnement qui rend compte d’un doute.
a) Le doute scande le texte à trois reprises (l.11, 22, 61) et s’oppose par trois fois « mais »
(l.10, 57), « pourtant » (l.22) à l’entreprise du récit.
Sa force initiale est marquée par la
mise en page de la remarque en un paragraphe isolé (l.11) et par la mention temporelle
marquant la naissance « dès le premier instant » reprise plus loin par « dès ce premier
instant, cette première rencontre .
» Le futur « le pourra-t-on ? » laisse entendre que le
doute ne pourra être effacé par le temps qui passera.
b) Ce doute est lié au questionnement qui concerne la possibilité de raconter d’une part
mais aussi de faire entendre, imaginer, c'est-à-dire être écouté.
Le questionnement prend
sa force dans l’emploi à cinq reprises de l’interrogation directe.
« Mais peut-on
raconter ? », « Le pourra-t-on ? » etc
2) Est-il possible de raconter l’expérience vécue ?
a) La réponse est positive.
A huit reprises, en anaphore, l’auteur affirme qu’ « on peut
toujours tout dire ».
« La réalité est là (en effet), disponible », « nul besoin d’un effort de
mémoire », « nul besoin non plus d’une documentation », « il n’y a qu’à se laisser aller ».
Jorge Semprun insiste sur la permanence du passé d ans son présent et sait que celui-là est
matière immédiate à l’écriture .
b) La prudence tient alors à la maîtrise de cette écriture qui devra rendre la « substance » et
la « densité » de l’expérience.
Jorge Semprun fait en ce sens confiance à la littérature
« espace de création » qui donnant aux mots force, puissance, est capable de restituer toute
expérience « amour », « mal », « Dieu », « avenir »….
L’art des mots qu’est la littérature
devient ainsi le seul médiateur de l’expérience vécue .
Le texte alors qui s’écrit et joue
des images et procédés littéraires que nous avons cités en est l’immédiate démonstration..
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