Commentaire littéraire Extrait - Livre I (Préambule, p. 43) - Rousseau - Confessions
Publié le 17/10/2013
Extrait du document
« 1. Je forme une entreprise qui n'eut jamais d'exemple et dont l'exécution n'aura point d'imitateur. Je veux montrer à mes semblables un homme dans toute la vérité de la nature ; et cet homme ce sera moi.
2. Moi seul. Je sens mon coeur et je connais les hommes. Je ne suis fait comme aucun de ceux que j'ai vus; j'ose croire n'être fait comme aucun de ceux qui existent. Si je ne vaux pas mieux, au moins je suis autre. Si la nature a bien ou
mal fait de briser le moule dans lequel elle m'ajeté, c'est ce dont on ne peut juger qu'après m'avoir lu.
3. Que la trompette du Jugement dernier sonne quand elle voudra ; je viendrai, ce livre à la main, me présenter devant le souverain juge. Je dirai hautement : voilà ce que j'ai fait, ce que j'ai pensé, ce que je fus. J'ai dit le bien et le mal avec la même franchise. Je n'ai rien tu de mauvais, rien ajouté de bon, et s'il m'est arrivé d'employer quelque ornement indifférent, ce n'a jamais été que pour remplir un vide occasionné par mon défaut de mémoire; j'ai pu supposer vrai ce que je savais avoir pu l'être, jamais ce que je savais être faux. Je me suis montré tel que je fus, méprisable et vil quand je l'ai été, bon, généreux, sublime quand je l'ai été : j'ai dévoilé mon intérieur tel que tu l'as vu toi-même. Être éternel, rassemble autour de moi l'innombrable foule de mes semblables ; qu'ils écoutent mes confessions, qu'ils gémissent de mes indignités, qu'ils rougissent de mes misères. Que chacun d'eux découvre à son tour son coeur aux pieds de ton trône avec la même sincérité; et puis qu'un seul te dise, s'il l'ose: Je fus meilleur que cet homme-là. «
XSXX
«
thème romantique de la séparation des consciences.
C'est le« Je» qui est la seule
présence :
il ouvre les deux premiers paragraphes et clôt chacun des trois para graphes(« moi»,« m'avoir lu»,« cet homme-là»).
L'isolement volontaire d'une vie exemplaire s'affirme hautement : solitude et
confiance orgueilleuse conduisent à défier Dieu
et les hommes dans une clausule*
oratoire ( « cet homme, ce sera moi » ), introduite par un présentatif emphatique et se
terminant par
un pronom tonique.
La reprise du pronom tonique(« Moi seul») est
mise en évidence par opposition aux indéfinis dans deux comparatives (« comme
aucun de
ceux»).
Avec une feinte humilité (Rousseau ne se juge pas supérieur, mais
différent :
« au moins je suis autre » ), le « Je » se présente ici comme témoin d'une
unicité rappelant le caractère exceptionnel de l'œuvre.
y~~~!1~!R.1:Î~!.
~J'()~!!~t~-~ce Saint Augustin et Montaigne, mus d'ailleurs par d'autres finalités, ont précédé
Rousseau, qui
ne manque pas d'émules, de Chateaubriand à Michel Leiris.
Il reste
que
!' « entreprise » de Rousseau est fondatrice, car elle a devancé les recherches
de la psychologie
et de la psychanalyse contemporaines sur l'irréductible uni
cité de l'individu («je suis autre » ).
Mais surtout, l'idée qui mûrissait dès le Discours est reprise : face à une huma
nité déformée par la vie sociale, Rousseau offre une
incarnation imparfaite et
cependant exemplaire des premiers mouvements de la nature.
Cette volonté
ne
va pas sans ambiguïtés : comment concilier Je souci de préserver tel ou tel caractère
différenciant d'autrui et la nécessité d'envisager les autres comme semblables,
puisqu'il veut être lu.
Se peindre comme un être d'exception avec une absolue
sincérité, écarter tout jugement
de valeur sur ses propres actions, tels sont les élé
ments originaux d'une œuvre exceptionnelle, à l'image
de son auteur.
Il -LA SINCÉRITÉ DU PROJET
L'avènement de la vérité
Proclamé sur
un ton emphatique(« trompette du Jugement dernier»,« souverain
juge » ), l'avènement de la vérité repose sur une présentation ( « voilà ce que [ ...
] ce
que[ ...
] ce que») marquée par le champ lexical de la transparence(« montrer[ ...
]
dévoilé ») : l'auteur recherche une parfaite coïncidence entre l'être et le paraître:« j'ai dévoilé mon intérieur».
La revendication d'une franchise totale
Contrairement aux autres hommes, Rousseau, qui
n'a jamais caché ses « indi
gnités», ignore le mensonge délibéré.
Son souci de sincérité lui impose d'accorder
la même importance
au bien et au mal, ce que confirment de rigoureuses mises en
parallèle stylistiques.
Grâce à la confession publique et générale née
de cette luci
dité supérieure, les hommes se découvriront eux-mêmes.
Un pla!~~e~r
Mais ce qui n'était au départ qu'une confession devient progressivement un
plaidoyer.
Face à des ennemis qui sont proches et supposés bien réels, et à l'idée
d'un complot* sous-jacent(« mes misères»), le texte devient un véritable discours
direct :
il ne s'agit plus, pour les autres hommes, de faire une lecture qui leur per
mettrait
de porter un jugement serein, l'œuvre devient la pièce à conviction qui
permettra
de couper court à tout jugement..
»
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