Commentaire : La Princesse de Clèves (Mme de la Fayette): le vol d'une portrait de la princesse par le Duc
Publié le 01/04/2012
Extrait du document
«
Un consensus tacite semble donc avoir eu lieu entre les deux personnages, accompli
uniquement par un échange de regards.
Il aura permis le vol d'un portrait, acte qui pourrait revêtir
une connotation quelque peu ambiguë dans la suite de l' œuvre.
Mais cette dépossession s'est faite
d'une manière bien particulière.
Nous assistons en effet à une scène qui demeure très théâtralisée, tant au point de vue de
son intrigue ou de sa situation que du comportement des personnages ou de leurs actions.
En premier lieu, notons que l'extrait présente des circonstances propices à la dissimulation.
L'action se déroule chez les Clèves, ainsi que le prouve le relevé suivant « Le jour qu'on achevait
celui de Mme de Clèves, Mme la Dauphine vint passer l'après-dînée chez elle », précisément dans
une chambre, puisque la romancière évoque un lit (l.19) et des rideaux, qui jouent ici un rôle
capital, puisque ce sont eux qui permettront l'échange de regards entre le Duc et la Princesse ( alors
qu'ils servent à l'origine à voir sans être vu et inversement ).
Ces derniers jouent donc le rôle d'écran
entre deux mondes, deux situations : l'essentiel même de la scène se passe dans un espace clos, qui
semble coupé du monde extérieur.
Le portrait, principal enjeu scénique, est posé sur une table tout
contre le lit, et Nemours se trouve à son côté.
Toutes ces localisations sont en fait résumées dans la
description des lignes 17 à 19 ( « Mme la Dauphine était assise sur le lit (...) le dos contre la table,
qui était au lit » ).
Enfin, toutes les personnes présentes dans la pièce sont occupées, soit à discuter,
à peindre ou tout simplement à figurer à ce rendez-vous.
Donc cette situation, tout à fait dûe au
hasard, n'est pas sans rappeler le concept du crime parfait, et le Duc l'a bien compris, puisqu'il
profite de l'occasion pour dérober l'une des choses qu'il convoitait depuis longtemps.
Nous pouvons également remarquer que même la présence des personnages semble obéir à
une logique calculée : une sorte de loi du triangle, où l'on dénombre la femme, l'amant et le mari.
Bien que Mr de Clèves n'apparaisse réellement qu'à la fin du passage, son souvenir est sans cesse
rappelé tout au long du texte, que ce soit par la conscience de Nemours ou les paroles des autres
protagonistes.
D'ailleurs, son intervention finale mérite d'être analysée : il est « affligé » ( émotion
que l'on peut alors opposer à la joie ressentie par le Duc suite au vol du portrait, ainsi que le
démontre la ligne 34 ), mais est bien obligé de se rendre à l'évidence : il ne retrouvera jamais le
portrait ( Malgré de soigneuses recherches ).
L'allusion qui clôture l'extrait, celle de l'amant qui
aurait dérobé la peinture, paraît très étrange : l'auteur nous précise que Mr de Clèves constate cela
sans le penser, mais est-ce réellement la vérité ? C'est donc sa naïveté et sa confiance aveugle (bien
qu'il semble à un moment douter, idée que nous pouvons souligner grâce au relevé de l'expression «
qu'elle avait sans doute quelque amant caché à qui elle avait donné ce portrait ou qui l'avait dérobé
» ) envers sa femme qui apparaissent ici toutes entières.
De plus, la seule parole de l'extrait,
prononcée au discours direct, met en exergue la dimension théâtrale de la scène : Mr de Nemours se
déplace silencieusement jusqu'à son aimée, lui murmure quelques mots puis sort, dignement, sans
attendre sa réponse.
Le paragraphe suivant nous révèle enfin ses pensées ( « Il sentait tout ce que la
passion peut faite sentir de plus agréable (...) dans l'innocence de la première jeunesse » ), et nous
amène à penser que le vol de ce portrait est un tournant supplémentaire dans l'évolution de sa
passion.
Pour conclure, nous pouvons donc affirmer que cet extrait correspond bel et bien à un idéal
d'esthétique classique, étant donné qu'il réunit toutes les composants nécessaires à sa
caractérisation : règles de bienséance, analyse précise des sentiments amoureux, galanterie, style
précieux, orné et brillant.
La passion qui unit le Duc et la Princesse est délicatement exprimée, et le
vol de ce portrait n'est en effet qu'une simple étape sur le long chemin qu'il leur reste à parcourir.
Ce texte possède également une visée particulière, celle de plaire et d'instruire.
En guise d'ouverture, nous pouvons proposer un autre extrait de l' œuvre, la scène de l'aveu (
Troisième tome ) , où la Princesse finit par révéler à son mari qu'elle éprouve une passion violente
pour un autre que lui, répondant ainsi aux doutes et aux interrogations exprimées par ce dernier
dans cet extrait..
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