Commentaire: LA FLEUR DE FARINE - Tristan et Yseut
Publié le 15/09/2018
Extrait du document
I. Le destin inflexible
Le piège n'en est pas un, puisque, comme pour le rendez-vous épié, Tristan voit agir le nain et en tire les bonnes conclusions. Il serait raisonnable de ne pas bouger, et c'est bien ce qu'il décide en effet ; mais, au moment voulu, il saute dans le lit du roi, non pas de son plein gré, mais sous l'influence d'une force à laquelle il ne peut résister. Le philtre l'emporte sur la raison, la sagesse, la prudence, et même l'amour {puisqu'une telle action compromet fatalement Yseut). À cet acte irraisonné, inconscient, répond le fatalisme de Tristan, conscient cette fois d'avoir scellé son destin, mais en quelque sorte indifférent.
Par ailleurs, tous les éléments sont rassemblés pour transformer l'« erreur » de Tristan affolé d'amour en tragédie : un à un les détails se mettent en place, qui suggèrent l'intervention d'une force insurmontable attachée à la perte des amants ; la voix du narrateur, comme le chœur antique, commente avec chagrin cette progression inexorable.
«
Instruire
et plaire
Il ne s'a git pas de restituer l'épaisseur du réel (comme dans le roman
du XIX• siècle, et comme ce sera le cas dans une certaine mesure avec
la prose du Xlii•) , mais de proposer à la réflexion du lecteur-auditeur
(en fait, comme les cha nsons de geste, les romans sont diffusés ora
lement : un clerc, par exemple le chapelain d'une cour seigneuriale,
lit le texte à partir d'un manuscrit, et parfois n'hésite pas à le compl é
ter d'innovations de son cru) un" exemple , édifiant, l'aventure riche
en signi fication profonde de tel indivi du.
Conformément aux conse ils
des " arts poétiques )) hérités de l'Antiquité, le roman a pour fonction
d' instruire son public, tout en l'attirant par ses séductions esthétiques :
dans le couple docere/d electare *, c'e st l'élément docere qui est le plus
im portant.
Le salut aux aman ts qui clôt l'œuvre de Thomas correspond
tout à fait à cette vision du texte romanesque comme texte édifiant,
ou en tout cas comme matériau brut à partir duquel il convient d' enclen
cher le processus d'allégorèse *.
AMOUR COURTOIS ET CHE VALE RIE
La transgression du système féodal
L'am our tout -puissant :le texte de Béroul, comme celui de Thomas,
illus tre cette vérité.
La passion qui unit Tristan et Yseut est avant tout
perçue comme dérangeante, y compr is par les aman ts :c' est qu'elle
s'oppose à toutes les structures en vigueur , et met presque inévitable
ment ses victimes au ban de la société.
Aussi bien le chevalier que la
dame ont une place bien déterminée dans le système féodal :Tristan,
héritier présomptif du roi Marc, a pour tâche de défendre le royaume
contre les attaques éventuelles, mais il est aussi l'image modèle que
les juvenes, les jeunes chevaliers qui sont au service du roi, ou les
écuyers qui attendent leur adoub ement, cherchent à im iter.
En renon
çant à la loyauté qu'il doit à son seigneur, le héros trahit l'idéal qu'il
est supposé incarner.
De même, si l'épouse du suzerain est tout natu
rellement, selon le code courtois, l'objet d'amour vers lequel se tour
nent tous les Jeunes gens qui n'ont aucun espoir d'avoir jamais un fief
et une femme à eux, Yseut contrevient à toutes les traditions en répon
dant à l'am our de Tristan et en passant aux actes.
Une passion aussi.
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