Commentaire - Jean Giraudoux, Electre, Acte II, Scène 9
Publié le 11/09/2011
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Le récit du double meurtre, qui constitue la résolution de l’action dans Electre, semble présenter les caractéristiques du dénouement classique et remplit ainsi différents fonctions. En effet le théâtre classique du XVIIe, s’inspirant du théâtre grec et des principes énoncées par Aristote, pose la règle de bienséance qui interdit la représentation de la mort sur scène. De même, dans cette pièce moderne, le double crime d’Oreste se déroule hors-scène et son récit est assumé par le personnage du Mendiant, dans une longue tirade.
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chronologiquement.
C’est donc un dénouement ambigu que propose ici Giraudoux, ambigu car le récit accentue la violence de l’acte, etne respecte donc la bienséance classique qu’en apparence, et ambigu par le sens que prend le geste d’Oreste, plusmatricide et régicide qu’acte de « justice » ou de réparation.
Cette complexité du récit est redoublée par le mélangedes registres qui révèlent différents traitements de la mort.
En effet, la mort de Clytemnestre et celle d’Egistherevêtent plusieurs significations.Tout en apparaissant comme la figure maternelle, le personnage de Clytemnestre est, dans le même temps,dévalorisé dans le commentaire souvent ironique du Mendiant : la reine devient un objet encombrant et inutile : «elle empêchait Egisthe de dégainer » dans un processus de réification visible à travers la remarque du Mendiant : «elle était trop lourde aussi pour servir de bouclier ».
Son personnage est réduit à des signes extérieurs : « une reinemorte au bras droit avec colliers et pendentifs » et devient, par sa mort, la cause involontaire de la défaited’Egisthe.
L’ironie du commentaire (« c’était sa seule chance désormais dans sa vie de se tenir un peu debout » parexemple) introduit dans cette scène tragique des éléments de mise à distance qui rendent la situation grotesque,Egisthe cherchant en vain à se débarrasser d’une compagne devenue encombrante, ridiculisée jusque dans la mort :« il la secouait pour reprendre son bras, rien à faire ».Ainsi, le personnage d’Egisthe pouvait acquérir une dimension tragique en mourant « pur et sacré » ; mais le combat« désespéré » qu’il mène pour « être couché dans la mort loin de Clytemnestre », i.e.
mourir dignement, se solde luiaussi par un échec et il reste « l’infâme ».
Sa mort l’inscrit dans un couple d’assassins, et ce « pour l’éternité », ilest prisonnier de la fatalité et du mythe, autre forme du destin.
Sa dernière parole « Electre » d’abord tue par leMendiant, constitue une ultime tentative pour échapper à cette représentation : Egisthe cherche, dans ce dernierinstant, à se rapprocher d’Electre, et donc à se séparer de Clytemnestre.Enfin, la mort donnée par Oreste constitue une nouvelle transgression, d’autant plus que son geste n’apparaît plusaussi « juste » ; elle appelle donc un nouveau châtiment dont un des aspects est annoncé encore une fois par leMendiant : « il ne la touchera jamais plus ».
La séparation entre Oreste et Electre est donc aussi inscrite dans lerécit et dans le mythe.
ConclusionAinsi cet extrait d’Electre montre-t-il combien un récit, censé éviter de choquer le spectateur, peut se révélerfinalement beaucoup plus violent, par son pouvoir de suggestion, que la représentation elle-même, sur scène, de lamort.
En outre, le récit du Mendiant, prophétie et commentaire à la fois apitoyé et ironique, permet d’attirerl’attention du spectateur, dans le dénouement, sur la signification dramatique de la mort.
En effet, le geste d’Oresteet la mort des personnages deviennent problématiques car ils suscitent des interrogations sur la validité d’un geste(justice ? vengeance ? assassinat ?) et sur le sens que la mort donne rétrospectivement à la vie : celle-ci, selon lesévénements, semble inscrire le personnage dans un statut (tragique ? grotesque ?), comme si la façon dont lespersonnages mouraient les figeait dans une représentation définitive d’eux-mêmes.
La mort inscrite dans le mythe etle théâtre devient ainsi paradoxalement une image de la vie..
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