Commentaire incipit: Les bonnes de Jean Genet
Publié le 21/05/2012
Extrait du document
«
Dans ce contexte de doute quant à l’identité réelle de ces deux personnages, deux
autres élément s prennent un relief particulier.
Il s’agit tout d’abord de l’évocation d’un
laitier, dont Madame et sa bonne semblent se disputer les faveurs, ce qui peut
paraître surprenant en ce qu i concerne cette première , en raison de la différence de
statut socia l.
Mais aussi de la mention soudaine, par la supposée Claire, de la
présenc e en ces lieux de deux bonnes apparemment solidaires dans leur haine pour
leur maîtresse et semblant « confondues » en une seule personne .
Le spectateur se
demande alors qui est cette seconde dome stique, tandis que le lecteur m ieux
informé se doute qu’il s ’agit de la fe mme endossant le rôle de Madame.
Encore des
indice s, semé s par l’auteur, venant brouiller les pistes de début de pièce bien
inhabituel…
A cette confusion identitaire vient s’ajouter la révélation progressive de relations
complexes et troublantes entre les personnages présents sur scène, qui ne facilite
pas la tâche du spectateur en quête de repères stables pour suivre le dérouleme nt
de la pièce.
Ce qui vaut surtout au niveau du couple formé par Madame et sa bonne,
mais aussi, par ricoc het, en ce qui concerne Claire et Solange.
En première lecture, ce passage met en effet en scène une domestique qui, après
avoir subi les propos méprisants de sa patronne, exprime à son tour sa haine de
celle -ci, sans aucun détour, comme en témoignent les expressions « Je vous hais!
Je vous méprise ! » et « Solange vous emmerde ! », réitérées à plusieurs re prises.
De t oute évidence, cette haine se fonde certes sur les humiliations subies, mais
aussi sur la frustration générée chez la bonne par sa condition inférieure et sa
jalousie vis -à-vis des conditions de vi e luxueuses de Madame , dont elle est le témoin
quotidien. Ce qu e souligne l’opposition du champ lexical grâce auquel la su pposée
Claire décrit l’univers raffiné dans lequel baigne sa maîtresse , qui a manifestement
les moyens d’entretenir et d’habiller somptueusement son corps comme de maquiller
et parfumer son visage , avec les termes utilisés pour évoquer son propre
environnement, essentiellement constitué d’une cuisine nauséabonde .
Ce contraste
se trouve magnifiquement résumé par la phrase « Vous avez vos fleurs, j’ai mon
évier », où la répéti tion du verbe avoir souligne l’opposition des deux couple s de
termes « vous/je » et « fleurs/évier » sous -entendant cet autre : fragrance
agréable/exhalaisons douteuses… Il semble d’ailleurs que le monde dans le lequel
chacune de ces femmes évolue embellit la première et souille la seconde, comme en
atteste l’alexandrin « J’y retrouve mes gants et l’odeur de mes dents », dont les deux
hémistiches riment et forme nt un zeugma qui exprime parfaitement le dégoût
identique qu’éprouve la bonne pour sa fonction et son propre corps.
Mais à la haine
de la domestique envers sa maîtresse se mêle à une attirance manifeste pour celle -
ci.
En effet, à trois reprises dans notre passage, la supp osée Claire mentionne l a
beauté de Madame.
Et tout au déb ut, elle déclare haïr différentes parties du corps de
celle -ci, qu ’elle décrit pourtant de manière ext rêmement valorisante, en les associant
notamment à des matériaux nobles et précie ux comme l’ivoire, l’or et l’ambre.
Le
souci du détail et l a poésie présent s dans ces propos, assez étonnant s dans la
bouche d’une domestiqu e, trahissent d’ailleurs à eux seul s le caractère appréciateur
et sensuel du regard que pose celle -ci sur sa patronne… Du coup, les aspects
contradictoires de la relation d’amour/haine existant entre les deux femmes prennent.
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