Devoir de Philosophie

Commentaire d'un extrait du DISCOURS SUR LES SCIENCES ET LES ARTS (Rousseau)

Publié le 06/09/2006

Extrait du document

discours

Socrate avait commencé dans Athènes; le vieux Caton continua dans Rome de se déchaîner contre ces Grecs artificieux et subtils qui séduisaient la vertu et amollissaient le courage de ses concitoyens. Mais les sciences, les arts et la dialectique prévalurent encore : Rome se remplit de philosophes et d'orateurs; on négligea la discipline militaire, on méprisa l'agriculture, on embrassa des sectes et l'on oublia la patrie. Aux noms sacrés de liberté, de désintéressement, d'obéissance aux lois, succédèrent les noms d'Epicure, de Zénon, d'Arcésilas. "Depuis que les savants ont commencé à paraître parmi nous, disaient leurs propres philosophes, les gens de bien se sont éclipsés". Jusqu'alors les Romains s'étaient contentés de pratiquer la vertu; tout fut perdu quand ils commencèrent à l'étudier. O Fabricius! qu'eût pensé votre grande âme, si pour votre malheur rappelé à la vie, vous eussiez vu la face pompeuse de cette Rome sauvée par votre bras et que votre nom respectable avait plus illustrée que toutes ses conquêtes ? "Dieux! eussiez-vous dit, que sont devenus ces toits de chaume et ces foyers rustiques qu'habitaient jadis la modération et la vertu ? Quelle splendeur funeste a succédé à la simplicité romaine ? Quel est ce langage étranger ? Quelles sont ces moeurs efféminées ? Que signifient ces statues, ces tableaux, ces édifices ? Insensés, qu'avez-vous fait ? Vous les maîtres des nations, vous vous êtes rendus les esclaves des hommes frivoles que vous avez vaincus ? Ce sont des rhéteurs qui vous gouvernent ? C'est pour enrichir des architectes, des peintres, des statuaires, et des histrions, que vous avez arrosé de votre sang la Grèce et l'Asie ? Les dépouilles de Carthage sont la proie d'un joueur de flûte ? Romains, hâtez-vous de renverser ces amphithéâtres; brisez ces marbres; brûlez ces tableaux; chassez ces esclaves qui vous subjuguent, et dont les funestes arts vous corrompent. Que d'autres mains s'illustrent par de vains talents; le seul talent digne de Rome est celui de conquérir le monde et d'y faire régner la vertu. Quand Cynéas prit notre Sénat pour une assemblée de rois, il ne fut ébloui ni par une pompe vaine, ni par une élégance recherchée. Il n'y entendit point cette éloquence frivole, l'étude et le charme des hommes futiles. Que vit donc Cynéas de si majestueux ? O citoyens ! Il vit un spectacle que ne donneront jamais vos richesses ni tous vos arts; le plus beau spectacle qui ait jamais paru sous le ciel, l'assemblée de deux cents hommes vertueux, dignes de commander à Rome et de gouverner la terre". [...]

 

Vue d'ensemble

Dans ce passage célèbre, Rousseau énonce l'idée fondamentale de son Discours :l'apparition dans une société historique quelconque des artistes et des savants coïncide avec la disparition de la vertu ; il illustre cette idée par une prosopopée, prêtée au consul romain Fabricius, célèbre pour sa vertu et son désintéressement.

(Une prosopopée est une figure de rhétorique qui consiste à prêter le sentiment ou la parole à des êtres inanimés ou à des morts.)

Mouvement du texte

Tel qu'il est découpé, le texte présente deux grandes divisions :

 

  1. La leçon de l'histoire romaine (I. 1 à 15) : Rousseau est ici narratif.

  2. La prosopopée de Fabricius (I. 16 à 47) : Rousseau fait appel à la puissance de la rhétorique. Ce passage peut être découpé ainsi :  

  1. Introduction (l. 16 à 20).

  2. Le discours de Fabricius (l. 20 à 47).

  1. Indignation et étonnement de Fabricius devant l'état présent de Rome. Phrases interrogatives puis exclamatives (l. 20 à 32).

  2. Attitude conseillée aux Romains pour l'avenir immédiat. Phrases à l'impératif (l. 32 à 38).

  3. Rappel par Fabricius de la grandeur du passé romain : anecdocte de Cynéas (l. 38 à 47).

 

 

discours

« (Socrate, Caton, etc.) face au goût de l'art. (l.

2) Se déchaîner.

Métaphore hyperbolique soulignant la force de ce refus. (l.

2 et 3) Ces Grecs artificieux et subtils.

Peut-être le démonstratif a-t-il ici comme en latin une nuance péjorative.

L'adjectif artificieux, certainement. (l.

3) Séduisaient.

Sens étymologique : détourner du droit chemin. — (l.

4 et 5) Les sciences, les arts et la dialectique.

Rousseau pratique ici l'amalgame, procédé classique pour discréditer des idées ou des faits : la dialectique (mot qui à l'époque de Rousseau a le sens nettement péjoratif deraisonnement artificiel) est mise sur le même plan que les sciences ou les arts. (l.

4 à 8) La phrase semble purement narrative : propositions indépendantes ; passé simple.

Pourtant saconstruction lui donne une valeur explicative : les deux points séparent la cause (le triomphe des arts) etl'effet immédiat : apparition de nouveautés inutiles (philosophie, sectes) ; disparition de valeurs fondamentales(discipline, agriculture, patrie). (l.

8 à 10) Opposition nette entre la généralité de ce qui disparaît : noms communs abstraits et sacrés (I.

8) (liberté, désintéressement, obéissance) et le caractère individuel de ce qui apparaît, générateur de divisions en sectes : noms propres de philosophes, dont chacun a une conception différente des valeurs.

[Ces trois philosophes représentent plus ou moins les trois principales attitudes morales de l'Antiquité : épicurisme,stoïcisme (Zénon), néo-académisme sceptique (Arcésilas)]. (l.

12) Leurs propres philosophes.

La citation est de Sénèque.

Noter le pluriel abusif, comme si tous les philosophes romains avaient pensé ainsi.

Par ailleurs on peut remarquer que Rousseau qui vient de critiquer cesphilosophes n'hésite pas à avoir recours à eux pour appuyer ses idées... (l.

13 à 15) La phrase repose sur une fausse opposition : pratiquer la vertu et l'étudier ne sont pas aussi antithétiques que la construction syntaxique voudrait le faire croire.

Habileté rhétorique de Rousseau. (l.

14 et 15) Tout fut perdu quand ils commencèrent.

Exagération, aussi bien quantitative que temporelle : la décadence romaine a pris du temps.

Rousseau montre ainsi que l'important se situe au niveau des principes. (l.

16) 0 Fabricius ! Le vocatif est ici rendu solennel par l'interjection ô.

Le choix de Fabricius comme héros de cette prosopopée permet également à Rousseau d'évoquerl'ambassade de Cynéas (lignes 38 à 47) auprès de celui-ci.

Dans Plutarque, Fabricius est présenté comme le typemême de la vertu romaine de l'époque républicaine. (l.

16, 1.

17 et 1.

20) Qu'eût pensé...

vous eussiez vu...

eussiez-vous dit.

Ces conditionnels passés soulignent que nous sommes ici dans une situation imaginaire (irréel du passé).

Nous avons donc bien affaire à uneprosopopée, et non à un discours historique. (l.

19 et 20) Rousseau insiste sur l'importance de son personnage par une exagération : que votre nom respectable avait plus illustrée que toutes ses conquêtes. (l.

21 et 22) Opposition entre le concret : toits de chaume, foyers rustiques, et l'abstrait : modération, vertu. Ainsi présentée la phrase fait bénéficier les termes abstraits du même degré de réalité que les mots concrets.Impression renforcée par la personnification de ces qualités sous-entendue dans le verbe habitaient. (l.

22) Funeste.

Sens étymologique : qui annonce la mort. (l.

22 et 23) Antithèse :splendeur...

simplicité.

Au niveau des adjectifs, si la simplicité est intrinsèquement romaine (l.

23), la splendeur est donc étrangère, comme le langage incriminé à la ligne 24.

Il s'agit bien sûr du grec qui était devenu sous l'empire la langue que parlaient entre eux les Romains raffinés. (l.

25) Ici commence une référence aux arts plastiques qui va être reprise deux autres fois, donnant ainsi uneunité à ces deux moments différents que sont l'étonnement scandalisé de Fabricius et son exhortation iconoclaste.

En effet ces statues, ces tableaux, ces édifices (l.

25), repris (dans l'ordre inverse) par des architectes, des peintres, des statuaires (L 29 et 30) devient aux lignes 32 et 34: hâtez-vous de renverser ces amphithéâtres ; brisez ces marbres, brûlez ces tableaux. (l.

26 et 27) Antithèse : martres (des nations)...

esclaves. (l.

26 à 28) Il y a ici un souvenir évident du célèbre vers d'Horace : Graecia capta ferum victorem cepit : la Grèce conquise conquit son farouche vainqueur, mais Rousseau en faisant des Romains le sujet de la phrase et enrépétant le pronom vous souligne que les Romains sont les seuls responsables de cette situation paradoxale.. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles