Commentaire d'Ubu roi, acte I, scène 1 (1896) d'Alfred Jarry
Publié le 16/12/2010
Extrait du document
PÈRE UBU
Merdre1.
MÈRE UBU
Oh ! Voilà du joli, Père Ubu, vous estes2 un fort grand voyou.
PÈRE UBU
Que ne vous assom'je, Mère Ubu !
MÈRE UBU
Ce n'est pas moi, Père Ubu, c'est un autre qu'il faudrait assassiner.
PÈRE UBU
De par ma chandelle verte, je ne comprends pas.
MÈRE UBU
Comment, Père Ubu, vous estes content de votre sort ?
PÈRE UBU
De par ma chandelle verte, merdre, madame, certes oui, je suis content. On le serait à moins : capitaine de
dragons3, officier de confiance du roi Venceslas, décoré de l'ordre de l'Aigle Rouge de Pologne et ancien roi
d'Aragon, que voulez-vous de mieux ?
MÈRE UBU
Comment ! Après avoir été roi d'Aragon vous vous contentez de mener aux revues une cinquantaine
d'estafiers4 armés de coupe-choux, quand vous pourriez faire succéder sur votre fiole la couronne de Pologne à celle
d'Aragon ?
PÈRE UBU
Ah ! Mère Ubu, je ne comprends rien de ce que tu dis !
MÈRE UBU
Tu es si bête !
PÈRE UBU
De par ma chandelle verte, le roi Venceslas est encore bien vivant ; et même en admettant qu'il meure, n'a-til
pas des légions d'enfants ?
MÈRE UBU
Qui t'empêche de massacrer toute la famille et de te mettre à leur place ?
PÈRE UBU
Ah ! Mère Ubu, vous me faites injure et vous allez passer tout à l'heure par la casserole.
MÈRE UBU
Eh ! Pauvre malheureux, si je passais par la casserole, qui te raccommoderait tes fonds de culotte ?
PÈRE UBU
Eh vraiment ! Et puis après ? N'ai-je pas un cul comme les autres ?
MÈRE UBU
À ta place, ce cul, je voudrais l'installer sur un trône. Tu pourrais augmenter indéfiniment tes richesses,
manger fort souvent de l'andouille et rouler carrosse par les rues.
PÈRE UBU
Si j'étais roi, je me ferais construire une grande capeline comme celle que j'avais en Aragon et que ces
gredins d'Espagnols m'ont impudemment volée.
MÈRE UBU
Tu pourrais aussi te procurer un parapluie et un grand caban qui te tomberait sur les talons.
PÈRE UBU
Ah ! Je cède à la tentation. Bougre de merdre, merdre de bougre, si jamais je le rencontre au coin d'un bois,
il passera un mauvais quart d'heure.
MÈRE UBU
Ah ! Bien, Père Ubu, te voilà devenu un véritable homme.
PÈRE UBU
Oh non ! Moi, capitaine de dragons, massacrer le roi de Pologne ! Plutôt mourir !
MÈRE UBU, à part.
Oh ! Merdre ! (Haut.) Ainsi tu vas rester gueux comme un rat, Père Ubu.
PÈRE UBU
Ventrebleu, de par ma chandelle verte, j'aime mieux être gueux comme un maigre et brave rat que riche
comme un méchant et gras chat.
MÈRE UBU
Et la capeline ? Et le parapluie ? Et le grand caban ?
PÈRE UBU
Eh bien, après, Mère Ubu ? (Il s'en va en claquant la porte.)
MÈRE UBU, seule.
Vrout, merdre, il a été dur à la détente, mais vrout, merdre, je crois pourtant l'avoir ébranlé. Grâce à Dieu et
à moi-même, peut-être dans huit jours serai-je reine de Pologne.
«
Eh vraiment ! Et puis après ? N'ai-je pas un cul comme les autres ?
MÈRE UBU
À ta place, ce cul, je voudrais l'installer sur un trône.
Tu pourrais augmenter indéfiniment tes richesses,
manger fort souvent de l'andouille et rouler carrosse par les rues.
PÈRE UBU
Si j'étais roi, je me ferais construire une grande capeline comme celle que j'avais en Aragon et que ces
gredins d'Espagnols m'ont impudemment volée.
MÈRE UBU
Tu pourrais aussi te procurer un parapluie et un grand caban qui te tomberait sur les talons.
PÈRE UBU
Ah ! Je cède à la tentation.
Bougre de merdre, merdre de bougre, si jamais je le rencontre au coin d'un bois,
il passera un mauvais quart d'heure.
MÈRE UBU
Ah ! Bien, Père Ubu, te voilà devenu un véritable homme.
PÈRE UBU
Oh non ! Moi, capitaine de dragons, massacrer le roi de Pologne ! Plutôt mourir !
MÈRE UBU, à part .
Oh ! Merdre ! ( Haut .) Ainsi tu vas rester gueux comme un rat, Père Ubu.
PÈRE UBU
Ventrebleu, de par ma chandelle verte, j'aime mieux être gueux comme un maigre et brave rat que riche
comme un méchant et gras chat.
MÈRE UBU
Et la capeline ? Et le parapluie ? Et le grand caban ?
PÈRE UBU
Eh bien, après, Mère Ubu ? ( Il s'en va en claquant la porte .)
MÈRE UBU, seule .
Vrout, merdre, il a été dur à la détente, mais vrout, merdre, je crois pourtant l'avoir ébranlé.
Grâce à Dieu et
à moi-même, peut-être dans huit jours serai-je reine de Pologne.
1.
injure inventée par Jarry 2.
estes = êtes 3.
soldats de cavalerie 4.
gardes du corps (terme péjoratif)
1
Commentaire
Éléments pour l'introduction
Ubu roi se présente comme une farce bouffonne, un canular de potache dans lequel Alfred Jarry, lycéen
de quinze ans, a ridiculisé et immortalisé un de ses professeurs du lycée de Rennes, Félix Hebert, surnommé par
ses condisciples le père Heb.
Dépassant le folklore estudiantin, le jeune Jarry crée un personnage devenu
mythique, l'incarnation du bourgeois prétentieux et poltron, symbolisant à lui seul tout le ridicule de l'homme.
Lors de la conférence accompagnant la représentation controversée qui eut lieu au Théâtre de l'OEuvre, le 10.
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