Commentaire du Pédantisme de Montaigne
Publié le 06/01/2025
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Commentaire du Pédantisme de Montaigne
Tout au long de sa formation depuis l’école primaire jusqu’au collège, l’élève
s'interroge sur le sens de ce qu’il étudie.
Tandis que certains peinent à trouver un
moment de leur vie où la connaissance de formules mathématiques leur sera utile,
d’autres prennent du plaisir à apprendre des matières qu’ils trouvent intéressantes,
cultivant ainsi leur culture générale, mais surtout développent des capacités analytiques
qu’ils peuvent mobiliser à toute situation quotidienne.
Ce rapport au savoir et à la
connaissance n’est pas qu’une interrogation actuelle puisqu’au XVIe siècle des
humanistes s’y intéressent déjà.
La renaissance eut comme courant majeur un retour aux
sciences antiques et aux Anciens que les humanistes considèrent comme modèles.
Le
but était de se réapproprier des savoirs grâce à la connaissance des langues classiques
telles que le grec, le latin ou l’hébreu.
Si la connaissance de ces langues n’était à
l’origine qu’un vecteur d’accès à un savoir par une traduction exacte d’ouvrages
théologiques, scientifiques et philosophiques, son apprentissage dériva rapidement vers
un impératif éducatif destiné aux garçons bien nés dans le but de les rendre éclairés.
Ce
modèle éducatif de l’époque ne constitue pas selon Michel de Montaigne, un chemin à
suivre puisque celui-ci le considère rébarbatif, une accumulation vaine de ce savoir.
Ses
Essais en témoignent bien, notamment « Du pédantisme », qui aborde tous les aspects
de ce concept en expliquant à son lecteur l’absence de sens de ce mode d'apprentissage
tout en proposant son alternative.
L’extrait dont ce travail est l’objet se situe au coeur de
cet essai et représente la thèse même
de l’auteur : le but de l’apprentissage est
d’enrichir l’âme, la grossir avec des connaissances théoriques est inutil, pire encore,
cette démarche rend arrogant et mène à l’aliénation.
A cet égard, le présent travail
examinera la dimension rhétorique du passage afin de mieux en dégager la portée
dénonciatrice.
Ainsi, le rôle du lecteur dans cette critique sera présenté avant
d’envisager le ton ludique de l’auteur pour enfin analyser l’excès de savoir et ses
conséquences.
En premier lieu, la critique que Montaigne expose du pédantisme n’est pas à sens
unique mais bilatérale.
Il s’agit d’inclure le lecteur dans sa démarche afin de l’en
convaincre.
La première phrase de l’extrait en témoigne lorsque, par une condition
négative, Montaigne affirme que le rôle de l'éducation est de rendre notre âme plus
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habile et d’amener l’élève à utiliser son jugement plus sainement.
Si tel n’est pas le cas
alors ce dernier a meilleur temps de jouer à la paume (p.248, l.11-14).
Ce passage
n’éclaire pas seulement la pensée de l’auteur sur sa vision du but de l’éducation, il le lie
également à son lecteur.
En effet, les déictiques de la première personne du pluriel
(« notre, nous ») (l.11-12), dans cette première phrase englobe Montaigne et ses lecteurs
dans la même condition humaine.
L’éducation devrait enrichir notre âme et notre
jugement, des propriétés communes à tous les Hommes.
Pour rendre cette critique
bilatérale encore plus concrète, Montaigne intègre directement son lecteur dans ses
exemples : « Voyez-le revenir de là, [...] tout ce que vous y reconnaissez d’avantage »
(p.248 l.14-17).
L'utilisation de l’impératif n’est pas anodine car elle intègre de force le
lecteur dans l’argumentation de Montaigne : elle le force à voir cet élève sortir de 15 à
16 années d’études inutiles.
Le même procédé est mobilisé à la ligne 11 de la page 249
encore une fois avec le verbe « voir » pour remarquer les habitudes sociales des paysans
et des cordonniers, contrastant avec les interactions superficielles des pédants.
Cette
superficialité est attaquée une nouvelle fois à la phrase suivante : « [...] ils vous ont déjà
rempli la tête de lois, et si n’ont encore conçu le noeud de la cause [...] ».
( p.249,
l.17-19).
Il est intéressant de noter que dans ce passage, l’auteur n'émet pas une
possibilité mais affirme clairement - part du principe - que le cerveau de son allocutaire
a déjà succombé au remplissage avec des principes de surface, ce qui donne de surcroît
un caractère délétère à ces pédants.
Pour conclure son intégration forcée, un défi est
imposé au lecteur pour asseoir l’opinion de l’émetteur : Montaigne est assurément
persuadé que ce savoir pédantesque ne repose que sur la théorie est que nul de ces «
Lettreferits » ne la met en pratique : « [...] ils savent la Théorique de toute chose,
cherchez qui la mette en pratique » (p.249, l.19-20).
Dans cette image, Montaigne
provoque son lecteur en l’obligeant à lui trouver un contre exemple ou une exception à
sa règle selon laquelle le savoir des pédants n’est que basé sur la théorie.
La parataxe
présente ou l’absence de coordinateur entre ces deux phrases donne à sa demande de
réfutation par le contre-exemple encore plus de poids puisque celles-ci se confrontent
même dans leur disposition.
En somme, il est compris que Montaigne inscrit
graduellement son lecteur dans sa critique pour lui donner du poids en commençant par
énoncer ce qu’il partage avec son lecteur (l’âme et le jugement), puis en utilisant
l’impératif, avant d’admettre qu’il est déjà victime des pédants pour finir avec une mise
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au défi pour le lecteur de le contredire.
Tous ces procédés rhétoriques donnent raison à
Montaigne qui prouve que son lecteur vit et voit lui-même les dangers du pédantisme.
Toutefois, cette inclusion forcée dans l’argumentation de Montaigne ne rend pas le
texte lourd ou inquisiteur puisque l’auteur la conjugue à un style d’écriture léger au
caractère métaphorique et ironique.
Assurément, les lettres et le savoir sont personnifiés
une première fois lorsque Montaigne exemplifie son propos en partageant une anecdote
personnelle.
A la ligne 14 de la page 249, Montaigne personnifie le savoir en lui donnant
la capacité de nager mais seulement en surface du cerveau.
Il y a ici une double
métaphore composée d’une part par la personnification du savoir et d’autre part par la
localisation irréelle de cette nage qui se fait dans le cerveau des pédants.
Cette double
irréalité appuie l’inutilité de ce savoir superficiel mais dénonce surtout qu’il les
déconnecte de la réalité.
On retrouve également cette structure métaphorique binaire à
la page 248 : « il en devait rapporter l'âme pleine, il ne l’en rapporte que bouffie : et l’a
seulement enflée, au lieu de la grossir » (l.
19-20).
Il convient de mentionner que dans
cette citation le sujet est l’élève qui est une première fois responsable de l’altération de
son âme.
Montaigne juge métaphoriquement la manière dont l’âme devrait s’enrichir par
des nuances fines mais importantes.
Il oppose premièrement une âme complète et finie
(« pleine ») à une âme en surpoids et trop pleine (« bouffie »).
Puis il s’attaque à la
profondeur de cet apport philosophique lorsqu'il préfère une âme intérieurement
augmentée (« grossir ») à une âme augmentée superficiellement et qui paraît plus grosse....
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