Commentaire de la Lettre 132 des Liaisons Dangeureuses
Publié le 15/09/2011
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Ainsi le plaisir est toujours érigé en Maitre absolu (« le plaisir, qui est bien en effet l'unique mobile de la réunion des deux sexes «, avec la relative qui insiste par sur l'importance capitale du plaisir) : la Marquise n'est pas femme à ignorer que Valmont n'envisage pas une « liaison « (qui suppose une amour contingent, il suffit de voir la question rhétorique « et de l'amour, en a-t-on quand on veut? «) mais juste quelques heures de plaisir qu'elle choisit de différer pour avoir le temps de mettre en place un stratagème pour ruiner le Comte qui a rompu le pacte (ou du moins ce qui lui laisse le temps d'être certaine de ce qu'elle suppose à son sujet).
«
Il faut noter ensuite que le discours tenu sur la passion est foncièrement différent.
Elle rejette l'aphorisme libertin dela lettre 81 (« L'amour qu'on nous vante comme la cause de nos plaisirs n'est tout au plus que le prétexte », clé devoute de son comportement semblait-il).
Elle parle désormais en femme qui reconnaît les droits (la réalité) de lapassion en évoquant l'insuffisance du plaisir à former une « liaison » dans la question portant la négation qu'elleadresse au Vicomte : « N'avez- vous pas encore remarqué que le plaisir, qui est bien en effet l'unique mobile de laréunion des deux sexes, ne suffit pourtant pas pour former une liaison entre eux? ».
Si le plaisir est la conditionnécessaire à une liaison, il n'est en aucun cas condition suffisante.
Le parallélisme de construction qui se fonde surdes termes antithétiques (« S'il est précédé du désir qui rapproche, il n'est pas moins suivit du dégout quirepousse ») souligne l'issue fatale du « plaisir », qui semble bien être son contraire (« dégout »).
Le présentatif« c'est une loi de la nature » que l'on relie au plaisir, semble bien pauvre humainement parlant.
L'humanitétransparait dans l' « amour » qui vient contrarier cet état de nature.
Il y aurait donc une noblesse affirmée del'amour, l'érotisme étant inférieur à l'amour car se rattachant à une notion de nature primitive.
Mais l'amour estcontingent comme la Marquise s'en rend bien compte dans la question rhétorique : « et de l'amour, en a-t-on quandon veut? » ce qui justifie que l'on se tourne quelque fois vers le plaisir aussi pauvre soit-il.La marquise semble aller encore plus loin dans le brouillage : dans le paragraphe qui clôt la lettre, celle-ci se permetd'évoquer le temps où Valmont et elle étaient ensemble.
La nostalgie ponctue cette fin et lui donne des accentslyriques : évocation d'un temps passé (« dans le temps où nous nous aimions...
») qu'il semble impossible deressusciter (voir l'irréversibilité du présentif « c'est un retour impossible », la négation « ne peut revenir ») ou autresregrets (« je regrette quelques fois »).La marquise a toujours renié un sentiment dont elle n'a pas voulu devenir la victime, puisqu'il n'était pas autre chosequ'un « jeu » destiné à perdre les femmes.
La Marquise connait ce que vit Mme de Tourvel et cela la rend sansdoute nostalgique.
C'est un rapport inégal entre les deux partenaires comportant une victime, condamnée à lasouffrance.
Valmont croit qu'avec Mme de Tourvel il aime pour la première fois? Mme de Merteuil proteste qu'elle etlui se sont aimés, ont été heureux par leur amour.
Valmont, quant à lui ne semble n'en avoir gardé aucun souvenir.Leur amour aurait recontré cette inégalité entre l'homme et la femme dont parlait Mme de Rosemonde dans la lettre130 (« L'homme jouit du bonheur qu'il ressent, et la femme de celui qu'elle procure ») , la Marquise s'étant engagéetrès sérieusement et Valmont ne prenant leur liaison que comme une passade? La Marquise reprend les propos de lavieille femme dans le parallélisme « l'un jouit du bonheur d'aimer, l'autre de celui de plaire », amour unilatéral parexcellence dans le singulier « un coté » comme cause suffisante d'un amour possible.
Ainsi l'Amour perd son sens quiest celle de la réciprocité.La marquise cherche, surtout pour donner au vicomte la nostalgie de leur liaison, à se persuader qu'elle a étéheureuse avec lui ; mais le vocabulaire du bonheur et du sentiment ne lui est pour le moins pas familier ce qui donnecette impression de surenchère dans l'expression : abondance de ponctuation qui provoque un rythme vif(notamment présence de l'exclamative pour suggérer les ébats du cœur), des interjections (« Oh! »), de l'adverbe« non »...
Il y a une certaine théâtralité de ce quasi monologue intérieur qui fonctionne comme une délibération.Ainsi fait-elle preuve d'une lucidité poignante (« je ne doute […] durable »).
Une expérience désenchantée del'amour dicte cette pensée ; la Marquise reconnaît l'existence du bonheur que donne la passion partagée mais ellepense contradictoirement que la conscience de sa fragilité, et même de son mensonge, est une condition de saperfection.
C'est dans ce contexte qu'elle feint d'accepter le pacte selon Valmont.Mais ne serait-ce pas là encore une méprise? Souvenons-nous que cette lettre est la réponse à celle où le vicomtecrie sa victoire sur Mme de Tourvel, et où il avoue avoir ressenti quelque chose qui ressemblait au bonheur, quelquechose qu'il n'avait jamais senti auparavant auprès d'une femme ; c'est-à-dire même pas auprès de la marquise.
Mmede Merteuil ne pourrait-elle pas vouloir rappeler à Valmont les moments qu'ils avaient vécus ensemble, pour ledétourner des pensées à la tendre présidente ?
Nous rentrons donc dans une ultime logique : celle du conflit, ou du moins ses prémisses.
Les prémisses de ce conflitqui « achèvera » les personnages et le roman se place dans la continuité de ce projet libertin bafoué dont seul unélément persistera à la perte de tous : la manipulation.Les tensions inavouées s'expriment à travers la technique d'argumentation (l'argumentation suppose toujours latension entre deux forces, deux pensées) employée : elle est présentée dès le départ ; il s'agit de « convaincre ».renforcé par toutes les injonctions que la Marquise adresse au Vicomte (« causons », « dites-moi », « croyez-moi »,« suivons », « n'oublions », « n'allons »), l'exemple qu'elle invoque pour soutenir ce qu'elle avance (« l'histoire de cesdeux fripons »), convaincre bien sur le Vicomte de différer leur nuit d'amour.
Ensuite elle devient plus pernicieuse : lamarquise tente de faire appel à ses souvenirs, les sentiments qu'il aurait eu autrefois pour elle (le dernier paragrapheévoqué précédemment) ou plus encore la mention qu'elle fait de Belleroche, qu'elle méprise par la dénominationqu'elle lui donne (« ce triste Belleroche », le démonstratif connoté très péjorativement, sans mentionner l'adjectif quile qualifie) et qui pourtant se débat à ses pieds (« se battre les flancs »), reprenant le topos de l'amant éconduitpour s'en moquer.
La « jalousie » qu'elle mentionne quant à ce dernier n'est que la jalousie qu'elle cherche àprovoquer chez son destinataire, par la mention entre autre des « caresses » que le verbe à valeur hyperboliquesouligne encore : « surcharge ».Il s'agit dès lors de persuasion, persuasion qu'elle utilise pour essayer de cerner son adversaire qui semble luiéchapper, marque de faiblesse de la Marquise qui semblait jusqu'alors réussir à lire dans l'Autre comme dans un livreouvert.
Toutes les questions qu'elle lui adresse ne sont là que pour montrer du doigt cette opacité de Valmont dontla Marquise est consciente et qui pique son amour propre.
Elle tente de savoir si le Vicomte est oui ou non sousl'emprise de Tourvel, savoir jusqu'où cela va, si la présidente lui écrit, lui a écrit, combien de fois (voir la pique « oula tendre Dévote doit beaucoup écrire », hypothèse dans le balancement et le verbe).La Marquise n'en reste pas là et attaque même si cela reste dans le sous entendu (elle prétend dans une doublenégation n'agir « ni par humeur, ni par caprice ») : c'est par ailleurs le mode de fonctionnement de la Marquise.
Toutd'abord, la question qu'elle adresse au Vicomte « Mais dites-moi, Vicomte, qui de nous deux se chargera de tromper.
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