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Commentaire composé. Maurice Barrès, Les Déracinés (1897). « Cet arbre est l'image expressive d'une belle existence »

Publié le 12/11/2013

Extrait du document

Roemerspacher, l'un des sept jeunes Nancéiens installés à Paris, rencontre le philosophe Taine (personne réelle mêlée à des personnages inventés). Celui-ci, contemplant un platane dans un jardin public, lui fait part de ses réflexions. Il voit dans cet arbre le symbole de «l'acceptation des nécessités de la vie «.

Ils étaient arrivés devant le square des Invalides ; M. Taine s'arrêta, mit ses lunettes et, de son honnête parapluie, il indiquait au jeune homme un arbre assez vigoureux, un platane, exactement celui qui se trouve dans la pelouse à la hauteur du trentième barreau de la grille compté depuis l'esplanade. Oui, de son parapluie mal roulé de bourgeois négligent, il désignait le bel être luisant de pluie, inondé de lumière par les destins alternés d'une dernière journée d'avril.

« Combien je l'aime, cet arbre ! Voyez le grain serré de son tronc, ses nœuds vigoureux ! Je ne me lasse pas de l'admirer et de le comprendre. Pendant les mois que je passe à Paris, puisqu'il me faut un but de promenade, c'est lui que j'ai adopté. Par tous les temps, chaque jour, je le visite. Il sera l'ami et le conseiller de mes dernières années... Il me parle de tout ce que j'ai aimé : les roches pyrénéennes, les chênes d'Italie, les peintres vénitiens. Il m'eût réconcilié avec la vie, si les hommes n'ajoutaient pas aux dures nécessités de leur condition tant d'allégresse dans la méchanceté.

Sentez-vous sa biographie ? Je la distingue dans son ensemble puissant et dans chacun de ses détails qui s'engendrent. Cet arbre est l'image expressive d'une belle existence. Il ignore l'immobilité. Sa jeune force créatrice dès le début lui fixait sa destinée, et sans cesse elle se meut en lui, Puis-je dire que c'est sa force propre? Non pas, c'est l'éternelle unité, l'éternelle énigme qui se manifeste dans chaque forme. Ce fut d'abord sous le sol, dans la douce humidité, dans la nuit souterraine, que le germe devint digne de la lumière. Et la lumière alors a permis que la frêle tige se développât, se fortifiât d'états en états. Il n'était pas besoin qu'un maître du dehors intervînt. Le platane allégrement étageait ses membres, élançait ses branches, disposait ses feuilles d'année en année jusqu'à sa perfection. Voyez qu'il est d'une santé pure ! Nulle prévalence de son tronc, de ses branches, de ses feuilles ; il est une fédération bruissante. Lui-même il est sa loi et il l'épanouit... Quelle bonne leçon de rhétorique' ; et non seulement de l'art du lettré, mais aussi quel guide pour penser ! Lui, le bel objet, ne nous fait pas voir une symétrie à la française' mais la logique d'une âme vivante et ses engendrements. Au terme d'une vie où j'ai tant aimé la logique, il me marque ce que j'eus peut-être de systématique et qui n'exprimait pas toujours ma décision propre, mais une influence extérieure. En éthique surtout je le tiens pour mon maître. Regardez-le bien. Il a eu ses empêchements, lui aussi ; voyez comme il était gêné par les ombres des bâtiments : il a fui vers la droite, s'est orienté vers la liberté, a développé fortement ses branches en éventail sur l'avenue. Cette masse puissante de verdure obéit à une raison secrète, à la plus sublime philosophie, qui est l'acceptation des nécessités de la vie. Sans se renier, sans s'abandonner, il a tiré des conditions fournies par la réalité le meilleur parti, le plus utile. Depuis les plus grandes branches jusqu'aux plus petites radicelles, tout entier il a opéré le même mouvement... Et maintenant, cet arbre qui, chaque jour avec confiance, accroissait le trésor de ses énergies, il va disparaître parce qu'il a atteint sa perfection. L'activité de la nature, sans cesser de soutenir l'espèce, ne veut pas en faire davantage pour cet individu. Mon beau platane aura vécu. Sa destinée est ainsi bornée par les mêmes lois, qui, ayant assuré sa naissance, amèneront sa mort. Il n'est pas né en un jour, il ne disparaîtra pas non plus en un instant... Déjà en moi des parties se défont et bientôt je m'évanouirai ; ma génération m'accompagnera, et puis un peu plus tard viendra votre tour et celui de vos camarades... «

 

Maurice Barrès, Les Déracinés (1897).

Maurice Barrès, dans Les Déracinés, narre l'histoire de sept jeunes gens qui, en 1879, suivent avec passion au lycée de Nancy l'enseignement de leur professeur de philosophie, M. Bouteiller. Ce dernier, selon Barrès, exerce sur eux une influence désastreuse en leur inculquant un humanisme abstrait qui les coupe de leurs racines familiales et régionales, parce qu'il ne s'intéresse qu'à l'homme universel. Les sept jeunes gens se retrouvent ensuite à Paris où ils essaient d'occuper des postes importants dans la société. Certains d'entre eux réussissent, mais Racadot et Mouchefrin sombrent dans le crime ; Racadot finit guillotiné. Les Déracinés est un roman à thèse : Barrès y démontre la nécessité de l'enracinement dans la tradition et la région, enracinement qui garantirait le respect de la morale et des valeurs nationales. Si l'on se réfère à la thèse barrésienne de la nécessité de l'« enracinement «, il n'est pas étonnant qu'une scène, correspondant au titre du roman où la métaphore de l'arbre est déjà implicite, réunisse Roemerspacher, un des sept jeunes hommes, et le philosophe Taine, en présence d'un platane. Taine est une personne réelle qui, dans la seconde moitié du XIXe siècle, prôna un rationalisme positiviste et expliqua les œuvres artistiques par les conditions de race, de moment selon la vie des créateurs et de milieu social et politique.

Dans cet extrait qui met en scène un maître et un disciple, s'expriment à la fois une philosophie et une vision poétique de l'existence.

Texte ................................................................................................................................................................ 1 

Introduction .................................................................................................................................................... 3 

I. Maître et disciple .................................................................................................................................... 3 

1) Taine, le maître de Roemerspacher.................................................................................................... 3 

2) Taine, le disciple de l’arbre. ............................................................................................................... 4 

II. La transmission d'une philosophie ......................................................................................................... 4 

1) Un discours structuré ......................................................................................................................... 4 

2) Une critique du cartésianisme ............................................................................................................ 4 

III. Une vision poétique de l'existence ...................................................................................................... 4 

1) Une allégorie ....................................................................................................................................... 4 

2) Un poème en prose ............................................................................................................................. 5 

Conclusion ....................................................................................................................................................... 5 

« Sentez-vous sa biographie ? Je la distingue dans son ensemble puissant et dans chacun de ses détails qui s'engendrent.

Cet arbre est l'im age expressive d'une belle existence.

Il ignore l'immobilité.

Sa jeune force créatrice dès le début lui fixait sa destinée, et sans cesse elle se meut en lui, Puis-je dire que c'est sa force propre ? Non pas, c'est l'éternelle unité, l'éternelle énigme qui se manifeste dans chaque forme.

Ce fut d 'abord sous le sol, dans la douce humidité, dans la nuit souterraine, que le germe de vint digne de la lumière.

Et la lumière alors a permis que la frêle tige se développât, se fortif iât d'états en états.

Il n'était pas besoin qu'un maître du dehors intervînt.

Le platane allégrement étageait ses membres, élançait ses branches, disposait ses feuilles d'année en année j usqu'à sa perfection.

Voyez qu'il est d'une santé pure ! Nulle prévalence de son tronc, de ses branches, de ses feuilles ; il est une fédération bruissante.

Lui-même il est sa loi et il l'épanouit...

Quelle bonne leçon de rhétorique' ; et non seulement de l'art du lettré, mais aussi quel guide pour penser ! Lui, le bel objet, ne nous fait pas voir une symétrie à la fran çaise' mais la logique d'une âme vivante et ses engendrements.

Au terme d'une vie où j'ai tant aimé la logique, il me marque ce que j'eus peut-être de systématique et qui n'exprimait pas to ujours ma décision propre, mais une influence extérieure.

En éthique surtout je le tien s pour mon maître.

Regardez-le bien.

Il a eu ses empêchements, lui aussi ; voyez comme il était gêné par les ombres des bâtiments : il a fui vers la droite, s'est orienté vers la liberté, a dé veloppé fortement ses branches en éventail sur l'avenue.

Cette masse puissante de verdure obéit à une raison secrète, à la plus sublime philosophie, qui est l'acceptation des nécessités d e la vie.

Sans se renier, sans s'abandonner, il a tiré des conditions fournies par la réalité le me illeur parti, le plus utile.

Depuis les plus grandes branches jusqu'aux plus petites radicelles, tout entier il a opéré le même mouvement...

Et maintenant, cet arbre qui, chaque jour avec conf iance, accroissait le trésor de ses énergies, il va disparaître parce qu'il a atteint sa perfecti on.

L'activité de la nature, sans cesser de soutenir l'espèce, ne veut pas en faire davantage p our cet individu.

Mon beau platane aura vécu.

Sa destinée est ainsi bornée par les mêmes lo is, qui, ayant assuré sa naissance, amèneront sa mort.

Il n'est pas né en un jour, il n e disparaîtra pas non plus en un instant...

Déjà en moi des parties se défont et bientôt je m'é vanouirai ; ma génération m'accompagnera, et puis un peu plus tard viendra votre tour et celu i de vos camarades...

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