Commentaire composé : Laclos, De l'éducation des femmes, 1783 : Ô femmes ! Approchez et venez m'entendre...
Publié le 26/07/2012
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ô ! Femmes ,approchez et venez m'entendre. Que votre curiosité , dirigée une fois sur des objets utiles, contemple les avantages que vous avait donnés la nature et que la société vous a ravis. Venez apprendre comment, nées compagnes de l'homme, vous êtes devenues son esclave ; comment, tombées dans cet état abject, vous êtes parvenues à vous y plaire, à le regarder comme votre état naturel ; comment enfin, dégradées de plus en plus par votre longue habitude de l'esclavage, vous en avez préféré les vices avilissants, mais commodes, aux vertus plus pénibles d'un être libre et respectable. Si ce tableau fidèlement tracé vous laisse de sang-froid, si vous pouvez le considérer sans émotion, retournez a vos occupations futiles. Le mal est sans remède, les vices se sont changés en moeurs. Mais si au récit de vos malheurs et de vos pertes, vous rougissez de honte et de colère, si des larmes d'indignation s'échappent de vos yeux, si vous brûler du noble désir! de ressaisir vos avantages, de rentrer dans la plénitude de votre être, ne vous laisser plus abuser par de trompeuses promesses, n'attendez point les secours des hommes auteurs de vos maux : ils n'ont ni la volonté, ni la puissance de les finir, et comment pourraient-ils former des femmes devant lesquelles ils seraient forcés de rougir ? Apprenez qu'on ne sort de l'esclavage que par une grande révolution. Cette révolution est-elle possible ? C'est à vous seules à le dire puisqu'elle dépend de votre courage. Est-elle vraisemblable ? Je me tais sur cette question ; mais jusqu'à ce qu'elle soit arrivée, et tant que les hommes régleront votre sort, je serais autorisé à dire, et il me sera facile de prouver qu'il n'est aucun moyen de perfectionner l'éducation des femmes. Partout où il y a esclavage , il ne peut y avoir éducation ; dans toute société, les femmes sont esclaves ; donc la femme sociale n'est pas susceptible d'éducation. Si les principes de ce syllogisme sont prouvés, on ne pourra nier la conséquence. Or, que partout où il y a esclavage il ne puisse y avoir éducation, c'est une suite naturelle de la définition de ce mot ; C'est le propre de l'éducation de développer les facultés, le propre de l'esclavage c'est de les étouffer ; c'est le propre de l'éducation de diriger les facultés développées vers l'utilité sociale, le propre de l'esclavage est de rendre l'esclave ennemi de la société .
Choderlos de Laclos, De l'éducation des femmes, 1783
«
esclavage ».
Les femmes sont tout d'abord considérées comme l'esclave des hommes.
Il y a ainsi l'ébauche d'une relation entre maître et esclave dans ce texte.
Laclosréfléchit sur un problème proprement philosophique, qui trouvera son accomplissement conceptuel avec Hegel, au XIX°s.
Seulement, ici, l'esclavage n'est pas uneporte ouverte, contrairement à la philosophie hégélienne, à une transcendance vers la liberté.
Les femmes sont considérées comme asservies à jamais à ce qu'on a puappeler, dans la critique littéraire sur Les Liaisons dangereuses, la « spermocratie » : « dégradées de plus en plus par votre longue habitude de l'esclavage, vous enavez préféré les vices avilissants, mais commodes, aux vertus plus pénibles d'un être libre et respectable ».
Les femmes ne sont plus jugées capables de sortir d'elles-mêmes de leur esclavage.
On pourra contester les assertions finales de Laclos, concernant le fait que dans toute société les femmes sont esclaves.
Les travauxethnographiques étaient insuffisants, si ce n'est nuls, à cette époque, pour qu'il ait pu avoir une quelconque connaissance des mœurs des autres civilisations.
L'enjeude telles assertions, donc non-fondées, joue plutôt sur la dimension phatique du langage.
L'écriture de Laclos vise à susciter un mouvement d'adhésion du lecteur :c'est le principe de l'argumentation.La « révolution » du texte se situe dès lors dans le renversement de perspective par rapport à la question proposée.
L'enjeu du débat n'est plus de savoir si les femmesdoivent être ou non éduquées.
De fait, ce débat est biaisé.
Si l'on pose cette question, c'est qu'on a trop longtemps asservi les femmes, en ne leur permettant pas des'élever intellectuellement.
La question que pose Laclos est celle de la condition féminine.
Il décline cette question, parce qu'il considère qu'en fin de compte ce n'estpas à lui de répondre, mais aux femmes elles-mêmes : la réponse d'un homme n'apporterait rien au problème : « n'attendez point les secours des hommes auteurs devos maux : ils n'ont ni la volonté, ni la puissance de les finir ».
Laclos n'est donc pas apte à répondre à la question.
La représentation de la condition de la femme estextrêmement vibrante dans cet extrait.
Il brosse tout d'abord un tableau entièrement pessimiste de femmes oisives, indolentes, se complaisant dans leur esclavage.
Ilen dresse ensuite un tableau absolument autre : des femmes animées de colère, de vengeance, prenant, en un mot, leur situation en main.
Ainsi la « révolution » dontparle l'écrivain n'est possible que par le « courage » des femmes.
C'est à elle de se prendre en main.De fait ce texte ne répond pas du tout aux attentes du lecteur, et donc du jury de l'Académie.
En quelques lignes, le sujet est traité, puis oublié.
En cela l'on peut voirque ce texte est l'œuvre d'un écrivain, déjà connu à l'époque puisque Les Liaisons dangereuses sont déjà sorties, et non d'un polémiste ou d'un moraliste.
C'est ce quifait toute l'originalité d'une telle argumentation.Le sujet est en quelque sorte un sujet prétexte.
On voit qu'il s'en éloigne très vite.
On peut supposer que Laclos s'est saisi de cette opportunité de la parution d'un tellibellé par l'Académie, pour traiter un sujet qui l'intéressait déjà.
En effet, l'effort de Laclos vise à montrer « que l'éducation prétendue, donnée aux femmes jusqu'à cejour, ne mérite pas en effet le nom d'éducation, que nos lois et nos mœurs s'opposent également à ce qu'on puisse leur en donner une meilleure et que si, malgré cesobstacles, quelques femmes parvenaient à se la procurer, ce serait un malheur pour elles et pour nous ».
Une libération, dans une société corrompue, entraîne, à undegré supérieur, une nouvelle dégradation.
Comment ne pas songer à Mme de Merteuil, dont la dépravation et l'immoralisme furent la condition de sonaffranchissement? La question de la femme le préoccupait déjà dans Les Liaisons dangereuses.
L'entrée en matière n'est donc pas entièrement inutile.
Laclos déguisesous le genre des Réponses à l'Académie un texte qui reste somme toute, pour l'époque, subversif.
Ce sujet lui permet donc d'exposer certaines idées qu'il n'auraitprobablement pas pu exprimer dans d'autres circonstances.
Mais ce n'est pas uniquement la dimension polémique qui l'intéresse.
Comme dans Les Liaisonsdangereuses, Laclos part de sujets et de thèmes souvent scandaleux, mais pour les élever à une certaine poésie, une magnificence qui tenterait de transformer levulgaire en sublime.Ce texte est ainsi éminemment lyrique, ce qui est étonnant dans un tel contexte scripturaire.
Les Réponses à l'Académie n'appelait pas une écriture emportée, maisbien plutôt une argumentation ordonnée, cohérente, répondant de manière claire au problème.
Laclos se dégage d'emblée d'une telle perspective.
Ainsi l'ouverture dutexte surprend quelque peu : « Ô ! Femmes, approchez et venez m'entendre ».
L'écrivain s'adresse directement aux femmes, alors que ce texte est explicitementdestiné aux membres de l'Académie, membres masculins bien évidemment.
En cela également, l'auteur ne répond pas à la question.
Ou en tout cas, s'il y répond, il nerépond pas à celui qui lui a posé la question.
Ceci ne peut que nous convaincre sur le fait que Laclos ne s'est que peu soucié du sujet académique dans son intitulémême.
Le rythme des phrases est également très travaillé, laissant place à une certaine musique textuelle : ainsi le réseau dans le premier paragraphe organisé par lesadverbes interrogatifs « comment » qui dresse dans une tonalité lyrique un constat alarmant.
Les descriptions de la femme sont également extrêmement touchantes : «si (…) vous rougissez de honte et de colère, si des larmes d'indignation s'échappent de vos yeux, si vous brûlez du noble désir de ressaisir vos avantages, de rentrerdans la plénitude de votre être ».
La description confine à l'hypotypose (c'est-à-dire donne à voir directement quelque chose).
Un certain pathétique naît de ce portraitdéchiré de la femme asservie.C'est finalement plus la femme elle-même qui intéresse plus Laclos, que la condition féminine, ou encore plus son éducation.
Dans cet extrait de sa réponse àl'Académie, Laclos laisse exprimer une violente passion pour la femme, qui s'exprime à travers sa volonté de les voir libres et en pleine possession de leurs moyens.
Ilne faut pas pour autant faire de Laclos un écrivain féministe.
Ce qui l'intéresse, c'est principalement la femme prise à travers le filtre littéraire.
Il cherche dans cetexte, à retrouver chez les femmes, l'énergie d'une Merteuil.
Laclos est de fait le premier écrivain, si l'on veut, à avoir élever la femme au rang de personnage centraldans une œuvre littéraire, au rang d'un homme.
Mme de Merteuil ne se laisse commander par personne, n'est pas soumise à des contraintes sociales ou culturellesconcernant spécifiquement les femmes.
Mme de Merteuil est avant tout une femme libre.
Laclos élève ainsi également dans ce texte la femme au rang d'héroïne.
Elledevient un personnage littéraire, et non plus réellement une image réelle de la société.Cet passage extrait de De l'éducation des femmes, est donc éminemment paradoxal.
De fait, Laclos d'une part ne répond pas à la question, et surtout il ne composepas vraiment dans le genre attendu de la réponse académique, qui est celui de l'argumentation logique.
Certes, il y a des traces d'une argumentation, même parfoispoussée avec la structure en syllogisme.
Mais ces traces ne servent qu'à servir ce qui échappe à l'argumentation : la passion de l'écrivain pour la Femme, la femme entant qu'il la conçoit et non comme elle existe.Ce texte est donc bien plus l'œuvre d'un écrivain, déjà arrivé à sa maturité, plutôt que celle d'un théoricien facile comme il y en avait tant au XVIII°s..
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