Commentaire composé La Condition Humaine, Malraux (incipit)
Publié le 18/02/2012
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Première partie
21 mars 1927
Minuit et demi.
Tchen tenterait-il de lever la moustiquaire ? Frapperait-il au
travers ? L'angoisse lui tordait l'estomac ; il connaissait sa propre
fermeté, mais n'était capable en cet instant que d'y songer avec
hébétude, fasciné par ce tas de mousseline blanche qui tombait du
plafond sur un corps moins visible qu'une ombre, et d'où sortait
seulement ce pied à demi incliné par le sommeil, vivant quand
même — de la chair d'homme. La seule lumière venait du building
voisin : un grand rectangle d'électricité pâle, coupé par les barreaux
de la fenêtre dont l'un rayait le lit juste au-dessous du pied comme
pour en accentuer le volume et la vie. Quatre ou cinq klaxons grincèrent
à la fois. Découvert ? Combattre, combattre des ennemis qui
se défendent, des ennemis éveillés !
La vague de vacarme retomba : quelque embarras de voitures (il
y avait encore des embarras de voitures, là-bas, dans le monde des
hommes...). Il se retrouva en face de la tache molle de la mousseline
et du rectangle de lumière, immobiles dans cette nuit où le
temps n'existait plus.
Il se répétait que cet homme devait mourir. Bêtement : car il
savait qu'il le tuerait. Pris ou non, exécuté ou non, peu importait.
Rien n'existait que ce pied, cet homme qu'il devait frapper sans
qu'il se défendît, - car, s'il se défendait, il appellerait.
Les paupières battantes, Tchen découvrait en lui, jusqu'à la
nausée, non le combattant qu'il attendait, mais un sacrificateur. Et
pas seulement aux dieux qu'il avait choisis : sous son sacrifice à la
révolution, grouillait un monde de profondeurs auprès de quoi cette
nuit écrasée d'angoisse n'était que clarté. « Assassiner n'est pas seulement
tuer... « Dans ses poches, ses mains hésitantes tenaient, la
droite un rasoir fermé, la gauche un court poignard. Il les enfonçait
le plus possible, comme si la nuit n'eût pas suffi à cacher ses gestes.
Le rasoir était plus sûr, mais Tchen sentait qu'il ne pourrait jamais
s'en servir ; le poignard lui répugnait moins. Il lâcha le rasoir dont
le dos pénétrait dans ses doigts crispés ; le poignard était nu dans sa
poche, sans gaine. Il le fit passer dans sa main droite, la gauche
retombant sur la laine de son chandail et y restant collée. Il éleva
légèrement le bras droit, stupéfait du silence qui continuait à
l'entourer, comme si son geste eût dû déclencher quelque chute.
Mais non, il ne se passait rien : c'était toujours à lui d'agir.
André Malraux, La Condition humaine, I, Gallimard, 1933.
De nombreux écrivains se sont inspirés de leurs voyages pour écrire leurs livres. C’est le cas de Malraux avec son expérience de l’Indochine qui l’a inspiré pour ses premières œuvres et notamment pour l’un de ses romans les plus célèbres : La Condition Humaine. L’extrait présenté est tiré de cet ouvrage, écrit en 1933. Le texte se situe au début du roman et raconte la tentative de meurtre de Tchen, un révolutionnaire. Celui-ci doit assassiner un opposant à la révolution et, malgré sa fermeté, est en proie au doute et à la peur. Dans quelle mesure peut-on dire que le style d’écriture fait ressortir l’atmosphère d’angoisse ? Cet extrait possède une ambiance lourde et pesante mise en valeur par l’écriture originale de Malraux.
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Commentaire :
De nombreux écrivains se sont inspirés de leurs voyages pour écrire leurs livres.
C’est le cas
de Malraux avec son expérienc e de l’Indochine qui l’a inspiré pour ses premières œuvres et
notamment pour l’un de ses roman s les plus célèbres : La Condition Humaine .
L’extrait
présenté est tiré de cet ouvrage, écrit en 1933.
Le texte se situe au début du roman et raconte
la tentative de meurtre de Tchen, un révolutionnaire.
Celui -ci doit assassiner un opposant à la
révolution et, malgré sa fermeté, est en proie au doute et à la peur.
Dans quelle mesure peut -
on dire que le style d’écriture fait ressortir l’atmosphère d’angoisse ? Cet extrait possède une
ambiance lourde et pesante mise en valeur par l’écriture originale de Malraux.
Dans ce passage, Malraux installe une atmosphère de peur que l’on peut percevoir grâce au
personnage principal, Tchen.
La scène se déroule la « nuit » (l.26).
L’auteur peut alors mettre en place tout un jeu
d’ombres et de lumières.
La lumière , artificielle , provenant du « building voisin » est désignée
par métonymie (« un grand rectangle d’électricité pâle » (l.8) ), et crée une ombre qui
« raye le lit ».
L’auteur oppose la « tache molle de la mousseline blanche » (l.4 , 15) au corps
allongé, sombre et « moins visible qu’une ombre ».
Le mot « nuit », répété trois fois (l.16, 26,
29), fait écho au « monde de profondeurs » (l.25) qu’est l’inconscient de Tchen , lui-même
opposé au mot « clarté ».
Parallèlement aux jeux de lumière, l’auteur crée un contraste entre
le silence, omniprésent et les bruits .
On retrouve un champ lexical du son (« klaxons »,
« grincèrent », « vacarme », « silence », l.10, 11, 13, 35).
L e dormeur, tout comme Tchen,
reste complètement silencieux, seul la ville, « le monde des hommes » (l.
14, 15) semble
encore s’exprimer un peu à travers les bruits des voitures.
La tension créée est ainsi
dramatique, le lecteur est directement plongé dans l’action, sans indication de lieu ou sur les
personnages.
Le temps est comme suspendu, il « n’existait plus » (l.17) .
Tchen, seul
personnage désigné par un nom, est fermement décidé à tuer (« il savait qu’il le tuerait »,
l.19).
On peut donc s’attendre à un meurtre imminent, ce qui augmente encore la tension qui
règne dans la chambre.
Malraux veut plonger le lecteur directement dans son roman.
La mise
en place dès l’incipit de l’atmosphère qui est lourde, inquiétante immerge rapidement le
lecteur dans l’enf er de cette nuit pleine d’angoisse et laisse présager une suite tout aussi
tourmentée.
Par ailleurs, l e personnage de Tchen traduit bien la tension omniprésente.
Tout le texte, dont
le premier mot est « Tchen », est axé sur ses sentiments et ses pensées .
Tchen est fébrile, a
peur.
On retrouve son état de tension avec sa réaction suite aux bruits des « klaxons » (l.10) ,
qu’il perçoit avec démesure, comme une « vague de vacarme » et qui lui font imaginer le pire
(« Découvert ? » l.11).
La phrase suivante m ontre que Tchen a peur d’affronter « des ennemis
éveillés », capables de se défendre, ce qui est aveu de faiblesse de sa part, lui qui se veut si
ferme.
Il semble dans une sorte d’autre monde, opposé au « monde des hommes », lointain
(« là -bas » l.14).
Il semble également dans une sorte de torpeur (« hébétude », « bêtement »,
« stupéfait » l.4, 18, 35).
Il est « fasciné par ce tas de mousseline blanche » (l.4), ce bout de
tissus qui le sépare du meurtre, cet interdit qu’il faut transpercer.
Dans sa tête, le s sensations
se succèdent avec les lexiques de l’ouïe (« klaxons », « silence », l.10, 35) et de la vue
(« blanche », « visible », « ombre », « lumière », l.4, 5, 7).
Tchen est également résolu à tuer,
« Il se répétait que cet homme devait mourir » (l.22) .
Il sait qu’il peut le faire, « il connaissait
sa propre fermeté » (l.2, 3), « Il savait qu’il le tuerait » (l.19) mais il hésite quand même,
hésitation marquée par les deux premières questions.
Plus loin dans le texte, Tchen se justifie
et tente de se rass urer avec cette phrase « Assassiner n’est pas seulement tuer… » (l.26, 27) ,
mais son manque d’assurance est encore là comme le montrent « ses mains hésitantes » ,.
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