Comment un critique a-t-il pu dire que Chateaubriand était la plus grande date de l'Histoire littéraire de la France depuis la Pléiade ?
Publié le 03/03/2011
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Au XVIe siècle les poètes français avaient, tout d'un coup, tourné le dos à leurs prédécesseurs du Moyen Age. C'était un effet de la Renaissance. Du Bellay, Ronsard et leurs amis, enivrés de l'antiquité, avaient condamné les efforts naïfs de leurs devanciers et ils avaient décidé d'imiter les anciens. A partir de ce moment la mode commanda d'être grec et romain, mode qui eut ses bons côtés, car il y avait beaucoup è prendre dans l'antiquité et la mine était riche ; mais cette mode avait aussi des inconvénients. N'est-il pas dangereux, quand on est Français, de parler, tout d'un coup, comme si l'on était grec ou romain ?
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Ce bienfait frappa les contemporains ; mais à côté de cette œuvre d'émotion et de persuasion, il fallait poursuivreau fond des esprits une lente et patiente conquête.
Chateaubriand se faisait apologiste et, suivant le motpittoresque de Théophile Gautier, « il restaurait la cathédrale gothique ».
Il a donc combattu et réfuté la thèse! de Boileau qui prétendait que la religion et la poésie devaient être tenuesséparées.
Il l'a combattue à un moment où elle était bien plus dangereuse et plus virulente qu'au lendemain de l'Art Poétique,car au XVIIe siècle, elle avait un caractère systématique et théorique, mais anodin et assez inoffensif.
AprèsVoltaire et les Encyclopédistes, elle s'était faite hostile et agressive.
Elle avait revêtu une forme nettementantireligieuse.
Chateaubriand, en prouvant qu'on pouvait donner cours à l'inspiration chrétienne, a ouvert la voie à ceux qui,comme Lamartine, comme Victor Hugo, comme Musset et tant d'autres, allaient traiter en vers des sujets religieux(.Méditations poétiques, Harmonies poétiques et religieuses, l'espoir en Dieu, etc.).
Le maître ne s'est pas contenté de montrer que la route était ouverte.
Il a composé un poème épique à l'appui de sadoctrine : Les Martyrs ont paru.
On peut y relever des inégalités et des maladresses.
On peut chicaner le titre depoème qu'on est tenté de lui donner et soutenir que l'ouvrage n'est pas en vers ; mais c'est bien un poème chrétien,avec ses erreurs, mais avec ses beautés.
Boileau s'était étonné que les auteurs des Mystères aient osé
« Jouer les Saints, la Vierge et Dieu par piété ».
Chateaubriand n'a pas craint de représenter des chrétiens et des martyrs, des anges et des démons, et il a mêmeosé recourir aux ressorts les plus hardis du « merveilleux chrétien ».
Il n'a pas toujours réussi et sa main a étésouvent maladroite ; mais les droits du poète religieux ont été revendiqués et reconquis.
Ainsi Chateaubriand a nivelé les barrières que les systèmes et les préventions, les timidités du goût ou de la foi, lamalveillance des esprits hostiles avaient entassés devant les pas des écrivains et des poètes.
C'est donc vraimentune grande date de la littérature qu'il a marquée et sans doute la plus grande date depuis la Renaissance.
Cela ne veut pas dire, naturellement, que son nom soit plus grand que ceux de Victor Hugo, de Lamartine et dequelques autres, de même que la gloire d'un Corneille ou d'un Racine surpasse de beaucoup celle d'un Ronsard oud'un Du Bellay.
Mais il a été un initiateur, comme avaient! été les hommes de la Renaissance, cela suffit.
Cependant, si importante que soit cette révolution dans la pensée, Chateaubriand ne tient pas tout entier danscette réforme.
Il a été un merveilleux poète de la nature extérieure.
Là encore il a été grand novateur.
Il a « rouvertla grande nature fermée ».
C'est encore Théophile Gautier qui le dit.
Entendons-nous : la nature n'était pas ferméedepuis J.-J.
Rousseau et Chateaubriand doit beaucoup à l'écrivain merveilleux qui a révélé aux Français et à tous lesentiment de la nature.
Mais Rousseau, qui a si bien senti la beauté du Léman et des vallées des Alpes, n'a pasconnu, n'a pas rendu le mystère troublant de la forêt vierge, de la savane, Rousseau n'a pas navigué, il n'a pas vul'Orient.
Si Chateaubriand, peintre de la nature, a été le disciple de Rousseau, il a singulièrement élargi les conquêtesdu maître, moins par l'étendue géographique de ses découvertes, que par l'accent dont il a su en parler, par lescouleurs dont il les a revêtues.
Si nous n'avions pas eu Chateaubriand, nous n'aurions pas Pierre Loti.
Le maître aprêté des yeux à une foule d'écrivains venus après lui et qui peuvent le surpasser dans l'art d'animer la nature.
Merveilleux émancipateur, Chateaubriand a appris aux écrivains à parler librement, à se confier eux-mêmes au papieret à livrer leur moi au pub fie.
L'âme moderne n'est plus renfermée sut elle-même, elle s'épanche : malade souvent,elle ne garde pas le secret de ce qu'elle souffre.
Elle parle haut de son mal et tend à le répandre.
Ses confidencessont souvent contagieuses.
Dans René, l'auteur a divulgué une véritable maladie morale, quitte à la répandre autourde lui.
Il a inventé la mélancolie moderne, a encore dit de lui Théophile Gautier.
Non, il ne l'a pas inventée, mais il l'arévélée et mise à la mode.
Lui-même a reconnu plus tard le danger moral de cette divulgation et a paru regretterl'influence de cette diffusion dans la jeunesse ; mais si la mélancolie a, en effet, ses dangers, elle est une forme dela pensée et peut devenir une manifestation du génie.
Chateaubriand, ayant trouvé en lui cette puissance fécondeet dangereuse, l'a révélée au dehors.
Du même coup, les poètes se sont enhardis.
Ils ont raconté leurs peines et lapoésie lyrique moderne est née, avec ses larmes et ses grandeurs.
Ici encore et plus que sur d'autres points,Chateaubriand a été créateur et le mot d'Emile Faguet se trouve largement justifié..
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