► Comment le récit autobiographique permet-il de revivre un bonheur passé dans toute son intensité, notamment sensorielle ?
Publié le 09/09/2018
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Ô géraniums, ô digitales1... Celles-ci fusant des bois-taillis, ceux-là en rampe allumés au long de la terrasse, c’est de votre reflet que ma joue d’enfant reçut un don vermeil. Car « Sido » aimait au jardin le rouge, le rose, les sanguines filles du rosier, de la croix de Malte1, des hortensias, et des bâtons-de-Saint-Jacques, et même le coqueret-alkékenge1, encore qu’elle accusât sa fleur, veinée de rouge sur pulpe rose, de lui rappeler un mou2 de veau frais... À contrecoeur elle faisait pacte avec l’Est : « Je m’arrange avec lui », disait-elle. Mais elle demeurait pleine de suspicion et surveillait, entre tous les cardinaux et collatéraux3, ce point glacé, traître aux jeux meurtriers. Elle lui confiait des bulbes de muguet, quelques bégonias, et des crocus mauves, veilleuses des froids crépuscules.
Hors une corne de terre, hors un bosquet de lauriers-cerises dominés par un junko-biloba1, − je donnais ses feuilles, en forme de raie, à mes camarades d’école, qui les séchaient entre les pages de l’atlas − tout le chaud jardin se nourrissait d’une lumière jaune, à tremblements rouges et violets, mais je ne pourrais dire si ce rouge, ce violet, dépendaient, dépendent encore d’un sentimental bonheur ou d’un éblouissement optique. Étés réverbérés par le gravier jaune et chaud, étés traversant le jonc tressé de mes grands chapeaux, étés presque sans nuits... Car j’aimais tant l’aube, déjà, que ma mère me l’accordait en récompense. J’obtenais qu’elle m’éveillât à trois heures et demie, et je m’en allais, un panier vide à chaque bras, vers des terres maraîchères qui se réfugiaient dans le pli étroit de la rivière, vers les fraises, les cassis et les groseilles barbues.
À trois heures et demie, tout dormait dans un bleu originel, humide et confus, et quand je descendais le chemin de sable, le brouillard retenu par son poids baignait d’abord mes jambes, puis mon petit torse bien fait, atteignait mes lèvres, mes oreilles et mes narines plus sensibles que tout le reste de mon corps... J’allais seule, ce pays mal pensant était sans dangers. C’est sur ce chemin, c’est à cette heure que je prenais conscience de mon prix, d’un état de grâce indicible et de ma connivence avec le premier souffle accouru, le premier oiseau, le soleil encore ovale, déformé par son éclosion...
Ma mère me laissait partir, après m’avoir nommée « Beauté, Joyau-tout-en-or » ; elle regardait courir et décroître sur la pente son œuvre, −« chef-d’œuvre », disait-elle. J’étais peut-être jolie; ma mère et mes portraits de ce temps-là ne sont pas toujours d’accord... Je l’étais à cause de mon âge et du lever du jour, à cause des yeux bleus assombris par la verdure, des cheveux blonds qui ne seraient lissés qu’à mon retour, et de ma supériorité d’enfant éveillée sur les autres enfants endormis.
Je revenais à la cloche de la première messe. Mais pas avant d’avoir mangé mon saoul4, pas avant d’avoir, dans les bois, décrit un grand circuit de chien qui chasse seul, et goûté l’eau de deux sources perdues, que je révérais. L’une se haussait hors de la terre par une convulsion cristalline, une sorte de sanglot, et traçait elle-même son lit sableux. Elle se décourageait aussitôt née et replongeait sous la terre. L’autre source, presque invisible, froissait l’herbe comme un serpent, s’étalait secrète au centre d’un pré où des narcisses, fleuris en ronde, attestaient seuls sa présence. La première avait goût de feuille de chêne, la seconde de fer et de tige de jacinthe... Rien qu’à parler d’elles je souhaite que leur saveur m’emplisse la bouche au moment de tout finir, et que j’emporte, avec moi, cette gorgée imaginaire...
1. nom de plantes
2. mou : viande pour l’alimentation des chats.
3. cardinaux et collatéraux : les points cardinaux sont les quatre points de l’horizon (nord, sud, est, ouest), les points collatéraux sont situés entre deux points cardinaux et à égale distance de ces derniers.
4. manger son saoul : manger jusqu’à en être rassasié.
Tenir compte de la question
• La question attire votre attention sur le fait que Colette se sert de l’autobiographie pour retrouver (« revivre », « souvenir ») le bonheur passé dans tous ses aspects.
• Vos titres d’axes doivent comporter un mot ou des mots de la question ou du moins des mots de la même famille (« autobiographie », « bonheur », « sensorielle » sens, ou sensuel, sensualité...).
Pour bien réussir l’oral : vor guide méthodologique.
L’autobiographie : voir lexique des notions.
Trouver les axes
Utilisez les pistes que vous ouvre la question, mais composez aussi la « définition » du texte (voir guide méthodologique).
Extrait d’autobiographie (genre) qui retrace le souvenir (type de texte) de matinées heureuses de l’enfant libre dans la nature (thème), lyrique (registre), pleines de sensations et marquées par la connivence mère-fille, pour revivre un bonheur passé (buts).
• l’eau : « rivière », « sources » ;
• les fruits : « fraises, cassis, groseilles barbues » ;
• les fleurs : « narcisses », « jacinthes » ;
• la végétation : << un pré » ;
• les animaux : « oiseau », « serpent » évoqué indirectement dans une comparaison.
2. Les sens en éveil : une initiation sensuelle : « sensibles », mot clé du texte
• La vue : « aube » et « lever du jour », les couleurs (« bleu originel », « bleus », « verdure », « blonds »).
• Le toucher : « humide », « brouillard retenu par son poids baignait [...] mon corps », « souffle ».
• L’ouïe : « la cloche », « sanglot », « sources ».
• Le goût : « mangé », « goûté l’eau », « goût de feuille de chêne,... de fer et de tige de jacinthe », « saveur », « gorgée imaginaire ».
3. L’aube recréée : l’écriture comme une naissance renouvelée
«
� Premier axe : un souvenir personnel
• Repérez les marques de l'autobiographie.
• Recher chez les indices qui marquent qu'il s'agit d'une autobiographie
dont l'auteur est le centre.
• Che rchez ce qui marque la permanence du souvenir dans le temps de
l'é criture.
� Deuxième axe : une évocation du bonheur
• Recherchez ce qui donne l'im pression de bonheur.
• Quels sont les souvenirs privilégiés ? Quelles sont les personnes
mentionnées ? Les rapports avec cette personne ou ces personnes ?
• Quel est le cadre de ces moments revécus ?
� Troisième axe : un éveil sensuel à la nature
• Recherchez quels types de sensations sont mentionnés.
• Analysez la façon dont elles sont rendues.
• Mo ntrez qu'il s'agit d'une initiation sensuelle à la vie.
PRÉSE NTATION
Introduction
(A mor ce) Dans l'autobiographie, importance de l'enfance et des sensations.
Fort attac hement de Colette à son enfance (plusieurs ouvrages autobiogra
phiq ues) et à la nature (a grandi à la campagne).
Élevée au rythme des
saisons et au gré des sensations enfantines --7 sensibil ité à l'environnement.
Bonheur qu'elle a perdu quand elle a vécu à Paris et qu'elle revit à travers
ses écrits autobiographiques dont l'un porte comme titre le nom de sa
mère , Sida .
Elle y décrit ses promenades matinales que lui permettait sa
compl icité avec sa mère, et les délices qu'elle en retirait.
Rappel de la question et annonce des axes de lecture.
1.
Un extra it d'autobiographie dont la narratrice est le centre
1.
Le " moi " au centre du souv enir
• Abondance des indices personnels de la première personne (en fonction
sujet : le sujet agissant).
• Co lette au centre de toutes les atte ntions maternelles : pronom personnel
de la 1re personne en fonction de complément d'objet (" ma mère me
l'a ccordait en réco mpen se '',.
»
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