Comme la fête et tous les autres rites, la tragédie grecque n’est d’abord qu’une représentation de la crise sacrificielle et de la violence fondatrice. René Girard
Publié le 19/03/2020
Extrait du document
«La fête repose sur une interprétation du jeu de la violence qui suppose la continuité entre la crise sacrificielle et sa résolution. Inséparable, désormais, de son dénouement favorable, la crise elle-même devient matière de réjouissances. »
(La Violence et le Sacré, ch. 5)
«Comme la fête et tous les autres rites, la tragédie grecque n’est d’abord qu’une représentation de la crise sacrificielle et de la violence fondatrice. Le port du masque dans le théâtre grec n’exige donc aucune explication particulière; il ne se distingue absolument pas des autres usages. Le masque disparaît quand les monstres redeviennent des hommes, quand la tragédie oublie complètement ses origines rituelles, ce qui ne veut pas dire, assurément, qu’elle ait cessé de jouer un rôle sacrificiel au sens large du terme. Elle s’est au contraire substituée complètement au rite. »
«Les historiens sont d’accord pour situer ia tragédie grecque dans une période de transition entre un ordre religieux archaïque et l’ordre plus ‘moderne’, étatique et judiciaire, qui va lui succéder. Avant d’entrer en décadence, l’ordre archaïque a dû connaître une certaine stabilité. Cette stabilité ne pouvait reposer que sur le religieux, c’est-à-dire sur le rite sacrificiel. »
{La Violence et le Sacré, ch.2)
«
48 • TRAGÉDIE GRECQUE (et rite) / 361
moins que, perdant la mémoire de la crise sacrificielle
originelle, elle ne tourne mal ou ne se banalise.
La tragé
die grecque, au même titre que la fête
et que tous les rites,
commémore la crise violente des origines (donc fonda
trice)
et organise le sacrifice qui vient résoudre la crise.
Selon Girard, la tragédie grecque témoigne d'une évolu
tion de caractère historique qui l'éloigne de ses origines
religieuses
et rituelles; il n'en demeure pas moins que,
prenant la place du sacrifice quand celui-ci disparaît, elle
conserve son caractère sacrificiel :
« Comme la fête et tous les autres rites, la tragédie
grecque n'est d'abord qu'une représentation de la crise
sacrificielle et de la violence fondatrice.
Le port du mas
que dans le théâtre grec n'exige donc aucune explication
particulière;
il ne se distingue absolument pas des au
tres usages.
Le masque disparait quand les monstres
redeviennent des hommes, quand la tragédie oublie
complètement ses origines rituelles, ce qui ne veut pas
dire, assurément, qu'elle ait cessé de jouer un rôle
sacrificiel au sens large du terme.
Elle s'est au contraire
substituée complètement au rite.
»
Avant d'en venir à la tragédie grecque, en particulier, il
est indispensable de mettre en lumière le mécanisme de la
victime sacrifiée, désignée encore comme victime émis
saire («émissaire» vient du grec
et signifie ici : « qui dé
tourne» ...
d'un danger, d'un fléau; de même, le bouc
émissaire était, chez les anciens Hébreux, le bouc chargé
des péchés de la communauté, que l'on abandonnait au
désert).
Pour Girard, c'est le sacrifice qui détourne les
hommes de la violence destructrice.
Quand la violence
menace une société primitive, celle-ci ne peut se protéger,
comme dans nos sociétés modernes,
en recourant à une
instance judiciaire qui lui fait totalement défaut.
Comment maîtriser un processus qui,
par contagion (les
représailles, dans
la vendetta plus moderne, en sont une
illustration révélatrice), risque de détruire l'ensemble de
ses membres?
La solution originelle qui a été découverte
consiste
à détourner la violence sur une victime incapable
d'alimenter de nouveau le déchaînement de la violence
et
donc correspondant à certains critères qu'analyse Girard..
»
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