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Colloque sentimental de Paul Verlaine

Publié le 11/05/2010

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Dans le vieux parc solitaire et glacé Deux formes ont tout à l'heure passé. Leurs yeux sont morts et leurs lèvres sont molles, Et l'on entend à peine leurs paroles. Dans le vieux parc solitaire et glacé Deux spectres ont évoqué le passé. -Te souvient-il de notre extase ancienne? -Pourquoi voulez-vous donc qu'il m'en souvienne? -Ton coeur bat-il toujours à mon seul nom? Toujours vois tu mon âme en rêve? -Non. -Ah! les beaux jours de bonheur indicible Où nous joignions nos bouches! -C'est possible. Qu'il était bleu, le ciel, et grand l'espoir! -L'espoir a fui, vaincu, vers le ciel noir. Tels ils marchaient dans les avoines folles, Et la nuit seule entendit leurs paroles. Paul Verlaine

Ce mélancolique et vaporeux poème est une des pièces des Fêtes galantes. Le « saturnien « VERLAINE — ainsi se qualifiait-il —, quia toujours, pense-t-il, dans sa vie : « bonne part de malheur et bonne part de bile «, a d'abord fréquenté le Parnasse, et son premier recueil Poèmes saturniens en porte en partie la marque. Mais bientôt il se sent emporté « de çà de là «, et bien loin de la facture sculpturale d'un LECONTE DE LISLE, c'est vers la musicalité que son inspiration glisse « brumeusement «. Les Fêtes galantes ont déjà l'art subtil du monde musical berçant des « propos fades « comme ceux des personnages de la comédia dell'arte peints par WATTEAU, ces « masques et bergamasques « (Clair de lune) qui se montrent à travers les frissons des arbres, en silhouettes fantomales. Ainsi sont les deux protagonistes de ce Colloque sentimental, rencontre nostalgique : ils se sont aimés, perdus, ils se rencontrent mais ne se retrouvent pas. Et c'est sur fond d'un univers fantastique où le surnaturel devient réalité, que flotte un climat spectral d'étrangeté (I). N'en ressort que mieux, sous l'apparente fadeur, un intangible regret du temps du bonheur, exprimé dans un dialogue dramatique, car sans échange (II).

I. Climat d'étrangeté en une vaporeuse mélancolie. Il. Théâtralité : aspects dramatiques et pathétiques d'un dialogue de l'indicible.

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« donc quelque chose qui revient à l'esprit plus ou moins déformé.

Ce qui complète l'étrangeté c'est la texture desêtres qui se meuvent comme dans le lointain, aux« yeux morts », aux « lèvres molles », à la limite entre des êtres sans volonté, vidés de substance morale, ou devéritables ombres : on ne sait ; et tout en devient singulier.

Leurs mouvements aussi appartiennent-ils au présentou à un monde chimérique ? Le passé composé : « ont ...

passé », « ont évoqué » et surtout la locution temporelle« tout à l'heure » gomme immédiatement le présent pourtant utilisé entre les deux passés composés (« leurs yeuxsont...

leurs lèvres sont...

») et le rejette dans un passé ,proche sans doute mais qui devient actuel.

Cettetemporalité continuellement équivoque était déjà visible dans la présentation du parc dont le qualificatif« vieux » sous-entend qu'à un moment il était beau, luxuriant, symbole d'une vie qui comme le parc devient «glacé[e] ».

Tout s'englue dans le doute, l'imprécis, comme ce premier témoin « on », indéfini « Et l'on entend...

»C'est la présence de lamort : « leurs lèvres sont molles », qui fait prévoir l'absence de langage, et pourtant — contradiction — ils parlentet le témoin les comprend, bien qu'il les entende « à peine ».

Quant à ce témoin il va peu à peu s'identifier à la nuit.Langage mort cependant et de mort, car il ne s'agit que de disparition, d'absence, de la néantisation du couple, d'unamour mort, noir comme la couleur du ciel, noir dans la nuit.Ainsi, avec des spectateurs impalpables : « on entend », « la nuit entendit », une représentation dont on ne sait sielle est présente ou déjà passée (« entendre » est d'abord au présent puis à la fin du bref poème au passé simple),un, décor seulement ébauché, des acteurs que « l'on entend à peine » et qui eux-mêmes ne se rejoignent pas, c'estun bien curieux spectacle auquel nous convie Verlaine.

Et pourtant ce sont bien les éléments du théâtre que nousavons là, un théâtre d'ombres sans doute mais qui n'en est que plus pathétique, car il touche de pitié et de malaisele lecteur, .plus dramatique aussi car il révèle le secret d'un couple détruit : par le temps ? l'absence ?l'incompréhension ? Le drame est justement de ne savoir par quoi.

Les « choses du théâtre » sont toutes là : unlieu, un moment, des personnages : la pièce peut se jouer, celle de l'inconstance des amants, le drame aussi dulangage.

Tout est situé sur scène.

C'est d'abord le décor, présenté dans le premier vers avec sa forme d'ensemble :« un vieux parc » et l'atmosphère qu'il dégage, mélancolique (« solitaire »), plus même : « glacée ».

Les couleurs dece décor sont indiquées à la fin du poème : « le ciel noir » que complète l'expression : « la nuit seule », tandis quel'aspect d'abandon est donné par le détail des « avoines folles », herbes des lieux incultes.

Le décor encadre donchistoire et paroles, comme au théâtre.

Notons cependant la répétition de la présentation du cadre (cinquième vers)de façon absolument identique à celle du début (premier vers), ce qui curieusement au lieu de confirmer apporte aucontraire une notion moins ferme, un peu irréelle, sans doute celle qui correspond à l'heure nocturne.— Au théâtre, il est évident que les personnages sont essentiels ; ce sont eux qui se meuvent sur scène devant,ici, nos yeux de lecteurs-spectateurs.

Or ils sont « deux formes », « deux spectres », des silhouettes, dessquelettes ? Mais ils bougent : ils « ont passé », « ils marchaient ».

Leur aspect, physique comporte des précisions« yeux morts », « lèvres molles ».— Mais surtout les personnages de théâtre parlent.

Le dialogue est essentiel à la scène, c'est également le cas ici :ils « ont évoqué le passé ».

La présentation graphique souligne les paroles dialoguées à l'aide de tirets quireprésentent chaque tirade.

Elles sont d'ailleurs construites théâtralement, par exemple en parallèle« — Te souvient-il de notre extase ancienne ?— Pourquoi voulez-vous donc qu'il men souvienne ? »,avec la reprise au début de la première question et à la fin de laseconde du verbe évocateur du passé « se souvenir ».

Ou bien c'est une réponse sèche qui claque commefréquemment dans les dialogues de théâtre : — « Non » (position remarquable de ce monosyllabe en fin de vers) —« C'est possible ».

Enfin une construction très subtile en chiasme s'appuie de nouveau sur deux vers, un pourchacun des protagonistes : — « Qu'il était bleu.

le ciel.

et grand, l'espoir— L'espoir a fui, vaincu, vers le ciel noir.

» Autour de « l'espoir» à la charnière entre les deux vers et les deux répliques, l'opposition s'établit systématiquement.« Vaincu » correspond à « grand », « noir » à « bleu »: formulation en croix (sens de chiasme).

Les coupesabondantes des deux vers martèlent la disparition du passé heureux.

Le drame s'est donc joué avec tous leséléments propres à la scène.

Car le théâtre ce ne sont pas seulement personnages, dialogue, décor, c'est uneaction, un « drama », terme grec qui signifie histoire jouée au théâtre.

Elle est dans ce texte tantôt pathétique,tantôt saupoudrée d'une mélancolie vaporeuse.

Drame du temps qui passe, de l'inconstance des amants, dulangage.

La fuite de la vie est suggérée par l'apparence des personnages, aux «yeux morts », qui ne sont plus que «formes », pire : « spectres » ; par les temps verbaux hors dialogue, passé composé, imparfait, passé simple.

Toutest renforcé par les répliques, soulignant elles-mêmes ce temps écoulé, verbe « se souvenir » répété, représentantà lui seul une époque révolue ; inversion du sujet accentuant la remise en question de sentiments qui ne peuvent sereformer, grande abondance d'un vocabulaire temporel : « vieux », « ancienne » (adjectifs), « tout à l'heure », «toujours » répété (adverbes) : — « Ton coeur bat-il toujours à mon seul nom ?Toujours vois-tu mon âme en rêve ?...

; la seconde fois l'adverbe a même une position de choix en tête de vers et de phrase (inversion) ce qui renforce. »

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