COLETTE, Les Vrilles de la vigne (jour gris). Commentaire
Publié le 16/09/2011
Extrait du document
( ... ) J'appartiens à un pays que j'ai quitté. Tu ne peux empêcher qu'à
cette heure s'y épanouisse au soleil toute une chevelure embaumée
de forêts. Rien ne peut empêcher qu'à cette heure l'herbe profonde
y noie le pied des arbres, d'un vert délicieux et apaisant dont mon
âme a soif ... Viens, toi qui l'ignores, viens que je te dise tout bas : le
parfum des bois de mon pays égale la fraise et la rose 1 Tu jurerais,
quand les taillis de ronces y sont en fleurs qu'un fruit mûrit on ne
sait où- là-bas, ici, tout près- un fruit insaisissable qu'on aspire
en ouvrant les narines. Tu jurerais, quand l'automne pénètre et
meurtrit les feuillages tombés, qu'une pomme trop mûre vient de
choir, et tu la cherches et tu la flaires, ici, là-bas, tout près ...
Et si tu passais, en juin, entre les prairies fauchées, à l'heure où la
lune ruisselle sur les meules rondes qui sont les dunes de mon
pays, tu sentirais, à leur parfum, s'ouvrir ton coeur. Tu fermerais les
yeux, avec cette fierté grave dont tu voiles ta volupté, et tu laisserais
tomber ta tête, avec un muet soupir ...
Et si tu arrivais, un jour d'été, dans mon pays, au fond d'un jardin
que je connais, un jardin noir de verdure et sans fleurs, si tu
regardais bleuir, au lointain, une montagne ronde où les cailloux,
les papillons et les chardons se teignent du même azur mauve et
poussiéreux, tu m'oublierais, et tu t'assoirais là, pour n'en plus
bouger jusqu'au terme de ta vie ( ... )
COLETTE, Les Vrilles de la vigne (jour gris).
Vous ferez de ce texte un commentaire composé. Vous pourrez, entre autres, y étudier le jeu du précis et de l'imprécis, du continu et du discontinu. Vous pourrez aussi interroger la façon dont l'écrivain se livre dans son texte, et s'en efface. (Ces indications ne constituent pas le schéma d'un plan.)
«
décrit, en une série d'impressions qui trahissent son amour sensuel
de la nature.
« J'appartiens à un pays que j'ai quitté ,.
; la première phrase de ce
passage souligne une contradiction :
la rupture entre le passé et le
présent est réelle, et cependant, grâce à la continuité affective, le
narrateur (qui n'est ici autre que Colette) ne fait qu'un avec ce pays
pour lequel
il éprouve une nostalgie poignante.
Cette « absence »
justifie ainsi que le pays nous soit présenté non pas au cours d'une
description précise et circonstanciée,
mais dans une évocation que
l'imagination de l'auteur transforme
vite en re-création.
A aucun moment
la situation exacte de ce pays ne nous est
donnée : Colette préfère l'indéfini
(« un pays •) et surtout le
possessif (« mon pays •), utilisé trois fois, et qui traduit bien le
sentiment d'appartenance qu'éprouve l'auteur.
D'autre part, si le
narrateur part toujours d'un détail précis, d'une impression, d'une
sensation, très vite l'évocation se perd dans l'imprécision,
la
contemplation ou la rêverie, que prolongent les nombreux points
de suspension.
Au fil du texte s'accentue une impression d' aban
don, de plénitude -de béatitude même -au sein de
la nature
dans laquelle on ne peut que se fondre.
Cette évocation n'est d'ailleurs pas
faite selon un plan précis, mais
au hasard des souvenirs, selon que l'auteur revit
tel moment ou
telle impression .
n s'agit d'une rêverie au fil des saisons, au fil des
heures, mais l'ordre chronologique n'est pas respecté
(le prin
temps, l'automne, juin, l'été
1 le plein soleil, la nuit, le crépuscule) et
certaines absences sont
significatives : ainsi l'hiver, pauvre en
couleurs et en parfums, est passé sous silence
...
Enfin, ce passage constitue une invitation au rêve -une invitation
au voyage, pourrait-on dire en parodiant Baudelaire.
Le narrateur
s'adresse à un interlocuteur
qui peut être l'amant, mais aussi, et
plus généralement,
le lecteur, et il cherche, sur le ton de la
confidence, à lui faire partager son amour de la nature.
Cet hymne
au pays natal s'exprime dès lors dans une prose poétique aux
accents lyriques, que soulignent
les nombreuses répétitions et les
parallélismes de construction :
«Tu ne peux empêcher qu'à cette
heure ...
Rien ne peut empêcher qu'à cette heure . ..
»; c Viens ...
Viens .
..
"; c Tu jurerais..
.
quand..
.
que ...
"; « là-bas, ici, tout
près .
..
ici, là-bas, tout près..
.
" ; « Et si tu passais, en juin..
.
Et si tu.
»
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