Clément Marot - A Madame d'Alençon; pour être couché en son état
Publié le 14/05/2014
Extrait du document

Princesse au cœur noble et rassis1,
La fortune que j'ai suivie
Par force m'a souvent assis
Au froid giron de triste vie;
De m'y seoir encor me convie2;
Mais je respons comme fasehé:
"D'estre assis je n'ay plus d'énvie;
Il n'est que d'estre bien couché."
Je ne suis point des excessifs
Importuns, car j'ay la pépie3,
Dont suis au vent comme un châssis4,
Et debout ainsi qu'une espie5;
Mais s'6une fois en la copie
De votre estat je suis merché7,
Je crieray plus haut qu'une pie:
"Il n'est que d'estre bien couché."
L'un soustient contre cinq ou six
Qu'estre accoudé c'est musardie8;
L'autre, qu'il n'est que d'estre assis
Pour bien tenir chère hardie9
L'autre dit que c'est mélodie10
D'un homme debout bien fiché11;
Mais, quelque chose que l'on die,
Il n'est que d'estre bien couché.
Envoi
Princesse de vertu remplie,
Dire puis, comme j'ai touché12,
Si promesse m'est accomplie:
"Il n'est que d'estre bien couché."1
1
1 Rassis: Raisonnable
2 Ellipse du sujet pronom
3 Pépie: Maladie des oiseaux, qui les empêche de crier
4 Chassis, au sens de fenêtre
5 Espie: espion
6 Se: du latin s, s'élidait au XVIe siècle
7 Merché: marqué
8 Musardie: aujourd'hui musardise, de muser, flâner, perdre son temps
9 Chère: visage; chière, du latin caram, visage; on a dit faire bonne chère à quelqu'un, dans le sens de bien
recevoir quelqu'un; puis, comme le repas était la partie essentielle d'une bonne réception, chère a pris le sens de
repas
10 Mélodie, au sens de chose harmonieuse, agréable
11 fiché: bien planté sur ses pieds
12 Je puis dire, comme j'y ai touché plus haut
Cette ballade repose sur une suite de jeux de mots à propos du
double sens du verbe être couché, qui signifie aussi être inscrit sur la
liste d'
un budget. Chacune des strophes joue sur ce double sens et
oppose une position du corps moins confortable (assis, debout,
accoudé) à l'
avantage d'être couché.
Strophe I. S
'
adressant solennellement à la princesse, Marot
choisit des adjectifs traditionnels : elle a le cœur noble (bien né) et
rassis (sage), qualités dont elle pourra peut-être faire preuve en cette
occasion. Dès le vers 2, le poète introduit l'
image qui lui permettra
d
'
amener progressivement son refrain. C'
est d'
abord la personnification
traditionnelle de la destinée qu'
il a suivie, et qui l'
a assis. La valeur
transitive de ce verbe suggère l'
idée d'
une contrainte par force : Marot,
très habile, se présente en victime.

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Cette ballade repose sur une suite de jeux de mots à propos du
double sens du verbe être couché, qui signifie aussi être inscrit sur la
liste d 'un budget.
Cha cune des strophes joue sur ce double sens et
oppose une position du corps moins confortable (assis, debout,
accoudé) à l 'avantage d'être couché.
Strophe I. S'adressant solennellement à la prin cesse, Marot
choisit des adjectifs traditionnels : elle a le cœur noble (bien né) et
rassis (sage), qualités dont elle pourra peut -être faire preuve en cette
occasion.
Dès le vers 2, le poète introduit l 'image qui lui permettra
d'amener progressivement son refrain.
C 'est d 'abord la personnification
tradition nelle de la destinée qu 'il a suivie, et qui l 'a assis.
La valeur
transitive de ce verbe suggère l 'idée d 'une contrainte par force : Marot,
très habile, se présente en victime.
Le vers 4 donne l 'impression d 'un dénuement épouvantable : le
giron évoque normalement une protection mat ernelle, mais l'adjectif
froid suggère à la fois la sensation physique et la détresse morale.
Peu
à peu la réalité créée par l 'image se complète ; et un dia logue s 'engage
au vers 5 entre le pauvre hère et la triste vie.
Marot se montre naïf et
acrimon ieux (comme fâché, je n 'ai plus envie).
Cette bonne humeur est
destinée à faire sourire la princesse et à lui faire oublier qu 'il s 'agit
d'une requête.
Au terme de cet enchaînement d 'images sur l 'inconfort
d'être « mal assis », la conclusion s’impose : Il n'est que d 'être bien
couché .
Tout l 'art consiste à laisser deviner l'allusion contenue dans ce
vers qui tiendra lieu de refrain.
Strophe II. — La confidence se poursuit sur le mode familier.
Le quémandeur commence par ras surer habilement la princess e en
s'opposant aux excessifs importuns - mots mis en valeur par le rejet.
Au lieu de chercher à l 'apitoyer, il présente son excuse en termes
pittoresques : j'ai la pépie (comme un oiseau dont le gosier s'est
desséché).
Dont suis au vent comme un chassis : Marot qui a le sens de la
cocasserie, aime surprendre l 'auditeur et l 'amuser en s 'amusant sur lui -
même : le rire naît ici du fait que l 'homme se trouve assimilé à un
objet, si bien que l 'idée du dénuement se traduit par l 'image de Marot
transformé e n une fenêtre exposée au vent.
Evoquant une position
verticale, cette image prépare la suite debout, ainsi qu 'une espie.
Ayant habi lement évoqué cette position verticale, Marot se risque.
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