Claude Simon - La Route des Flandres
Publié le 17/01/2022
Extrait du document
Mais l'ai-je vraiment vu ou cru le voir ou tout simplement imaginé après coup ou encore rêvé, peut-être dormais-je, n'avais-je jamais cessé de dormir les yeux grands ouverts en plein jour, bercé par le martèlement monotone des sabots des cinq chevaux piétinant leurs ombres ne marchant pas exactement à la même cadence de sorte que c'était comme un crépitement alternant se rattrapant se superposant se confondant par moments comme s'il n'y avait plus qu'un seul cheval, puis se dissociant de nouveau se désagrégeant recommençant semblait-il à se courir après et cela ainsi de suite, la guerre pour ainsi dire étale pour ainsi dire paisible autour de nous, le canon sporadique frappant dans les vergers déserts avec un bruit sourd monumental et creux comme une porte en train de battre, agitée par le vent dans une maison vide, le paysage tout entier inhabité vide sous le ciel immobile, le monde arrêté figé s'effritant se dépiautant s'écroulant peu à peu par morceaux comme une bâtisse abandonnée, inutilisable, livrée à l'incohérent, nonchalant, impersonnel et destructeur travail du temps
Claude Simon, dont l'ensemble de l'oeuvre a été récemment couronnée par le prix Nobel de littérature, appartient au mouvement littéraire du Nouveau Roman. Pour de nombreux auteurs du XXe siècle, le langage devient le sujet essentiel du livre, il n'est plus l'outil d'une description psychologique ou de la narration d'un événement. Claude Simon s'efforce par exemple de restituer le courant de conscience et ce qu'il appelle lui-même « le foisonnant et rigoureux désordre de la mémoire «. Son ouvrage le plus connu, La Route des Flandres, prend pour prétexte la mort d'un capitaine pendant la drôle de guerre de 1939-1940. Cet épisode obsède la mémoire défaillante d'un narrateur, cousin du capitaine et cavalier dans son escadron.
«
Étude des comparaisons :
« comme une porte en train de battre agitée par le vent dans une maison vide »;
« comme une bâtisse abandonnée...
»
qui peuvent se rattacher à la réalité de l'exode et des bombardements.
Un calme trompeur « la guerre pour ainsi dire étale pour ainsi dire paisible » (noter les deux adjectifs ainsi que la répétition de « pour ainsi dire ») ;
Qui débouche sur l'idée de vide, de mort « les vergers déserts...
une maison vide.., le paysage tout entier inhabité.., une bâtisse abandonnée inutilisable ».
Et de perte de sens : l'absurde envahit le texte comme dans ce monde livré à la guerre : « se désagrégeant... s'effritant.., se dépiautant, s'écroulant peu à peu par morceaux comme une bâtisse abandonnée inutilisable, livréeà l'incohérent, nonchalant, impersonnel et destructeur travail du temps ».
Cette perception de la guerre frappe par sa subjectivité : elle n'apparaît qu'à travers la conscience d'un sujettraumatisé par la guerre, désorienté.
II.
Un sujet désorienté.
Cette voix est à l'opposé de celle du narrateur omniscient propre au roman traditionnel du xix siècle, de Balzac entreautres, que l'esthétique du nouveau roman refuse.
Le doute absolu sur les perceptions visuelles.
Le roman est bâti sur le souvenir visuel, mais sans arrêt remis en question, de la mort du capitaine.
Souvenirtraumatisant, revenant hanter la conscience du locuteur, d'autant plus sujet à caution que l'on se demande sile capitaine a été réellement tué ou « s'est laissé suicider » comme son ancêtre, lui aussi trompé par sonépouse...
Mise en doute de la vision génératrice du livre : « Mais l'ai-je vraiment vu ou cru le voir ou tout simplement imaginé après coup ou encore rêvé ».
Mise en doute de la faculté de voir elle-même : « peut-être dormais-je, n'avais-je jamais cessé de dormir, les yeux grands ouverts en plein jour ».
A.
Le doute jeté sur les perceptions auditives. B.
Pluralité du vocabulaire désignant le bruit des sabots (« martèlement...
crépitement ») qui renvoie d'abord à cinq chevaux, puis à un seul animal (« le martèlement monotone des sabots des cinq chevaux.., comme s'il n'y avait plus qu'un seul cheval »).
Le vocabulaire de la confusion (« monotone.., se rattrapant, se superposant, se confondant.., se désagrégeant »).
La remise en question de la mémoire et de la véracité du souvenir.
Analyser la première phrase du passage (« Mais l'ai-je vraiment vu ou cru le voir ou tout simplement imaginé après coup ou encore rêvé, peut-être dormais-je, n'avais-je jamais cessé de dormir...
») et le doute jeté successivement sur la conscience par le glissement de sens des verbes.
C.
La remise en cause du temps. D.
Le roman moderne refuse souvent la linéarité du temps : La Route des Flandres en est un exemple parfait, puisque le romancier mêle deux histoires, la mort du capitaine et celle de son aïeul, toutes deux mystérieuses, et que lelecteur n'est renseigné qu'à travers les souvenirs confus du narrateur.
Les signes de cette temporalité bouleverséesont nombreux.
Pour le sujet : « imaginé après coup »;.
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