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Claude Roy, Défense de la littérature: Pensez vous, comme l'auteur, que « les grands romans sont la chronique des obscurs, des petits, des sans grade » ?

Publié le 12/11/2016

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C’est bien souvent dans ses grands romans que l’humanité, de l’Europe à l’Asie, a déposé ses plus précieux trésors de sagesse et de sagacité, de poésie et de connaissance des cœurs. Oui, nous allons butiner, de France en Russie, d’Espagne en Finlande, de Chine aux États-Unis, la fleur des inventions romanesques les plus prenantes ou surprenantes. Mais, chemin faisant, nous allons découvrir aussi ce que les grands romanciers et les peuples où ils ont enfoncé leurs racines pensaient de la vie, des rapports des hommes avec leurs

en tous domaines familiers ou métaphysiques, bref sont une véritable chronique de l'homme. Depuis quelques décennies, l’histo rien remet en question le but de l’histoire qui longtemps se consacra aux seuls puissants, auxquels il rattachait le sort général des peuples, oubliant l'importance de tous ces anonymes dont les petites trou vailles ont plus fait pour les progrès que les conquêtes ou les législations des grands. Les découvertes scientifiques ou quoti diennes sont aussi importantes que certaines batailles même décisi ves ; car elles tissent, à travers la pensée et le travail de l’homme, son histoire profonde. Bien plus, autant que des jalons exceptionnels, la vie ordinaire avec ses œuvres et ses loisirs, souvent indifférente du reste aux grands événements les ignorant même est aussi l'histoire. L'école historique moderne veut désormais se consacrer à cette histoire là. Or les romans le font depuis longtemps, se penchant sur les petites gens. leur existence, leurs amours, leurs comportements, dessinant ainsi l'histoire quotidienne.

« semblables, de l'amour, de l'amitié, de la mort.

Et ce que ces histoires imaginaires nous donnent peut-être, de surcroît, c'est la véritable histoire de la vie réelle, l'histoire que n'ont jamais écrite les historiens.

Les historiens se demandent depuis une trentaine d'années si écrire l' Histoire c'est raconter seulement les histoires de l'Hi stoire.

Les vieux annalistes de l'ancienne Chine ou de l'É gypte antique dérou­ laient dans leurs chroniques le chapelet des dynasties et des règnes.

L'h istoire était à leurs yeux une succession de monarques et de princes.

De SuÉTONECIJ à VoLTAIRE, les dates dont l'historien jalonne son récit sont celles des couronnements , des sacres et des funérailles royales .

Le roi est mort, vive le roi qui lui succède.

Puis l'histoire devient peu à peu plus complexe.

On s'est aperçu que les événements qui ont une influence décisive sur le destin de l'humanité ne sont pas touj ours liés à un homme d'État, au sort d'une bataille, à la signature d'un traité, et que le nez de Cléopâtre n'est pas toujours la mesure de l'hi stoire.

L'homme inconnu (ou les hommes) qui ont inventé, par exemple, le gouvernail ou l'attelage des chevaux et des bêtes de trait au moyen du collier, ont modifié plus profondément le sort de l' humanité que des dizaines de potentats , de monarques et de conquérants n'ont pu le faire par leurs décrets, leurs actes ou leurs campagnes.

L'histoire-batailles devient lentement l'histoire-totale .

L' invention de la machine à vapeur est une date aussi décisive que la nuit du 4 août, la mise en marche de la première génératrice d' électricité a des répercussions aussi profon des, et plus durables peut-être, que la bataille de Valmy.

On n'écrit plus seulement l'h istoire des hommes qui occupent le devant de la scène politique, mais celle de l'hu manité, où la légion des inventeurs et la masse des vivants, la cohorte des penseurs et la foule des travailleurs pèsent autant, dans les balances du temps, que les grands capitaines et les têtes couronnées.

Mais, ainsi conçue, l'histoire reste fondamentale­ ment celle des événements.

Une école moderne d'historiens cherche à aller encore plus loin, à écrire une histoire , pour employer le jargon des spécialistes , qui soit non-événementielle.

Une histoire qui nous rende compte de ce qu'était réellement la vie des gens dans le passé.

Il est certain que la prise de la Bastille est une date importante de l'h umanité, mais il est également certain que le jour de la prise de la Bastille, des millions de Français ont continué à vaquer à leurs occupations, à aller aux champs ou à l'é choppe, à manger en famille et à prier à l'église, en ignorant non seulement la signification de ce (1) Suf:TONE : historien latin.

auteur de la Vies des douze Césars.. »

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