Clair de lune. VERLAINE, Les Fêtes galantes (commentaire)
Publié le 15/02/2012
Extrait du document
Clair de lune
Votre âme est un paysage choisi
Que vont charmant masques et bergamasques
Jouant du luth et dansant et quasi
Tristes sous leurs déguisements fantasques.
Tout en chantant sur le mode mineur
L'amour vainqueur et la vie opportune
Ils n'ont pas l'air de croire à leur bonheur
Et leur chanson se mêle au clair de lune,
Au calme clair de lune triste et beau,
Qui fait rêver les oiseaux dans les arbres
Et sangloter d'extase les jets d'eau,
Les grands jets d'eau sveltes parmi les marbres.
Paul Verlaine, Fêtes galantes
Telle est bien l'impression générale qui se dégage de ces vers : les plaisirs d'une aristocratie décadente, quelle que soit la beauté de leur cadre, ne suffisent point à satisfaire les coeurs; ils traînent après eux le spleen et le dégoût. Mais, outre cette impression foncière et historique, nous en éprouvons une autre au moins aussi forte, qui vient de l'auteur même....
«
ther ».
Nous serons agreablement surpris en constatant que celui de Ver-
laine n'a rien de commun avec eux.
C'est un c clair de lune » d'un nouveau
genre, tout a fait original en son archaisme.
Car it nous reporte pinta au
temps des Pierrots et des Colombines, et de tous ces personnages inutiles et
fantasques dont le xvme siecle fit une consommation abusive.
Et ce titre
se retrouve dans la troisieme strophe, accompagne de deux epithetes signi-
ficatives : triste et beau, s'harmonisant avec la tonalite generale du morceau.
Le premier quatrain renferme la meme idee que les deux autres, seules
les images different.
Nous ignorons - et it doit etre bien difficile au candidat bachelier, le
jour de l'examen, de le deviner - a qui s'adresse le pate.
Est-ce a une
femme vivante? a sa future femme, plusqu'a cette époque it est en passe de se marier? Est-ce a l'une de celles qui figurent dans les pares peints par
Watteau? Est-ce a l'un de ces couples.
mollement etendus sur l'herbe, ou qui dansent au clair de lune? Dans la « chanson grise » de Verlaine l'in-
decis se joint au précis, nous le savons.
Votre time c'est l'une de ces Ames-la.
Mais quelle bizarre assimilation : votre time est un paysage! Ceci n'est déjà
plus parnassien et annonce le symbolisme.
On pourrait dire ressemble
est comme; non; Verlaine identifie completement les deux chosen : Fame
et le paysage, en les liant par le verbe non equivoque : etre.
Ce paysage,
nous le connaissons pour l'avoir contemple maintes fois dans les tableaux
de Watteau.
Mi-reel, mi-feerique, meuble de balustres, de termes, de statues
de femmes de marbre, d'enfants de pierre, de fontaines enveloppees de
pluie.
De hautes futaies s'entr'ouvrent sur des clairieres inondees ou de
soleil ou de clartes lunaires.
Des branchages pendent sur l'eau d'un &tang,
y formant des masses d'ombre autour d'une tache lumineuse et miroitante.
Et cette nature reelle, metamorphosee par l'Ame d'un artiste -poste, est
peuplee d'etres romanesques, mondains qui se font acteurs, egayant de
leurs toques a plumes, de leurs longues robes de satin aux cassures bril-
lantes, de leurs courtes vestes de soie, les verdures diurnes ou nocturnes.
Etres charmants, en Verite, avec leurs masques lagers et leurs « loups » de
velours.
Etres de luxe et de plaisir, d'insouciance et de melancolie; alle-
gories habillees et mouvantes, incarnations de la Langueur, de la Galan-
terie, de la Reverie.
La Musique et la Danse parachevent le paysage ainsi
anima : la bergamasque, importee d'Italie, de Bergame, est a la fois chant
et danse et convient a ces personnages de la comedie italienne.
Masques et
berqamasques forment une rime riche et cependant ne se trouvent pas
la rime, mais dans le meme vers.
Fantaisie? affirmation d'une totale
pendance a 'Ward de la prosodie traditionnelle? alliteration comme les
aimait le vieux Marot et ses maltres les c grands rhetoriqueurs » ? Pent-etre,
toutefois l'effet est ici autrement heureux que lorsque l'auteur du Lion et du Rat alignait les deux enumerations paralleles : chats, chattes et chatons,
rats, rates et ratons!...
Masques- et bergamasques sont pour nous desormais
inseparables.
Le vers 3 precise la nature de l'instrument qui accompagne la danse :
c'est le luth.
Ailleurs on voit des flutes ou des violes; Verlaine leur a prefers
le luth, cet instrument dont le nombre des cordes a varie de 4 a 20, dont
la coquille est ventrue, et le cheviller fait un angle droit avec le manche.
Le luth, c'est l'instrument cheri du poste :
Poete, prends ton lath, et me donne un baiser.
(Musset.)
Il s'oppose a la lyre, et symbolise la poesie aimable, gracieuse, galante.
Un
autre motif pent avoir dicta son choix A Verlaine.
Walter Pater dans son
portrait de Watteau : Un prince de la Cour des Peintres, consigna dans un
journal imaginaire, que sans doute connaissait Verlaine : « Aofit 1705.
-
Antony (Watteau) a bonne mine dans son habit a longues basques A la
mode du jour...
Il nous fit emporter notre crème et nos fraises des bois
(pour un croquis sur ce gros livre de poche qu'il portait), nous fit ranger
sur une pente donee d'un des frais espaces a l'endroit oil les arbres du bois
s'ecartent un pea, tandis que Jean-Baptiste et ma jeune sur dansatent un
menuet sur le gazon aux accents des melodies d'un joueur de luth ambulant
que nous anions rencontre.3.
Le quasi qui termine le troisieme vers et
ther ».
Nous serons agréablement surpris en constatant que celui de Ver laine n'a rien de commun avec eux.
C'est un « clair de lune » d'un nouveau genre, tout à fait original en son archaïsme.
Car il nous reporte plutôt au temps des Pierrots et des Colombines, et de tous ces personnages inutiles et fantasques dont le xvm• siècle fit une consommation abusive.
Et ce titre se retrouve dans la troisième strophe, accompagné de deux épithètes signi
ficatives : triste et beau, s'harmonisant avec la tonalité générale du morceau.
* **
Le premier quatrain renferme la même idée que les deux autres, seules les images diffèrent.
Nous ignorons - et il doit être bien difficile au candidat bachelier, le jour de l'examen, de le deviner - à qui s'adresse le poète.
Est-ce à une femme vivante? à sa future femme, puisqu'à cette époque il est en passe de se marier? Est-ce à l'une de celles qui figurent dans les parcs peints par Watteau? Est-ce à l'un de ces couples.
mollement étendus sur l'herbe, ou qui dansent au clair de lune? Dans la «chanson grise» de Verlaine l'in décis se joint au précis, nous le savons.
Votre âme c'est l'une de ces âmes-là.
Mais quelle bizarre assimilation : votre âme est un paysage! Ceci n'est déjà plus parnassien et annonce le symbolisme.
On pourrait dire ressemble à, est comme; non; Verlaine identifie complètement les deux choses : l'âme et le paysage, en les liant par le verbe non équivoque : être.
Ce paysage, nous le connaissons pour l'avoir contemplé maintes fois dans les tableaux de Watteau.
Mi-réel, mi-féerique, meublé.
de balustres, de termes, de statues de femmes de marbre, d'enfants de pierre, de fontaines enveloppées de pluie.
De hautes futaies s'entr'ouvrent sur des clairières inondées ou de soleil ou de clartés lunaires.
Des branchages pendent sur l'eau d'un étang, y formant des masses d'ombre autour d'une tache lumineuse et miroitante.
Et cette nature réelle,.
métamorphosée par l'âme d'un artiste-poète, est peuplée d'êtres romanesques, mondains qui se font acteurs, égayant de leurs toques à plumes, de leurs longues robes de satin aux cassures bril lantes, de leurs courtes vestes de soie, les verdures diurnes ou nocturnes.
Etres charmants, en vérité, avec leurs masques légers et leurs.
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