Clair de lune de Victor Hugo - Les Orientales
Publié le 15/09/2006
Extrait du document
« Clair de Lune « est extrait du recueil Les Orientales, que Victor Hugo publie, à vingt-sept ans, en janvier 1829. Il y trace les tableaux d'une Arabie, d'une Grèce et d'une Turquie imaginaires. Ces pays, en effet, sont à la mode en Europe depuis plusieurs armées déjà. La révolte du peuple grec, soulevé en 1821 contre une domination turque qui durait depuis près de 300 ans, avait trouvé en Europe un écho très favorable. Le poète anglais Byron, l'une des figures du romantisme, s'était rallié à la cause grecque et avait trouvé la mort en 1824 à la bataille de Missolonghi. Des épisodes sanglants comme les massacres de Chio (1822) avaient inspiré au peintre français Delacroix des tableaux très appréciés du public... L'Occident est majoritairement partisan des Grecs. Ainsi, en octobre 1827, la Triple-Alliance (France, Angleterre et Russie) a pris parti contre la Turquie, détruisant la quasi-totalité de sa flotte lors de la bataille navale de Navarin... Sous la pression internationale, l'indépendance de la Grèce sera effective en 1832, trois ans après la publication des Orientales. Victor Hugo, bien entendu, ne peut ignorer ce contexte. Pourtant, il refuse que l'on voie dans ses poèmes une référence à l'actualité, encore moins une prise de position. Il s'en explique dès la préface : «L'ouvrage est-il bon ou est-il mauvais? Voilà tout le domaine de la critique [...] Si donc aujourd'hui quelqu'un lui demande [à l'auteur] à quoi bon ces Orientales ? qui a pu lui inspirer de s'aller promener en Orient pendant tout un volume ? [...] où est l'opportunité? à quoi rime l'Orient ?... Il répondra qu'il n'en sait rien, que c'est une idée qui lui a pris ; et qui lui a pris d'une façon assez ridicule, l'été passé, en allant voir coucher le soleil. « Position un peu étrange, dans la mesure où plusieurs poèmes des Orientales se réfèrent à l'actualité : exaltation de l'amiral indépendantiste Canaris, dénonciation de la « tyrannie « turque. Mais il faut reconnaître que les poèmes les plus réussis du recueil sont ceux qui, comme ce « Clair de lune «, doivent tout à l'imagination.
«
accroît notre curiosité et l'aspect dramatique du texte.
A partir du vers 14, la réponse à ces interrogations nous est fournie.
Dans un premier temps, l'auteur reprendchacune des hypothèses avancées pour expliquer le bruit, afin de les écarter tout en confortant l'atmosphèreexotique par des images évocatrices.
Vient ensuite la révélation : le bruit est produit par la chute, dans l'eau du port, de « sacs » contenant des « formes humaines ».
En trois vers, Hugo nous livre une description à la fois tragique et mystérieuse de ces sacs.
Tragiquepar les « sanglots» et la mort inévitable des victimes jetées à la mer ; mystérieuse par les réticences de la description (« comme une forme », au vers 19) et surtout par la signification de ces mises à mort clandestines, sur lesquelles aucune indication ne nous est donnée.
Enfin la reprise du premier vers ajoute à ce mystère une note navrante.
Après la mer qui « promène » les sacs, la lune « sereine » traduit une sorte d'indifférence au drame qui vient de se produire.
Mais surtout le retour au premier vers, « à la case départ », met l'épisode tout entier entre parenthèses, comme si l'eau venait de se refermer sur lessacs, et le paysage de retrouver sa paix un instant troublée.
Bien entendu, le changement de temps entre le dernier vers et le reste du poème n'est pas innocent.
L'imparfait (« La lune était sereine ») suggère des actions lentes, voire intemporelles.
Il permet ici, entre autres effets, d'accentuer cette indifférence «sereine » de la lune, qui contraste avec le tableau tragique de la dernière strophe.
Un véritable film
Ce poème, avons-nous dit, est un véritable film.
Victor Hugo le traite en effet comme le ferait un metteur en scènede cinéma.
Nous commençons par un plan large, correspondant au premier vers : la lune se reflète sur la mer.
Le mot « sereine » introduit une idée de tranquillité, qu'accentue le rythme doux et balancé du vers :
«La lune était sereine et jouait sur les flots.
—»
évoquant le clapotement, le mouvement des vagues sur lesquelles se reflète la lumière lunaire.
Dès le second vers, Hugo attire notre attention sur un détail de ce plan large.
Par un effet de constructioncomparable à un « zoom avant », nous passons de « La lune » à « La fenêtre ».
Non pas « une fenêtre », mais «La » fenêtre, qui prend avec cet article défini un caractère particulier.
Nous imaginons donc un mur dans lequel s'ouvreune fenêtre unique.
Cette fenêtre est « enfin libre », ce qui suggère une idée de contrainte et précise l'image, celle d'un bâtiment d'aspect carcéral, avec des murs épais.
On notera aussi la rupture temporelle : passant de l'imparfait (« était sereine ») au présent (« est ouverte »), l'auteur accentue la soudaineté du mouvement et semble indiquer que quelque chose se prépare.
Nouveau zoom.
Cette fois, nous traversons la fenêtre et découvrons un personnage, «La sultane ».
Grâce aux connotations de ce mot, la situation devient claire : palais oriental, harem, femme cloîtrée...
Nous sommes dans uneville arabe ou turque, au bord de la mer, près de l'unique fenêtre du sérail, la nuit.
Ayant ainsi installé l'action, Victor Hugo déploie un nouveau plan large qui nous fait contempler, par les yeux de lasultane, le paysage visible depuis cette fenêtre.
Ce sont de « noirs îlots » sur lesquels la mer vient se briser.
Cette description n'est pas inutile : elle nous confirme que la fenêtre surplombe la mer, et
elle précise, avec ce «flot d'argent », la lumière du clair de lune.
Elle nous laisse également imaginer, avec les «noirs îlots », une côte relativement escarpée.
Le vers 5 nous ramène à la sultane et même, poursuivant l'effet de zoom des vers 1-3, à sa main qui laisseéchapper « la guitare ».
Cet incident marque le début de l'action : quelque chose se passe qui, attirant l'attention de la sultane, a interrompu son jeu.
Elle laisse sa guitare tomber ou glisser à côté d'elle...
Notons que la phrase est construite pour nous faire aller de la main à la guitare, comme si nous suivions des yeuxl'instrument dans sa chute lente.
Le rythme du vers fait lui aussi sentir cette chute, ce glissement progressif de laguitare vers le sol :
«De ses doigts // en vibrant // s'échappe // la guitare,»
Puis, immédiatement, nous revenons à la sultane.
Sans doute, dans un film, nous aurions un gros plan sur sonvisage.
« Elle écoute...
» Nous disons « un gros plan », car ce serait l'équivalent visuel de ce rejet en début de vers qui met en relief l'attitude de la sultane, et de ces points de suspension qui, justement, suspendent le temps etl'action.
L'attention de la sultane a été attirée par « un bruit sourd ».
Ce bruit, qui se répercute dans le silence nocturne, Hugo nous le fait entendre grâce au son bref du mot «frappe » et à la répétition du mot « sourd », répétition doublée d'un chiasme, une symétrie du vers qui fait comme jouer l'écho :.
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