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Cinquième Partie de Pêcheur d'Islande de Pierre LOTI

Publié le 22/03/2011

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   Après avoir pris leur dernier repas ensemble, devant une flambée de branchages, et en attendant la nuit, « toute une nuit à dormir entre les bras l'un de l'autre «, Yann et Gaud allèrent faire leurs adieux aux Gaos. Sur la route de Pors-Even, il y avait encore la tiédeur du printemps précoce et « un reste de crépuscule s'attardait à traîner sur la campagne «.    Le lendemain, ils se levèrent au petit jour. Quand ils furent sur le quai de Paimpol, où quinze bateaux devaient partir avec la Léopoldine, Gaud s'étonna de se trouver là, parmi ces femmes d'Islandais, venues pour l'appareillage. Sa destinée l'avait précipitée en quelques jours vers ce dénouement inexorable. Elle était maintenant comme les autres, une femme d'Islandais, mais différente des habituées, son passé l'isolait et la mettait à part. Toutes les scènes de cette séparation, les rires et les cris, les chansons et les pleurs, étaient pour elle un spectacle nouveau, qui lui parut plutôt sombre. Elle s'épouvanta surtout de voir partir des malheureux, dont on avait surpris la signature, les uns poussés par force vers le bateau, et d'autres enivrés par précaution, qu'on descendait comme des morts sur des civières jusqu'au fond des cales. « Avec quels compagnons allait-il donc vivre, son Yann ? Et puis quelle chose terrible était-ce donc ce métier d'Islande, pour s'annoncer de cette manière et inspirer à des hommes de telles frayeurs ?... « Pourtant, elle se rassura un peu en Voyant que la Léopoldine n'embarquait qu'un équipage de choix, de bons marins, « à la mine noble et belle «, aimant comme Yann, la grande pêche, au large. Dès que les navires sortirent, deux par deux, quatre par quatre, les matelots, découvrant leur tête, entonnaient « à pleine voix le cantique de la Vierge : « Salut, « Etoile-de-la-mer ! « sur le quai, des mains de « femmes s'agitaient en l'air pour de derniers « adieux, et des larmes coulaient sur les mousselines des coiffes. «   

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« travaux difficiles de cette sorte. ...

Aux derniers jours d'août un navire islandais, qui apparut à la pointe de Pors-Even, annonça « la fête du retour ».C'était le Samuel-Azénide, toujours en avance.

Mais le vieux père Gaos déclara que la Léopoldine ne tarderait guère: « Là-bas, je connais ça, quand un commence à partir, les autres ne tiennent plus en place ». D'autres, beaucoup d'autres rentrèrent, par groupes espacés, d'un jour à l'autre.

Il y en eut douze dans la semainequi suivit le retour du Samuel-Azénide, et dans leur famille on leur fit fête.

Il restait dix retardataires.

Gaud quimettait tout en ordre pour bien recevoir Yann, était « dans une délicieuse fièvre d'attente ».

Quand il ne resta plusdehors que la Léopoldine et la Marie-Jeanne on plaisantait pour savoir lequel des deux navires ramasserait les balaisdu retour et la jeune femme, que son animation rendait plus jolie, prenait sa part de cette plaisanterie traditionnelle. « Cependant les jours passaient.

Gaud allait « sur le pont causer avec les autres, toujours confiante et gaie, maisrentrée chez elle, il lui venait « le soir de premiers petits frissons d'anxiété, d'angoisse. « Est-ce que vraiment c'était possible, qu'elle « eût peur, si tôt ?...

Est-ce qu'il y avait de quoi ?... « Et elle s'effrayait d'avoir déjà peur...

» On était au 10 septembre.

Depuis deux jours l'aube traînait des brumes tristes dans un ciel d'automne qui donnaitl'impression de l'hiver.

Une inquiétude poignante avait envahi le cœur de Gaud et elle était venue ce matin-làs'asseoir, « les yeux fixes, les tempes serrées comme dans un anneau de fer », sous le porche de la chapelle desnaufragés « au lieu où vont prier les veuves ».

Elle lisait les noms des jeunes hommes perdus en mer aux environs deNorden Fiord.

L'hiver, décidément, venait. « Comme un grand frisson on entendit une rafale « de vent se lever de la mer, et en même temps, sur « la voûte,quelque chose s'abattre comme une pluie : les feuilles mortes !...

Il en entra toute une volée sous ce porche ; lesvieux arbres ébouriffés « du préau se dépouillaient, secoués par ce vent du large... « ...

Encore une rafale et des feuilles mortes qui entraient en dansant.

Une rafale plus forte « comme si ce vent d'ouest, qui avait jadis semé ces morts sur la mer,voulait encore tourmenter jusqu'à ces inscriptions qui rappelaient leurs « noms aux vivants...

» Au milieu de ces inscriptions il y avait sur le mur une place vide qui semblait attendre une plaque neuve.

Gaud n'endétachait pas ses yeux.

Assise sur le banc de granit, la tête renversée contre la pierre, elle avait froid.

Elle lisaittoujours, plus machinalement, ces noms qui évoquaient des naufrages dans cette Islande lointaine, très lointaine ;elle voyait le soleil de minuit, le petit cimetière de là-bas, toutes ces choses que Yann lui avait si naïvement dites... « Et tout à coup, — toujours à cette même place « vide du mur qui semblait attendre, — elle eut, « avec unenetteté horrible, la vision de cette plate que neuve à laquelle elle songeait : une plaque « fraîche, une tête de mort,des os en croix et au « milieu, dans un flamboiement, un nom, le nom « adoré, Yann Gaos !...

Alors elle se dressatout « debout, en poussant un cri rauque de la gorge, « comme une folle... « Dehors, il y avait toujours sur la terre la brume « grise du matin ; et les feuilles mortes continuaient « d'entrer endansant.

» La scène est une des plus poignantes du chef-d'œuvre. Elle conserve dans son évocation tragique, une sobriété qui la rend encore plus émouvante.

Ces inscriptionsfunéraires et ces feuilles mortes, qui accablent la jeune femme d'un terrible pressentiment, associent une fois deplus, la mer et la mort dans cette sorte de motif dominateur auquel Pêcheur d'Islande doit son unité et sa grandeur.L'art atteint ici les suprêmes limites de la beauté. La scène se prolonge et redouble son émotion par une rencontre dont Pierre Loti a tiré un puissant effet.

Gaudaprès avoir poussé son grand cri d'amour désespéré, entendit des bruits de pas dans le sentier.

lisse rapprochaient.Vite, elle rajusta sa coiffe.

C'était la femme du second de la Lèopoldine, Tante Floury qui apportait un cierge pourfaire un vœu.

Il y eut d'abord entre les deux femmes un silence chargé d'épouvante et presque de haine.

Elles s'envoulaient l'une à l'autre de s'être surprises dans cette chapelle, où la même terreur qui refusait de s'avouer encoreles avait amenées.

Tante Floury, d'une voix sourde et impitoyable, dit que tous ceux de Tréguier et de Saint-Brieucétaient revenus depuis huit jours.

Il y avait dans cet accent une sorte de colère contre l'injustice du sort.

Pourtantle cierge votif disait que la femme du second n'avait pas perdu toute espérance.

Gaud n'avait pas songé à ce «moyen des désolées ».

Elle entra derrière Tante et elle s'agenouilla, en silence, à ses côtés. « A la Vierge Etoile-de-la-mer, elles dirent des « prières ardentes, avec toute leur âme.

Et puis « bientôt onn'entendit plus qu'un bruit de sanglots, et leurs larmes pressées commencèrent à « tomber sur la terre... « Elles se relevèrent plus douces, plus confiantes.

« Tante aida Gaud qui chancelait, et, la prenant « dans ses bras,l'embrassa.. »

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