Chénier, Derniers vers. Sujet d'invention : imaginez le dialogue du poète avec un compagnon de cellule, à Saint Lazare.
Publié le 13/02/2013
Extrait du document
«
Public, pour argumenter notre défense. On nous accuse d’avoir tenu des propos s éditieux, d’avoir
complot
é avec les f édérés, nous r épublicains convaincus, r évolutionnaires de la premi ère heure !
Nous avons droit
à un proc ès équitable, nous avons droit à un avocat, droit à des t émoins de la
d
éfense ! D éfends notre cause, Andr é, je t’en conjure !
C’est inutile. Toutes les lettres restent sans r
éponse. Personne ne les lit. Et implorer leur gr âce,
jamais ! Il ne me reste que mon orgueil comme rempart contre la barbarie. Non, n’y pense plus. Et il
n’est plus temps.
Mais nous ne pouvons pas rester ici
à attendre la mort. On vient de d épasser le nombre de dixhuit
mille guillotin
és depuis le d ébut de la Terreur. Ne seraitce qu’hier, la charrette de l’infamie, a encore
transport
é soixante quatorze condamn és jusqu’ à la place de la Nation, o ù la guillotine, du matin au
soir, raccourcit les
âmes. On dit que les tricoteuses, se r égalent du spectacle et en redemandent.
Justement. Trop de fant
ômes r ôdent autour de moi. Tous ces innocents ex écut és, qui n’ont pas pu
parler, trop h
ébétés m ême pour pleurer, je suis leur voix, je suis leur cri. Pour qui d’autre chanter ?
C’est avant qu’ils avaient besoin de toi. Ils n’ont que faire de ton hommage posthume. Demain,
lequel d’entre nous sera appel
é et ex écut é sommairement ? Le temps presse, mon ami. Il faut agir !
Ecoute, une femme d’un des gardiens accepte de faire sortir de Saint Lazare des messages dans
son panier
à linge. Il faut inonder la ville de libelles, de pamphlets virulents, qui d énoncent la
dictature de Robespierre, qui r
évèlent au peuple les complots du tribunal r évolutionnaire ! Comme
disait Danton, « De l’audace, toujours de l’audace, encore de l’audace ». Se taire serait d
éserter !
C’est inutile. Je te r
épète, il n’est plus temps. Je crois d éjà entendre le commissaire du comit é
hurler mon nom pour la prochaine ex
écution. Il peut venir d’un instant à l’autre, avant m ême que
l’aiguille de l’horloge ait fini son tour de cadran. Ne l’entendstu pas d
éjà résonner entre les murs de
Saint Lazare ? J’ai assez v
écu, je me pr épare à cette mort atroce, je l’attends, je l’imagine m ême.
Andr
é, ne d ésesp ère pas !
Je me livrais ce matin
à une t âche plus agr éable et plus utile qu’une lettre ou un pamphlet, qui nous
humilieraient sans rien nous apporter.
N’en dis pas plus. Toujours tes odes ? Laisse donc ta lyre ! Il n’est plus temps de r
êver ou de
former des pleurs, mais de passer
à l’action. Tu es un po ète inspir é, et tu sais mieux que personne
comment enflammer les cœurs et les esprits.
Non je n’
écris pas des odes. Ce n’est pas le moment. Mes vers sont la seule arme dont je dispose
et je les aiguise du mieux que je peux. Moi, je meurs, mais mes vers me survivront. Mes fl
èches
ac
érées pers écuteront sans rel âche les criminels qui nous mettent à mort aujourd’hui. Et nous ne
serons plus sur cette terre depuis des si
ècles, que ceux qui nous liront penseront encore à nous,
pour s’indigner de l’injustice qui nous est faite, de la corruption et de la violence de ces inf
âmes
ouvriers de mort.
Mes vers seront un t émoignage du terrible sort fait aux innocents, tomb és sous la Terreur de Robespierre et de ses acolytes. La libert é est une valeur universelle, une fleur que les hommes de demain cueilleront à nouveau. Elle refleurira, dans toute sa splendeur croismoi. La post érité ! Mais que m’importe à moi la post érité ! C’est aujourd’hui que je veux vivre ! Ecoute, si l’avenir te laisse indiff érent, essaie au moins de comprendre et d’accepter que ces pauvres vers, bien faibles soutiens du juste, sont pourtant ma seule consolation, quelques heures à peine avant ma mort. Ils illuminent mes derniers moments, ils r échauffent mon cœur et all ègent mon â me. Dans ma cellule étroite et naus éabonde, o ù je suffoque depuis des jours, ils sont comme la brise l égère et le dernier rayon de soleil, que je ne peux plus, h élas, sentir sur ma peau. Ils me transportent, audel à de ces longs corridors sombres, dans un monde plein d’images et de magie. C’est égo ïste et inutile ! De plus tu te complais dans ta souffrance. A quoi nous servent tes divines larmes d’or ?. »
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