Charles Cros, Le Coffret de Santal: Berceuse
Publié le 17/01/2022
Extrait du document
Berceuse
Endormons-nous, petit chat noir.
Voici que j'ai mis l'éteignoir
Sur la chandelle.
Tu vas penser à des oiseaux
Sous bois, à de félins museaux...
Moi rêver d'Elle.
Nous n'avons pas pris de café,
Et, dans notre lit bien chauffé
(Qui veille pleure.)
Nous dormirons, pattes dans bras.
Pendant que tu ronronneras, J'oublierai l'heure.
Sous tes yeux fins, appesantis, Reluiront les oaristys
De la gouttière.
Comme chaque nuit, je croirai
La voir, qui froide a déchiré Ma vie entière.
Et ton cauchemar sur les toits
Te dira l'horreur d'être trois Dans une idylle.
Je subirai les yeux railleurs
De son faux cousin, et ses pleurs
De crocodile.
Si tu t'éveilles en sursaut
Griffé, mordu, tombant du haut
Du toit, moi-même
Je mourrai sous le coup félon
D'une épée au bout du bras long
Du fat qu'elle aime.
Puis, hors du lit, au matin gris,
Nous chercherons, toi, des souris
Moi, des liquides
Qui nous fassent oublier tout,
Car, au fond, l'homme et le matou
Sont bien stupides.
Charles Cros (1842 - 1888), Le Coffret de Santal (1879), Oeuvres complètes, éditions Gallimard, 1970, pp. 116- 117
À première lecture, ce poème paraît à la fois très simple et bien déconcertant. Les hypothèses de lecture permettant de donner un contenu au «nous« du premier vers sont démenties, remplacées par d'autres, à leur tour démenties, et ainsi de suite. Qui est le «tu« associé au poète ? Un petit chat ? Une compagne ? Un compagnon de bohème et de misère ? Un matou ?
Vous ferez de ce texte un commentaire composé. Vous pourriez, par exemple, montrer comment s'expriment de manière originale et humoristique la tendresse d'une complicité et la détresse d'un amoureux déçu. Vous avez cependant toute liberté pour orienter votre lecture, mais vous vous abstiendrez d'une étude linéaire comme d'une séparation arbitraire entre le fond et la forme.
«
personnel.
Sans documentation, on évitera donc prudemment toute référence culturelle pour présenter le texte, ens'inspirant de la première remarque, et sans trop anticiper sur le commentaire lui-même.
Plan succinct
Voici d'abord les grands axes du commentaire.
Suggestion : illustrez chacun d'entre eux par une remarque préciseconcernant les registres de vocabulaire, ou les tournures figurées (images, jeux sur les mots), ou les effets desonorités ou de rythme, ou enfin les faits marquants de syntaxe (pronoms personnels et adjectifs possessifs enparticulier).
• Un poème d'apparence simplette, légère, hétéroclite.— Évocation d'une scène de la vie familière, décor.— Une chanson, au rythme et au vocabulaire sans prétention.— Des termes archaïques précieux ? ou plutôt perpétués par la langue populaire ?• Une plainte d'amour pudique.— Les couples qui se multiplient : deux complices, deux couples, deux «couples à trois».— Conjurer le malheur par l'humour.— Conjurer le désespoir amoureux par l'amitié complice.• Une méditation sur l'amour et la vie, qui ne se prend jamais au sérieux.— Une fable dont la morale est une «pirouette».— Le thème du sommeil et son ambiguïté.Conclusion
Trois possibilités :
Ouvrir l'explication en reliant le poème étudié à d'autres textes auxquels il vous «fait penser» (à condition que lesrapprochements soient justifiés : le point commun du poème d'amour est beaucoup trop vaste), par exemple à destextes fondés sur le motif du chat (Baudelaire, Colette).MI Donner votre sentiment personnel, votre appréciation sur le texte : ce qui vous séduit, ce qui vous plaît, ce quivous étonne, vous amuse, ce que vous comprenez mal, dans l'expérience évoquée par le poète, ou dans saconception de la poésie.
Insister sur un aspect du texte qui n'a pas encore été évoqué dans le commentaire, et qui ne s'est dégagé qu'auterme de l'étude et peut être considéré à la fois comme un bilan et comme la «pointe» de l'étude.
C'est la solutionque nous proposons ici.
Développement rédigé
«Endormons-nous petit chat noir...»Cette berceuse de Charles Cros (tirée du recueil Le Coffret de Santal) se situe d'emblée en marge du courantromantique, aux antipodes de toute dramatisation grandiloquente de l'existence.
Toutefois, en dépit de sa simplicité,elle tient le lecteur en haleine, en alerte, l'incitant à réviser à plusieurs reprises les hypothèses de lecture qu'il auraéchafaudées au départ pour donner un contenu au «nous» du premier vers.
Par la magie du rêve, le couple initial semultiplie, l'univers clos et douillet du début se déploie, s'anime.
Puis tout se brise.
Pas d'éclat.
Chacun reprend saplace, mais le lecteur sent que l'univers est fêlé, irrémédiablement.Ce poème d'apparence légère cache donc une plainte d'amour très pudique et s'ouvre en une méditation sur la vieet les sentiments, qui ne se prend jamais au sérieux.Le charme de ce poème tient d'abord à sa simplicité, à son côté enfantin, puéril, et en même temps un peuhétéroclite.On pense à ces comptines par lesquelles les enfants entrent au royaume de la poésie.
Certains vers imitent mêmeune langue encore peu élaborée, ramenée à l'essentiel: ,‹Moi rêver d'Elle» (...) «pattes dans bras».
Les vers sontbrefs : 8 à 4 syllabes, ramenant bien vite la rime à l'oreille, souvent tout simplement binaires (v.
1, 10, 13...).
Deuxoctosyllabes aux rimes plates alternent avec un vers de 4 syllabes.
L'unité de la strophe est claire: le dernier versde chaque strophe vient clore la rime laissée en suspens au 3ème vers.Le poème évoque une scène de la réalité familière : dans un décor volontairement banal et douillet, un lit refuge (v8-31), bien chauffé, une chandelle, un homme et un chat de «gouttière».
On dort, on boit du café, de l'alcool, onrêve.
Au dehors, un café, les toits de la ville sur lesquels le matou chasse les souris, les oiseaux dans les sous-bois.Toutefois, le vocabulaire hésite entre la préciosité et la culture populaire.
Charles Cros affectionne les dérapages :«les oaristys» se déroulent dans les gouttières, le «félon» a le bras long.
De même la prononciation de certains «e»instables, surtout suivis d'une liaison, confère-t-elle à la diction une allure un peu artificielle, un peu sophistiquée :(v.
16) «comme chaque nuit» (v.
25),«si tu t'éveilles en sursaut», (v.
34) «qui nous fassent oublier tout».
Voisinentavec ces effets des emprunts plus ou moins apparents à la culture populaire.
Celle de la chanson «L'ami Pierrot (et.
»
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