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Charles BAUDELAIRE : L'invitation au voyage

Publié le 16/09/2006

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baudelaire
Mon enfant, ma soeur, Songe à la douceur D'aller là-bas vivre ensemble ! Aimer à loisir, Aimer et mourir Au pays qui te ressemble ! Les soleils mouillés De ces ciels brouillés Pour mon esprit ont les charmes Si mystérieux De tes traîtres yeux, Brillant à travers leurs larmes.  Là, tout n'est qu'ordre et beauté, Luxe, calme et volupté.  Des meubles luisants, Polis par les ans, Décoreraient notre chambre ; Les plus rares fleurs Mêlant leurs odeurs Aux vagues senteurs de l'ambre, Les riches plafonds, Les miroirs profonds, La splendeur orientale, Tout y parlerait À l'âme en secret Sa douce langue natale.  Là, tout n'est qu'ordre et beauté, Luxe, calme et volupté.  Vois sur ces canaux Dormir ces vaisseaux Dont l'humeur est vagabonde ; C'est pour assouvir Ton moindre désir Qu'ils viennent du bout du monde. - Les soleils couchants Revêtent les champs, Les canaux, la ville entière, D'hyacinthe et d'or ; Le monde s'endort Dans une chaude lumière.  Là, tout n'est qu'ordre et beauté, Luxe, calme et volupté.
« L'Invitation au Voyage « se compose de trois évocations successives, trois petits volets d'un grand tableau qu'on a souvent comparé à un triptyque hollandais. Le premier décrit les « ciels brouillés« du pays mystérieux, semblables aux yeux de la bien-aimée ; le second imagine la chambre rêvée où les amants abriteraient leur intimité ; le troisième est une vue sur le port, puis sur la ville entière au crépuscule. 
Mais cette claire succession ne nous donne qu'une vague idée du mouvement du poème, de sa dynamique paradoxale — puisqu'en fin de compte, comme dans « Harmonie du soir«, tout le mouvement du texte ne fait que tendre à l'immobilisation finale. Si l'on examine de façon plus détaillée la composition de cette « invitation « au voyage, on distinguera plusieurs linéaments qui se développent conjointement :
 
C'est d'abord un voyage dans l'espace dont on vient de dire les trois étapes. Mais il faut préciser. Dans la première strophe, la description est mouvante : l'idée de départ («aller là-bas«) engendre le tableau des «ciels brouillés«, qui lui-même se fond dans l'image des yeux « brillant à travers leurs larmes«; ainsi s'opère une première boucle visuelle, qui ramène la dynamique de la rêverie à une sorte d'arrêt-sur-image.
 

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« L'INVITATION AU VOYAGE Deux sources d'inspiration sont à l'origine de ce poème : Le mythe d'une Hollande où règnent le calme, le bien-être, l'ordre, et une richesse venue d'ailleurs.

Baudelairen'y était pas allé, note Antoine Adam (édition Garnier des Fleurs du Mal), mais il existait une tradition littéraire sur la Hollande, « terre béatifiante » dit ailleurs Baudelaire.

En outre celui-ci, comme critique d'art, connaissaitsuffisamment la peinture flamande pour ne pas se faire, à travers elle, une idée très esthétique de ce pays. La figure de Marie Daubrun, d'autre part, femme aimée de Baudelaire au même titre que Jeanne Duval et ApollonieSabatier, mais d'une façon beaucoup plus ambiguë.

Le poète lui consacre un cycle de poésies où il célèbre sesmys térieux yeux verts, en les comparant à plusieurs reprises à un «ciel brouillé».

Un poème porte d'ailleurs ce titre, où l'on peut lire : Ton oeil mystérieux (est-il bleu, gris ou vert?)Alternativement tendre, rêveur, cruel,Réfléchit l'indolence et la pâleur du ciel [...]Comme tu resplendis, paysage mouilléQu'enflamment les rayons tombant d'un ciel brouillé! » Mais ces deux sources de « L'Invitation au Voyage », celle qui suscite le désir d'un voyage idyllique et celle quiillustre le rêve du pays idéal, ne doivent être tenues que pour ce qu'elles sont : des explications de la genèse du poème, mais non du poème lui-même.

Ce qui nous importe ici, c'est moins la réalité dont part l'écrivain que la façondont il l'idéalise.

On oubliera donc passablement la Hollande réelle ou la personne historique qu'a pu être MarieDaubrun.

En revanche, on tentera d'approfondir les racines profondes de l'imaginaire de Baudelaire et l'art par lequelil invite la bien-aimée (et nous-mêmes) à voyager avec lui. On ne manquera pas non plus de se référer assez souvent au poème en prose intitulé, lui aussi, « L'Invitation auVoyage », que Baudelaire écrivit deux ans plus tard, tant le thème lui était cher.

Il y déclare.

« Un musicien a écrit l'Invitation à la valse ; quel est celui qui composera /Invitation au voyage, qu'on puisse offrir à la femme aimée, à la soeur d'élection ?» Cette perspective nous indique clairement que nous avons à commenter ici, non une invitation réelle, mais un chant idéal, composé par un maître peintre et musicien. COMPOSITION « L'Invitation au Voyage » se compose de trois évocations successives, trois petits volets d'un grand tableau qu'ona souvent comparé à un triptyque hollandais.

Le premier décrit les « ciels brouillés» du pays mystérieux, semblables aux yeux de la bien-aimée ; le second imagine la chambre rêvée où les amants abriteraient leur intimité ; le troisièmeest une vue sur le port, puis sur la ville entière au crépuscule.

Mais cette claire succession ne nous donne qu'une vague idée du mouvement du poème, de sa dynamiqueparadoxale — puisqu'en fin de compte, comme dans « Harmonie du soir», tout le mouvement du texte ne fait que tendre à l'immobilisation finale.

Si l'on examine de façon plus détaillée la composition de cette « invitation » auvoyage, on distinguera plusieurs linéaments qui se développent conjointement : C'est d'abord un voyage dans l'espace dont on vient de dire les trois étapes.

Mais il faut préciser.

Dans la première strophe, la description est mouvante : l'idée de départ («aller là-bas») engendre le tableau des «ciels brouillés», qui lui-même se fond dans l'image des yeux « brillant à travers leurs larmes»; ainsi s'opère une première boucle visuelle, qui ramène la dynamique de la rêverie à une sorte d'arrêt-sur-image. Dans la seconde strophe, alors que la description semble s'enfermer dans les détails d'un intérieur hollandais,l'irruption des « miroirs profonds» et de la «splendeur orientale» suggère un arrière-plan, un espace s'offrant à notre imagination, avant que le thème de la « douce langue natale» ne fixe, ne fige la scène dans un étrange passé. La dernière strophe, quant à elle, accomplit l'ultime passage de l'agitation au repos : à l'évocation des vaisseaux, quivagabondent, succède la contemplation d'un monde qui s'endort au soleil couchant. Quant au refrain, à la suite de chaque couplet, il a pour effet de clore l'invitation par un tableau ordonné, qui sembleimmuable dans l'espace et dans le temps. Concurremment à ce mouvement spatial en effet, on observe un déplacement temporel dont on peut se demander s'il opère une progression dans le temps ou une plongée dans l'intemporalité.

L'impératif présent qui meut tout le poème («Songe ») nous oriente vers un futur proche ; mais l'indicatif qui suit nous donne aussitôt le sentiment que déjà le poète contemple dans les yeux de l'aimée le «pays qui (lui) ressemble».. »

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