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CHAR René : sa vie et son oeuvre

Publié le 19/11/2018

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CHAR René (1907-1988). L’œuvre, reconnue et saluée largement de nos jours, et la vie de René Char posent des questions purement poétiques. Entendons par là qu'un poème de Char s’explique — si tant est que le terme trouve ici un sens acceptable — à partir du poème lui-même. Et son existence est tout entière inspirée par la pureté de sa parole, de ce don premier et constamment présent qui fait aujourd’hui de lui le poète par excellence. La différence entre l’oral et l’écrit reste largement étrangère à Char. Actions politiques et poèmes s’éclairent d’une lumière identique, elle-même source de rayonnement généreux. Nombre d’artistes du vingtième siècle — et parmi eux les plus grands — ont au moins une fois croisé son chemin, parce que René Char vit littéralement dans la poésie. Sa prodigieuse capacité d’aimantation poétique, sa faculté natale à exister en poète, lui confèrent les vertus d’un inspirateur : le poète Roger Bernard, le peintre Georges Braque, le philosophe Martin Heidegger, en portent, chacun à sa manière, témoignage.
Char en Provence : éléments biographiques
Né à L’Isle-sur-la-Sorgue, dans l’ancien Comtat Venaissin, Char est d’un pays : la Provence. Éminemment présente dans son œuvre, elle ne rature pas pour autant de la topographie poétique d’autres lieux traversés ou habités : l’Alsace, la Normandie, Paris. La Provence est avant tout le pays d’une enfance chérie et protégée comme une grâce : « Nous commençons toujours notre vie sur un crépuscule admirable. Tout ce qui nous aidera, plus tard, à nous dégager de nos déconvenues s’assemble autour de nos premiers pas » (le Poème pulvérisé, 1947). La Provence parle par ses eaux (Sorgue, Rhône, névons), par ses massifs montagneux (Lubéron et Ventoux), par ses villages tôt parcourus et aimés (Le Thor, Lagnes, Maussane, Thouzon, Venasque, Venelles), par ses pierres et ses lichens lavés par les vents, ruisselants de soleil, par sa faune aussi qui répond secrètement aux événements cruciaux de l’existence : loriot et martinet, anguille et papillon, lézard et vipère; les animaux deviennent, comme le taureau, la truite, le serpent et l’alouette dans la Parole en archipel (1962), des « fascinants ». La terre de Provence n’est jamais un décor. La pièce le Soleil des eaux (1948), qui conte « l’aventure significative » de pêcheurs de la Sorgue dont la familiarité avec la nature est profanée jusqu’à la mort par les eaux chlorées d’une papeterie, expose en même temps un mythe qui circonscrit « l’éternel mal, l’éternel bien ». L’amour profond du poète pour son pays s’exprime avec tendresse (« L’aubépine en fleurs fut mon premier alphabet »), avec passion (« Ma toute terre, comme un oiseau changé en fruit dans un arbre éternel, je suis à toi »). Char enfant côtoie des êtres extraordinaires qu’il évoque longuement (Louis Curel, par exemple) et qui lui enseignent l’intelligence des hommes et des choses, comme les Transparents, ces « vagabonds luni-solaires » qui, chantant la Provence, se laissent offrir le gîte et le couvert (voir les Matinaux, 1950). Or, être poète, c’est justement savoir garder intact le rapport avec cet essentiel qu'est la terre natale. « Dans mon pays... », dit parfois Char. Le mot n’a rien ici de restrictif. Si le pays de Char est la Provence, son autre nom est poésie. Char ne poétise pas la Provence, il ne l’orne nullement de signes troublants ou de détails pittoresques, mais il voit en elle la poésie comme incarnée dans une terre et un ciel. La Provence n’a certes pas attendu Char pour entrer en poésie; cependant, grâce à ses poèmes, elle renaît chaque fois poétiquement, car elle est pour lui nativement poétique.
 
La biographie de Char échappe donc inévitablement à l’anecdote, voire à la chronologie. Le poète lui-même ne manifeste aucun goût pour les confidences complaisantes, afin de mieux protéger une liberté qu’il éprouve comme l'élément propre de l’homme : « Les oiseaux libres ne souffrent pas qu’on les regarde. Demeurons obscurs, renonçons à nous, près d’eux » (La bibliothèque est en feu, 1956). Char s’ouvre très jeune à la poésie, et très tôt il est reconnu poète par ses pairs et ses aînés. Les surréalistes l'appellent et l’accueillent avec ferveur; Éluard et Breton signent même avec lui Ralentir travaux en 1930, événement d’autant plus remarquable que Char n’a publié jusque-là que des plaquettes à tirages limités. L'édition originale d'Arsenal, par exemple, sa première œuvre, est tirée en 1929 à 26 exemplaires hors commerce. Deux recueils, le Marteau sans maître (1934), puis Dehors la nuit est gouvernée (1938), en même temps qu’ils le libèrent du surréalisme que Char perçoit de plus en plus comme une impasse, assurent son autorité poétique. Après 1944, la maturité est trouvée : les traductions qui se multiplient, les études de son œuvre, consacrent sa poésie et confirment l’intérêt grandissant qu’elle ne cesse de susciter.
La Résistance a marqué, selon le mot de Georges Mounin, une mutation qualitative dans l’œuvre de René Char. Son action politique d'alors le conduit jusqu’à « la parole du plus haut silence » (Feuillets d'Hypnos, 1946). La Section Atterrissage-Parachutage de Céreste (Basses-Alpes) qu'il dirige sous le nom de Capitaine Alexandre se charge d’aménager des terrains de parachutage et d'organiser des sections de combat. Mais réfractaire, Char l’est, pourrait-on dire, originellement. C’est un sursaut de révolte nécessaire qui pousse le jeune homme à l'action poétique, au nom de la vérité et de la liberté. Dès Arsenal, un monde poétique étonnamment prémonitoire se met en place :
Toi nuage passe devant
Nuage de résistance Nuage des cavernes Entraîneur d'hypnose.
 
Char toujours a fait face à ce qui pour d’autres fut l'occasion d’abandons ou d’atermoiements. Dire non quand menacent la maladie ou les barbares, ne pas détourner les yeux quand l’amour ou la poésie énoncent leurs exigences, telle est l’attitude de l’homme debout qui proclame : « Je n'écrirai pas de poème d’acquiescement ». L'action est une province de la poésie et une même poussée vitale conduit au poème et au sabotage. La résistance définit bien la poésie, qui « vit d’insomnie perpétuelle ». Politique, l’action de Char l’est donc bien avant la guerre. Poète politique. Char l'est donc plus qu’un autre et plus profondément. Non seulement parce que Placard pour un chemin des écoliers (1936-1937) est dédié aux « enfants d'Espagne », parce que Char fut un grand résistant ou bien encore parce qu’il a pris position contre l’implantation de fusées nucléaires sur le plateau d'Albion en 1965, mais parce qu'aucune circonstance extérieure ne vient greffer le rêve sur l’action. « C'est en poèie prodigieux, note Dominique Fourcade, que René Char fut le plus efficace des chefs de Maquis ».
 
L'indispensable unité est trouvée quand le réel embrasse l’imaginaire. A ceux qui croient déceler chez lui une teinte étrange de mysticisme, Char répond : « Persévérons dans le réel » (Moulin premier, 1936) ou encore : « Certains se confient à une imagination toute ronde. Aller me suffit » (Fureur et Mystère, 1948). Le goût du réel le plus concret s’exprime à travers une heureuse sensualité qui donne la préférence à la « rosée des femmes » sur « l’encre inanimée des meurtriers de plumes » (le Rempart de brindilles, 1953). A ceux qui seraient tentés d'entendre dans ses poèmes une injonction partisane. Char rappelle que les faits politiques sont « prévisibles par la poésie » et que « les actions du poète ne sont que la conséquence des énigmes de la poésie ». Rêve et réalité se fécondent dans la vie comme dans le poème, le souci du maquisard-poète étant de « faire longuement rêver ceux qui ordinairement n'ont pas de songes, et plonger dans l’activité ceux dans l’esprit desquels prévalent les jeux perdus du sommeil ». En fait, Char reste essentiellement attentif à « cet enfant vivant près de nous avec ses trois mains, et qui se nomme le présent ». Trois mains, c’est-à-dire présent, passé, avenir. D’où, entre autres, cet usage du participe passé substantivé, qui permet notamment de désigner la femme qui, une fois aimée, l’est pour toujours : « ma martelée », « la rencontrée ». Au cœur de la poésie, l’expérience du temps mesure la force de la mémoire et la justesse de la prédiction : « J’ai, captif, épousé le ralenti du lierre à l’assaut de la pierre de l’éternité » (Fureur et Mystère). Dès lors, l’étirement de la durée et la fulgurance de l’éclair se confondant, l’unité conquise et défendue représente le plus sûr rempart contre la mort : « Les poèmes sont des bouts d’existence incorruptibles que nous lançons à la gueule répugnante de la mort, mais assez haut pour que, ricochant sur elle, ils tombent dans le monde nominateur de l’unité » (le Rempart de brindilles).
Langue et violence
D'un point de vue formel, les manières de dire sont multiples. Tour à tour, et à peu près indistinctement des époques. Char utilise l'aphorisme ou le poème en prose, l’alexandrin ou le vers libre, la rime ou l’assonance, la prose poétique constellée de vers blancs, la chanson, le « vers aphoristique » de la Nuit talismanique (1972), et même le télégramme (« Réclamons venue civilisation serpentaire. Très urgent »). Théâtre, arguments de ballets, billets, lettres, font partie de l’œuvre. Le ton de Char naît de ces changements de rythme et de forme, à l’intérieur d’un recueil ou dans un poème précisément, comme dans ces vers magnifiques de la Parole en archipel où le jeu savant des muettes et des césures menace lyriquement la scansion de l’octosyllabe jusqu’à lui faire épouser le mouvement à la fois souple et brusque de la truite :
Rives qui croulez en parure Afin d'emplir tout le miroir, Gravier où balbutie la barque Que le courant presse et retrousse, Herbe, herbe toujours étirée, Herbe, herbe jamais en répit, Que devient votre créature Dans les orages transparents Où son cœur la précipita?
Tout ensemble héritier et novateur, c’est en dehors des nomenclatures et des normes codifiées que Char s’affirme comme le pur parleur grâce à qui la langue française se découvre poésie. Le poète rend sensible l'étoffe et la direction du français. Dans l’énoncé, le mot est toujours exact et lumineux. Dans les poèmes, dans les messages de recommandations aux compagnons de la Résistance, dans les textes de méditation ou les lettres aux amis, les termes, rigoureusement posés, d’une justesse sans défaut, présentent ce qui est à dire sans laisser la moindre place au superflu.
Libérés de leur gangue quotidienne, les mots sont restitués à leur pureté primitive et redeviennent ce qu’ils n'ont jamais cessé d’être : des vocables poétiques. Un nom propre peut ainsi se faire, à son insu et au nôtre, titre de poème: «Abondance Viendra» (1933) est le nom et le prénom d'un maçon qui fut locataire de la grand-mère de René Char. Comme à Lautréamont dans ses Poésies, il est arrivé à Char de reprendre des phrases d'auteur, en l’occurrence des notes posthumes de Hugo, et, en les retournant, de faire jaillir d'elles une lumière poétique insoupçonnée. Le mot parle dans tous les sens : ainsi de « balandrane » (Chants de la Balandrane, 1977), ainsi d’« iris » dans Lettera amorosa (1963) dont la der



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« libres ne souffrent pas qu'on les regarde.

Demeurons obscurs, renonçons à nous, près d'eux » (La bibliothèque est enfeu, 1956).

Char s'ouvre très jeune à la poésie, et très tôt il est reconnu poète par ses pairs et ses aînés.

�es surréalistes J'appellent et l'accueillent avec ferveur; Eluard et Breton signent même avec lui Ralentir travaux en 1930, événement d'autant plus remarquable que Char n'a publié jusque-là que des plaquettes à tirages limités.

L'édition originale d'Arsenal, par exemple, sa première œuvre, est tirée en 1929 à 26 exemplaires hors com­ merce.

Deux recueils, le Marteau sans maître (1934), puis Dehors la nuit est gouvernée (1938), en même temps qu'ils le libèrent du surréalisme que Char perçoit de plus en plus comme une impasse, assurent son autorité poétique.

Aprè:; 1944, la maturité est trouvée : les traduc­ tions qui se multiplient, les études de son œuvre, consa­ crent sa poésie et confirment 1' intérêt grandissant qu'elle ne cesse de susciter.

La Résistance a marqué, selon le mot de Georges Mounin, une mutation qualitative dans l'œuvre de René Char.

Son actieon politique d'alors le conduit jusqu'à« la parole du plus haut silence >>(Feuillets d'Hypnos, 1946).

La Section Atterrissage-Parachutage de Céreste (Basses­ Alpes) qu'il dirige sous le nom de Capitaine Alexandre se charge d'aménager des terrains de parachutage et d'organiser des sections de combat.

Mais réfractaire, Char l'est, pourrait-on dire, originellement.

C'est un sur­ saut de révolte nécessaire qui pousse le jeune homme à l'action poétique, au nom de la vérité et de la liberté.

Dès Arsenal, un monde poétique étonnamment prémoni­ toire se met en place : Toi nuage passe de van t Nuage de résistance Nuage des cavernes Entraîneur d'hypnose.

Char toujours a fait face à ce qui pour d'autres fut l'occasion d'aoandons ou d'atermoiements.

Dire non quand menacent la maladie ou les barbares, ne pas détourner les yeux quand l'amour ou la poésie énoncent leurs exigences, telle est l'attitude de l'homme debout qui proclame : «Je n'écrirai pas de poème d'acquiesce­ ment».

L'action est une province de la poésie et une même poussée vitale conduit au poème et au sabotage.

La résistance définit bien la poésie, qui « vit d'insomnie perpétuelle».

Politique, l'action de Char l'est donc bien avant la guerœ.

Poète politique, Char l'est donc plus qu'un autre et plus profondément.

Non seulement parce que Placard p.Jur un chemin des écoliers ( 1936- 1937) est dédié aux > (Moulin premier, 1936) ou encore : « Certains se confient à une imagination toute ronde.

Aller me suffit» (Fureur et Mystère, 1948).

Le goût du réel le plus concret s'exprime à travers une heureuse sensualité qui donne la préférence à la «rosée des femmes>> sur «l'encre inanimée des meurtriers de plumes>> (le Rempart de brindilles, 1953).

A ceux qui seraient tentés d'entendre dans ses poèmes une injonc­ tion partisane, Char rappelle que les faits politiques sont « prévisibles par la poésie » et que « les actions du poète ne sont que la conséquence des énigmes de la poésie ».

Rêve et réalit(: se fécondent dans la vie comme dans le poème, le süuci du maquisard-poète étant de « faire longuement rê'ler ceux qui ordinairement n'ont pas de songes, et plonger dans l'activité ceux dans 1 'esprit des­ quels prévalent les jeux perdus du sommeil ».

En fait, Char reste essentiellement attentif à «cet enfant vivant près de nous avec ses trois mains, et qui se nomme le présent>> .

Trois mains, c'est-à-dire présent, passé, ave­ nir.

D'où, entre autres, cet usage du participe passé substantivé, qui permet notamment de désigner la femme qui, une fois aimée, l'est pour toujours :>, «la rencontrée>> .

Au cœur de la poésie, l'expérience du temps mesure la force de la mémoire et la justesse de la prédiction : «J'ai, captif, épousé le ralenti du lierre à l'assaut de la pierre de l'éternité>> (Fureur et Mystère).

Dès lors, l'étirement de la durée et la fulgurance de l'éclair se confondant, 1' unité conquise et défendue représente le plus sûr rempart contre la mort : « Les poè­ mes sont des bouts d'existence incorruptibles que nous lançons à la gueule répugnante de la mort, mais assez haut pour que, ricochant sur elle, ils tombent dans le monde nominateur de l'unité» (le Rempart de brindilles).

Langue et violence D'un point de vue formel, les manières de dire sont multiples.

Tour à tour, et à peu près indistinctement des époques, Char utilise l'aphorisme ou le poème en prose, l'alexandrin ou le vers libre, la rime ou l'assonance, la prose poétique constellée de vers blancs, la chanson, le de la Nuit talismanique ( 1972), et même le télégramme («Réclamons venue civilisation serpentaire.

Très urgent))).

Théâtre, arguments de bal­ lets, billets, lettres, font partie de l'œuvre.

Le ton de Char naît de ces changements de rythme et de forme, à 1' intérieur d'un recueil ou dans un poème précisément, comme dans ces vers magnifiques de la Parole en archi­ pel où le jeu savant des muettes et des césures menace lyriquement la scansion de l'octosyllabe jusqu'à lui faire épouser le mouvement à la fois souple et brusque de la truite : Rives qui croulez en parure Afin d'e m plir tout le miroir, Gravier où balb utie la barque Que le courant presse et retrousse, Herbe, herbe toujours étirée, Herbe, he rb e ja mais en répit, Que devi ent votre créature Dans les orages transparents Où son cœur la précipita? Tout ensemble héritier et novateur, c'est en dehors des nomenclatures et des normes codifiées que Char s'af­ firme comme le pur parleur grâce à qui la langue fran­ çaise se découvre poésie.

Le poète rend sensible l'étoffe et la direction du français.

Dans l'énoncé, le mot est toujours exact et lumineux.

Dans les poèmes, dans les messages de recommandations aux compagnons de la Résistance, dans les textes de méditation ou les lettres aux amis, les termes, rigoureusement posés, d'une jus­ tesse sans dé faut, présentent ce qui est à dire sans laisser la moindre place au superflu.

Libérés de leur gangue quotidienne, les mots sont restitués à leur pureté primitive et redeviennent ce qu'ils n'ont jamais cessé d'être: des vocables poétiques.

Un nom propre peut ainsi se faire, à son insu et au nôtre, titre de poème : « Abondance Viendra» (1933) est le nom et le prénom d'un maçon qui fut locataire de la grand-mère de René Char.

Comme à Lautréamont dans ses Poésies, il est arrivé à Char de reprendre des phrases d'auteur, en l'occurrence des notes posthumes de Hugo, et, en les retournant, de faire jaillir d'elles une lumière poétique insoupçonnée.

Le mot parle dans tous les sens : ainsi de « balandrane » (Chants de la Balandrane, 1977), ainsi d'« iris>> dans Lettera amorosa (1963) dont la der-. »

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