CHAPITRE 30 et les leçons de Candide de Voltaire
Publié le 17/01/2022
Extrait du document
Candide — maintenant que Cunégonde enlaidie ne peut plus donner un but à sa destinée — est saisi par le doute et la conscience que la réalité diffère du rêve. Sans doute le mariage avec Cunégonde le flatte-t-il : il prendra la place que tenait le baron Thunder-ten-Tronckh en renvoyant son insupportable fils aux galères et en épousant sa fille.
«
Personnage traditionnel et symbole de la sagesse dans les contes orientaux, le derviche voisin passe « pour lemeilleur philosophe de la Turquie ».
La malice est évidente : les philosophes turcs célèbres ne sont pas légion auxviiie siècle et de plus pour Voltaire il existe une antinomie fondamentale entre la religion et la philosophie.
Dans sanaïve perplexité la petite communauté considère la seule présence du derviche comme une bouée de secours etPangloss, porte-parole car il ne sait que parler, interroge le derviche sur la finalité de la création humaine en posantune question (« nous venons vous prier de nous dire pourquoi un aussi étrange animal que l'homme a été formé.
»)qui rappelle son antienne « Il n'y a pas d'effet sans cause ».
A cette question d'ordre métaphysique relayée de façon burlesque par Candide, le derviche répond en condamnantla métaphysique.
D'abord, il oppose une fin de non-recevoir presque grossière aux questions insolubles pour l'homme : « De quoi temêles-tu ? [...] ; est-ce là ton affaire ? »
Ensuite, il montre par un très bref apologue oriental que les événements particuliers ne sont rien au regard de Dieuet que la Providence est universelle.
On notera à ce propos que le derviche ne résout pas la contradiction : leSultan n'a pas créé les souris et n'en est donc pas responsable, tandis que Dieu a créé les hommes, ce qui engagesa responsabilité à leur égard.
Enfin, il propose en deux mots (« Te taire ») une sagesse qui découle logiquement de son constat — on ne peut pascomprendre la Providence — et qui reprend presque textuellement les termes d'une lettre à Élie Bertrand où Voltaire,le 27 décembre 1757, constate l'inanité des discussions métaphysiques : « Que faut-il donc faire ? Rien ; se taire,vivre en paix et manger son pain à l'ombre de son figuier ; laisser le monde aller comme il va.
»
Il referme la « porte au nez » de Pangloss, réponse méritée à ses yeux par la diarrhée verbale du philosopheallemand qui entasse dans le désordre toutes les notions leibniziennes les plus complexes : « Je me flattais deraisonner un peu avec vous des effets et des causes, du meilleur des mondes possibles, de l'origine du mal, de lanature de l'âme, et de l'harmonie préétablie.
»
Ce moment du conte, avec le refus brutal de toute explication par le derviche et la porte claquée au nez des troisdésespérés, « représente sans doute », comme le remarque Jacques Van den Heuvel ( Voltaire dans ses Contes, p. 274-275) « le point le plus bas du pessimisme de Candide.
L'horreur initiale était en un sens moins lugubre : maintenant que la crise est passée, la condition de l'homme apparaît dans toute sa platitude.
Et la connaissance luisemble une fois pour toutes refusée ; le voilà ramené aux nécessités les plus frustes : boire, manger, dormir, etsurtout se taire.
Si Candide s'arrêtait deux pages avant sa fin véritable, le divorce entre l'essence et l'existence y apparaîtrait sans appel, et le roman sombrerait dans la désolation ».
La parabole du sage vieillard
La question posée par Pangloss au « bon vieillard » est parfaitement dérisoire.
Le nom du muphti étranglé n'apporterien à l'affaire.
Le vieillard lui répond en opposant deux attitudes, l'action politique qui est dangereuse et l'actionéconomique qui est profitable.
Quant au récit de la réception, celui-ci fourmille de détails exo-tiques : le vieillard et ses enfants offrent toutessortes de raretés et de mets délicieux, évocateurs d'un Orient pittoresque, raffiné et sensuel (voir l'épisode desbarbes parfumées par les deux filles du bon musulman).
En-dégageant ainsi le conte de ses racines européennes,Voltaire renforce sa signification symbolique.
Donc, l'enseignement qui se dégage de la formule du paysan turc est très clair.
Ce sage jouit du fruit de son travailet c'est la première personne, parmi tous celles que Candide a trouvées sur son chemin, qui soit capable de donnerun sens à l'existence tout en évitant les trois principaux maux qui menacent l'homme : l'ennui, né de l'inaction,commun au riche sénateur Pococurante et aux membres de la petite communauté, le vice dont Candide a rencontrétoutes les formes en Europe et en Amérique, et le besoin auquel ses compagnons et lui-même sont confrontés,maintenant qu'il ne reste plus rien des diamants de l'Eldorado.
L'exemple du vieillard impressionne fortement Candideet va inspirer la morale finale du jardin : le héros a compris que s'abandônner à la Providence est une forme deparesse et qu'il faut prendre la réalité à bras-le-corps.
La morale du jardin
Candide fait un choix novateur.
La décision de Candide (« il faut cultiver notre jardin ») porte condamnation desillusions caricaturées dans le paradis de Thunder-ten-Tronckh — la noblesse, l'amour et la métaphysique — et seréfère au rôle économique et social de l'agriculture, annonçant l'idéal des physiocrates.
Cependant, Pangloss, incorrigible bavard, continue à confondre les mots et les choses.
Tantôt il ressasse, commeune mécanique tournant à vide, des références historiques abstraites rapportées a priori à la fragilité des grandeursroyales, tantôt il répète à plaisir les malheurs atroces éprouvés par Candide pour démontrer gratuitement la finalitéd'une.
vie heureuse nourrie de cédrats confits et de pistaches.
Néanmoins il se laisse couper la parole par Candidequi prend maintenant la direction de la communauté.
Pangloss abandonne désormais le dernier mot à son ancienélève et consent même à justifier théoriquement, à partir d'un a priori métaphysique tiré d'une référence biblique, lanécessité du travail imposée par Candide..
»
↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓
Liens utiles
- Chapitre 19 de Candide de Voltaire : De quel manière Voltaire dénonce-t-il l’esclavage ?
- Candide chapitre 16 de voltaire
- Chapitre 19 de Candide de Voltaire (commentaire)
- Lecture analytique : Chapitre 6 de Candide, Voltaire
- Commentaire chapitre 3 de Candide de Voltaire