Chapitre 18 de Candide (Voltaire)
Publié le 12/09/2006
Extrait du document
Le passage se situe dans l’arrivée à la capitale d’Eldorado, où le Roi va les accueillir.
C’est la charnière entre les deux parties :
- c’est la liquidation des illusions de la première partie
- elle se base sur la reconstruction qui s’amorce dans la seconde partie
- elle introduit une pause dans le récit : Candide et Cacambo arrivent presque miraculeusement à Eldorado, un pays merveilleux
Le texte s’inscrit dans une technique du XVIIIè siècle : les étrangers découvrent avec étonnement les mœurs d’un pays inconnu.
Etude de l’extrait
Le texte est composé de deux parties :
- le premier paragraphe qui est la réception à la cours
- le second paragraphe qui est la visite de la ville
Les axes de lecture sont :
- les aspects féeriques
- les aspects satiriques
- les aspects utopiques
ASPECTS FEERIQUES
L’extrait est décrit de façon merveilleuse :
- le charme de l’accueil (l’amour après le voyage)
- la simplicité enfantine, naïve de Candide et Cacambo
- l’atmosphère merveilleuse d’abondance
- l’atmosphère de luxure et de magnificence ordinaire, naturelle
- l’exotisme, l’orientalisme
ASPECTS SATIRIQUES
Le texte est une satire de la société européenne avec ses règles et ses préjugés :
- Satire de l’étiquette : parodie burlesque de différentes cérémonies à la cours
* la réception qui parodie la Cour de Versailles
* la « grâce « qui fait allusion à Louis XIV et Louis XV
* la « galerie de deux milles pas « qui parodie la Galerie des Glaces
* « au milieu de deux files, chacune de mille musiciens « qui représente les courtisans à Versailles qui vous regardent, vous détaillent et se moquent
* chaque hypothèse du salut est une moquerie, une parodie, une caricature
- Satire de l’urbanisme parisien : Paris est sous forme d’un urbanisme médiéval, et non hellénistique comme Eldorado.
* La ville médiévale est ronde avec des remparts, elle se protège avec des rues étroites, un entassement des habitations, ce n’est ni esthétique ni hygiénique
* La ville hellénistique est carrée, ouverte, avec un libre-accès, des rues qui se coupent à angle-droit en damier, des marchés, des fontaines qui favorisent l’hygiène, on privilégie les édifices publics que privés, la ville est centrée sur son économie sans besoin de se protéger
ASPECTS UTOPIQUES
La description d’Eldorado a avant tout une fonction positive plus qu’une critique, elle doit montrer que la société que les Philosophes veulent construire est la meilleure. Eldorado, comme toutes les utopies, va donc esquisser un modèle idéal dont les européens vont s’inspirer.
- Un modèle politique : Eldorado suggère une monarchie libérale sans Parlement, avec un monarque proche de ses sujets
- Un modèle social : Eldorado n’a pas de Noblesse inutile, ni de Clergé, et on trouve une parité homme/femme dans les officiers et les officières
- Un modèle urbanistique : Eldorado est une société urbaine, sans retour à la terre : elle est luxueuse, prospère et heureuse. Il y a un certain soucis de l’hygiène avec des fontaines, de l’ « eau pure «, et de grandes perspectives aérées, ainsi que des rues à angle-droit. Eldorado a également un soucis de la prospérité avec l’abondance des marchés, la prééminence de l’édifice public sur l’édifice privé, et le soucis de l’esthétique avec de beaux monuments et le triomphe de la colonne
- Un modèle d’éducation : La description d’Eldorado s’inscrit dans une tradition familière à l’époque : celle des voyageurs naïfs qui découvrent un nouveau monde.
Conclusion
L’épisode peut être vu a différents niveau : à l’intérieur du conte il constitue une pause, et après l’accumulation des malheurs qui ont marqué la première partie de Candide il a une fonction de détente. Le caractère féerique du texte est bien marqué par son côté exotique et presque licencieux (coquin). L’épisode a également une fonction critique, il dénonce un certain nombre d’abus de la société européenne. Enfin, il a une fonction utopique : la description doit inspirer les réalisations et les réformes que les Philosophes veulent mettre en œuvre. Ainsi, l’utopie Voltairienne propose un modèle politique, social, urbanistique et éducatif ; mais le caractère le plus original de l’utopie de Voltaire réside dans le fait qu’il ne rentre jamais dans les détails, son Eldorado n’a pas de caractère contraignant, et est peu terrifiant par rapport à toutes les utopies qui fleurissent à la fin du XVIIIème et au tout au long du XIXème.
''Vingt belles filles de la garde reçurent Candide et Cacambo à la descente du carrisse, les conduisirent aux bains, les vêtirent de robes d’un tissu de duvet de colibri ; après quoi les grands officiers et les grandes officières de la couronne les menèrent à l’appartement de Sa Majesté au milieux de deux files, chacune de mille musiciens, selon l’usage ordinaire. Quand ils approchèrent de la salle du trône, Cacambo demanda à un grand officier comment il fallait s’y prendre pour saluer Sa Majesté : si on se jetait à genoux ou ventre à terre ; si on mettait les mains sur la tête ou sur le derrière ; si on léchait la poussière de la salle ; en un mot, quelle était la cérémonie. « L’usage, dit le grand officier, est d’embrasser le roi et de le baiser des deux côtés. « Candide et Cacambo sautèrent au cou de Sa Majesté, qui les reçut avec toute la grâce imaginable, et qui les pria poliment à souper.
En attendant, on leur fit voir la ville, les édifices public élevés jusqu’aux nues, les marchés ornés de mille colonnes, les fontaines d’eau pure, les fontaines d’eau rose, celles de liqueurs de canne de sucre, qui coulaient continuellement dans de grandes places, pavées d’une espèce de pierreries qui répandaient une odeur semblable à celle du girofle et de la cannelle. Candide demanda à voir la cour de justice, le parlement ; on lui dit qu’il n’y en avait point, et qu’on ne plaidait jamais. Il s’informa s’il y avait des prisons, et on lui dit que non. Ce qui le surprit davantage, et qui lui fit le plus de plaisir, ce fut le palais des sciences, dans lequel il vit une galerie de deux mille pas, toute pleine d’instruments de mathématique et de physique.''
«
Commentaire Candide chapitre XVIII I/ Un monde féerique 1.
Un cadre idyllique(1er sens d'idylle: bucolique, relatif à la campagne, aux bergers."six moutons" (l2): évocation de moutons => bucolique."odeur de gérofle et de cannelle" (l33-34): évocation de plantes, fleurs => bucolique.)"palais" (l3): présence d'un château, à la manière d'un conte de fées."roi" (l3): personnage avec un titre de noblesse."descente du carrosse" (l10): comme dans les contes de fées, Candide et Cacambo sont semblables à des personnes remarquablesque l'on aurait invité à un événement important, bal ou dîner."un bout de la capital" (l3): lieu géographique pas clairement défini."supériorité sur les cailloux et le sable" (l6-7): euphémisme représentant l'or et les pierreries, montre une richesse impressionnante.
2.
L'opulence"six moutons" (l1), "deux cent vingt pieds" (l4), "mille musiciens" (l15): accumulation d'adjectif numéraux qui traduit l'abondance,l'opulence, la taille de tout ce qui est présent dans la ville.
La fortune et la prospérité sont aussi amplifiés par ces adjectifs qui sontcroissants, les nombres augmentent au fur et à mesure des descriptions.
Ces nombres sont aussi des hyperboles qui exagèrent larichesse de l'Eldorado et montrent le luxe de cette cité: "mille colonnes" (l29), les différentes "fontaines" (l29-30).
Champ lexical de la vue omniprésente: "voit" (l8), "belles" (l9), "fit voir" (l27), "ornés" (l28), "vit" (l39): description de la beauté de cemonde à travers les yeux de Candide.
De plus, nous pouvons observer une répétition du verbe "voir" qui permet d'insister sur cettebeauté associée à la richesse.
II / Utopia
La cité démesurée1.
- grandeur, énormément de tout : " grands, grandes ", " élevés jusqu’aux nues ", " grandes places ", " mille colonnes ", " deux filesmille musiciens chacun ", pluriel
- formes superlatives : " le plus de plaisir ", => montre la démesure de la ville qui permet de rendre Candide heureux.
- on peut remarquer une inversion entre le fonctionnement et l’esthétique avec le marché : lieu traditionnellement fait pour lecommerce, ici, il a plus un rôle esthétique avec : « marchés ornés de mille colonnes »
-de plus, on peut remarquer toutes les formes de richesse imaginable avec l’or par exemple qui montre combien cette citée est riche.
Un exemple d’urbanisme et d’esthétique2.
- Une monarchie libérale : monarque tolérant, abordable, rapports hiérarchiques assouplis, aucune tyrannie ; le palais de justice et lesprisons n’existent pas.
Egalité entre les deux sexes : grands officiers et officières.
- Urbanisme et urbanité : joindre l’utile à l’agréable.
" Espaces publics élevés jusqu’aux nues ", " marché orné de … ", " galeries dedeux mille pas ", " pavés odoriférants " => aspect hyperbolique mais agréable.
- Climat de fraîcheur et de propreté, relations commerciales aux dimensions esthétiques.
- Développement des sciences : Eldorado y consacre de grands moyens : " galerie… instruments de mathématique et de physique " =>de nouveau aspect hyperbolique.
III) Un monde parfait
1) Critique implicite de la société européenne
L’immense phrase « si on se jetait à… salle » sur les manières de saluer le roi est constitué d’un assemblage d’hypothèses « si » x 3 etavec l’usage de l’imparfait.
Sur les 5 propositions 3 sont ridicules, ce qui permet de critiquer les cérémonies extravaganteseuropéennes.
Le pléonasme « pria poliment » exagère la douceur des manières du souverain d’Eldorado qui n’est pas aussi distant et supérieur queles souverains européens.
L’association du champ lexical de la justice « cour de justice, le parlement » et « prisons » avec de nombreuses négations « n’y avaitpoint », « ne plaidait jamais » et « non » permet de critiquer la justice aveugle européenne.
2) Une apologie des idées des Lumières
« Sa Majesté, son valet Cacambo et plusieurs dames » : presque seul avec le roi : hôtes d’honneur.
Un valet est à la même table quele roi : pas de classes sociales.
De plus le texte ne mentionne aucun esclave.
Cette absence de classes sociales dans un monde parfaitpermet à Voltaire de le critiquer et de montrer qu’elles n’ont pas lieu d’être.
« le surprit davantage » est une redondance car renchérit la surprise de Candide.
« toute pleine » est une exagération du niveau deremplissage de la galerie, longue de « 2000 pas » qui en est aussi une.
Il s’agit d’une phrase très longue qui insiste sur l’importancedes sciences avec « mathématique et physique » en rejet ce qui permet de les mettre en valeur.
Le groupe nominal « 20 belles filles de la garde » nous apprend que l’armée contient des femmes, ce qui est exceptionnel et unique auXVIIIème siècle.
De plus elles sont caractérisées par leur beauté et pas leur violence, ce qui témoigne du pacifisme de ce peuple..
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