Chant XXIV (24) de l'ILIADE d'HOMERE
Publié le 17/03/2011
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Le rachat d'Hector. L'épisode essentiel du dernier chant de l'Iliade, l'entrevue de Priam et d'Achille, est également admirable par le pathétique de la situation et par l'élévation du sentiment. L'on aimerait à penser que nous sommes de nouveau en présent d'un élément incontestable du poème primitif.
Tout au contraire, selon l'opinion de certains hellénistes des plus qualifiés, le caractère même qui est ici attribué à Achille interdirait à lui seul de s'arrêter un instant à cette hypothèse. Selon Wilamowitz, il n'y aurait même pas lieu de parler de caractères dans l'Iliade, tant la diversité des parties qui la constituent se reconnaîtrait aisément dans la peinture des principaux personnages. Il y a là tout au moins beaucoup d'exagération. Il faut plutôt admirer avec quel heureux instinct les poètes qui ont successivement travaillé au poème ont respecté les données les plus anciennes de l'action et les traits caractéristiques des héros qui la conduisent.
«
le trouva à l'intérieur ; ses compagnons étaient à l'écart ; deux d'entre eux seulement, le héros Automédon etAlcinos, rameau d'Arès, étaient présents et affairés ; Achille venait à peine de prendre son repas, de boire et demanger ; la table était encore en place.
Le grand Priam ne fut pas vu par eux quand il entra ; il s'approcha tout prèset saisit de ses mains les genoux d'Achille ; il lui baisa les mains, ces mains qui lui avaient tué tant de fils ! Commelorsqu'un homme, victime d'une fatalité affreuse, qui, dans sa patrie, a commis un meurtre et vient chercher refugedans un pays étranger, en la maison d'un homme riche, à la stupéfaction de tous les témoins, ainsi Achille futstupéfait, à la vue de Priam, pareil aux dieux.
Ses compagnons aussi furent stupéfaits, et se regardèrent les uns lesautres.
Priam, en le suppliant, lui tint cette harangue : « Souviens-toi de ton père, Achille semblable aux dieux ; il ale même âge que moi ; il est sur le seuil funeste de la vieillesse 1 ; et peut-être en ce moment ses voisinsl'assiègent et le pressent et il n'a personne pour écarter de lui l'attaque et le désastre.
Mais au moins, lui, il sait quetu es en vie, et la joie est en son cœur, et il espère chaque jour voir son fils revenir de Troie.
Moi, je suis au combledu malheur, moi qui avais engendré les fils les plus vaillants, qui fussent dans la vaste Troade, et il ne m'en resteplus un, sache-le.
J'en avais cinquante, quand sont venus les fils des Achéens ; onze étaient nés du même sein ;mes femmes dans le palais m'avaient donné les autres.
L'ardent Arès a brisé les genoux du plus grand nombred'entre eux ; et celui qui était tout pour moi, qui, à lui seul, protégeait la ville, tu l'as tué, naguère, pendant qu'ilcombattait pour son pays, mon Hector ! C'est pour lui que je suis venu jusqu'aux vaisseaux des Achéens, pourobtenir de toi son rachat, en t'apportant une immense rançon.
Respecte les dieux, Achille, et prends-moi en pitiémoi-même, en te souvenant de ton père ; je suis encore plus à plaindre que lui, moi qui ai eu le courage de faire cequ'aucun autre mortel n'a osé sur cette terre, porter ma main à la bouche de l'homme qui a tué mon enfant ».
Il dit, et il lui inspira le désir de s'apitoyer sur son père, en le touchant de sa main ; Achille repoussa doucement levieillard.
Et tous deux versaient des pleurs abondants, l'un au souvenir du vaillant Hector, écroulé aux piedsd'Achille, tandis qu'Achille pleurait sur son père, et parfois aussi sur Patrocle ; leurs plaintes faisaient retentir toutela maison.
Mais quand le divin Achille se fut rassasié de pleurs, (et que le besoin eut disparu de son cœur et de sesmembres), il quitta brusquement son siège ; il releva de sa main le vieillard, plein de pitié pour sa tête chenue et sonmenton chenu ; il s'adressa à lui, en donnant l'essor à ces paroles : « Infortuné ! ah l quelles peines n'as-tu passupportées en ton cœur ? Comment as-tu eu le courage de venir seul, jusqu'aux vaisseaux des Achéens, de t'offriraux regards d'un homme comme moi, qui t'ai tué tant de vaillants fils ; il faut que tu aies un cœur de fer.
Allons !assieds-toi sur ce siège, et laissons malgré tout, malgré notre tristesse, s'apaiser la peine en notre cœur.
A quoiservent en effet les pleurs qui nous glacent ? C'est le sort que les dieux ont filé pour les pauvres mortels, vivre dansla peine, tandis qu'eux-mêmes n'en ont aucune.
Il y a deux tonneaux, placés sur le seuil de Zeus, pleins desprésents qu'il donne, l'un de maux, et l'autre de biens ; celui pour qui Zeus, le maître de la foudre, prend dans l'un etdans l'autre, rencontre tantôt le malheur, tantôt le bonheur.
Celui à qui il ne donne que peines, celui-là est maudit,et la faim mauvaise le chasse à travers la terre divine ; il s'en va, sans aucun égard des dieux ni des mortels.
C'estainsi que les dieux ont donné des présents splendides à Pélée, depuis sa naissance ; il primait tous les hommes parle bonheur et la richesse, et il régnait sur les Myrmidons ; il était mortel et les dieux lui donnèrent pour compagneune déesse ; mais la divinité lui a infligé aussi sa part de malheur, puisqu'il n'a pu jamais voir naître en son palais dejeunes princes, sauf le fils unique, qu'il a engendré pour une vie si brève ; puisque je ne peux pas non plus prendresoin de sa vieillesse, moi qui, si loin de ma patrie, suis ici, dans le pays de Troie, pour ton grand dam et celui de tesenfants ! Et toi aussi, vieillard, nous entendions vanter naguère ton bonheur.
Quoique Lesbos, là-bas sur la mer,Lesbos, résidence de Macar, renferme en son sein, et, au-delà d'elle, la Phrygie et l'Hellespont sans bornes, là, parta richesse et tes fils, tu n'avais pas d'égal.
Par contre, les Ouranides t'ont envoyé cette peine, toujours, autour deta ville, la bataille, toujours le meurtre.
Résigne-toi, et que ton cœur ne se lamente pas sans fin ! A quoi te servirade te désoler pour ton fils ? Tu ne peux le faire revivre ! il t'arrivera plutôt avant quelque autre malheur ! » Le vieuxPriam semblable aux dieux, lui répondit alors : « Ne me fais pas encore asseoir sur ce siège, race de Zeus, tantqu'Hector est gisant, au milieu des tentes, abandonné ; hâte-toi de me le rendre ; que mes yeux le revoient ;accepte la rançon immense que nous venons t'offrir.
Et sois-en récompensé, en revenant en ta terre natale,puisque je suis le premier que tu laisses vivre et voir la lumière du soleil ».
Avec un regard en dessous, Achille aux pieds légers, lui répondit : « Ne m'excite pas davantage, vieillard ! je suisdisposé de moi-même à te rendre Hector.
Un messager de Zeus est venu à moi, ma mère, qui m'a mis au monde, lafille du vieillard de la mer.
Et toi, Priam, je sais bien et tu ne me le cacheras pas, que quelque dieu t'a menéjusqu'aux vaisseaux légers des Achéens.
Car nul mortel n'oserait, même en la force de l'âge, venir ainsi jusqu'aucamp ; il ne tromperait pas les sentinelles ; il ne lèverait pas si facilement la barre qui ferme ma porte.
Ainsi, ne vapas davantage éveiller la peine en mon cœur ; prends garde, vieillard, que, toi non plus, je ne te tolère pas parminos tentes, bien que tu viennes en suppliant, et que je risque de pécher contre le commandement de Zeus ! »
Il dit, et le vieillard prit peur ; il obéit aux paroles d'Achille.
Le Péléide comme un lion, bondit hors de sa demeure ; iln'était pas seul ; deux de ses serviteurs l'accompagnaient, le héros Automédon et Alcimos, que plus que tous lesautres, Achille estimait entre ses compagnons, depuis que Patrocle était mort.
Ils dételèrent du joug les chevaux etles mules ; ils firent entrer le héraut du vieillard ; ils le firent asseoir.
Sur le chariot aux belles jantes, ils prirentl'immense rançon d'Hector, en laissant deux pièces d'étoffe et une tunique bien cousue, pour qu'Achille rendît auvieillard, bien recouvert, le cadavre qu'il devait remporter à sa demeure.
Achille appela les servantes et leur ordonnade laver et d'oindre le corps, en le portant à l'écart, de sorte que Priam ne pût voir son fils ; il craignait que levieillard, en son cœur affligé, ne fût pas capable de contenir sa colère, à la vue de son fils, qu'il n'émût le cœurd'Achille, que celui-ci ne le tuât et ne péchât contre les prescriptions de Zeus.
Quand les servantes eurent lavé lecadavre et l'eurent frotté d'huile, elles jetèrent autour de lui un beau linceul et une tunique, et Achille même lesouleva et le plaça sur le lit ; puis ses compagnons le placèrent sur le chariot bien poli.
Alors il gémit, et il appelason compagnon : « Patrocle, ne te fâche pas contre moi, si tu apprends, quoi que tu sois dans l'Hadès, que j'ai.
»
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