Chant XV (15) de l'Iliade d'Homère (commentaire)
Publié le 19/03/2011
Extrait du document
Il n'y a pas de solution de continuité réelle entre le XIVe chant et le XVe. La disparition d'Hector permet aux Achéens de repousser l'ennemi jusqu'au fossé, qu'il repasse en désordre. Mais à ce moment Zeus se réveille. Le réveil de Zeus. (1-46). Quand ils furent arrivés aux pieux et aux fossés, dans leur fuite., beaucoup furent massacrés par le bras des Danaens ; les uns restèrent en place, retenus par leurs chars, pâles de crainte ; mais voici que Zeus s'éveilla, sur les cimes de l'Ida, aux côtés d'Héré au trône d'or. Il se dressa d'un bond, et il vit Troyens et Achéens, les uns en pleine fuite, les autres, les Argiens, pressant l'ennemi par derrière, et parmi eux Messire Poséidon. Il vit Hector gisant dans la plaine, avec ses compagnons autour de lui. Il le vit, l'haleine courte, le cœur défaillant, vomissant le sang, frappé qu'il avait été par un Achéen qui n'était pas des moindres. En le voyant, le Père des hommes et des dieux fut ému de pitié. Il jeta un regard oblique, furieux, vers Héré, et lui tint ce propos : « Ah ! Héré, ta mauvaise ruse, femme intraitable que tu es, a obligé le divin Hector à se retirer du combat et mis en fuite ses soldats. Je ne sais si tu ne seras pas la première à, récolter le fruit de ton vilain complot, et si je ne vais pas te donner le fouet. Tu as donc oublié le jour où tu fus suspendue dans les airs ? A tes deux pieds, j'attachai deux enclumes, et je fis passer autour de tes bras un lien infrangible, une chaîne d'or ; tu restas ainsi suspendue, dans l'air et les nuées. Les dieux se désespéraient sur le haut Olympe ; mais ils ne pouvaient t'approcher et te délivrer ; si j'en attrapais un, je le saisissais et, le jetais à bas du seuil ; et il allait tomber sur la terre, défaillant. Et cela même ne faisait pas oublier à mon cœur la douleur angoissante que j'éprouvais, à cause du divin Héraclès, qu'en séduisant les tempêtes, tu chassas, sous le souffle de Borée, sur la mer sans vendanges ; tu lui voulais du mal et tu l'égaras jusqu'à Cos, l'île bien peuplée. Je le tirai de là, et je le ramenai à Argos, nourricière de bœufs, après cette grande épreuve. Voilà de quoi je veux te faire souvenir, pour que tu renonces à tes tromperies, et que tu voies à quoi te servent l'amour et la coucherie que tu es venue chercher ici, à l'écart des dieux, en me trompant. «
«
Tout le milieu du chant est moins brillant et plus confus.
On y voit d'abord reparaître Nestor, sans que sonintervention soit vraiment préparée, et sans qu'elle soit suivie sérieusement d'effet.
On y voit Zeus intervenir par uncoup de foudre, qui semble une réponse à une invocation de Nestor, et devrait être un présage favorable auxAchéens, mais qui exalte au contraire la confiance des Troyens.
Il faut noter qu'au vers 387 les Achéens, pour sedéfendre, sont montés sur leurs vaisseaux, dont ils tentent d'éloigner l'ennemi en se servant de longues piques.
Or,plus bas, dans le même chant, le progrès des Troyens ne les aura pas encore menés jusque-là.
Ce morceau semble donc un raccord maladroit.
Lorsqu'au vers 390, nous retrouvons Patrocle, qui était demeuré, ons'en souvient, auprès d'Eurypyle pour soigner sa blessure, la conduite de l'action n'est pas plus logique.
Nous avonsdéjà vu combien était suspect le long retard de Patrocle ; la fin de ce retard et le départ de l'écuyer d'Achille sontbien gauchement motivés dans quelques vers où l'emploi d'un terme qui est étranger à la langue homérique, alorsqu'il est des plus courants à l'époque historique, suffirait à dénoter une interpolation.
Dans le développement quisuit, et où la langue prête à des observations analogues, nous sommes fort étonnés de lire que les Troyens nepeuvent pas réussir « à briser les phalanges des Achéens, et à se rapprocher des tentes et des vaisseaux», alorsque quelques vers plus bas, Ajax et Hector s'affrontent près du même navire.
Tous ces indices révèlent lesremaniements et les additions que le combat auprès des vaisseaux a subis dans ce chant, comme dans lesprécédents.
L'épisode le meilleur, dans cet assemblage assez indigeste qui constitue le milieu du chant XV, c'est celui desexploits de Teucer, qui combat d'abord comme archer, puis, quand Zeus a brisé la corde de son arc, comme hoplite.Les deux harangues antithétiques d'Hector et d'Ajax, ne font pas avancer l'action.
Les combats individuels quisuivent ont plus d'intérêt, mais on ne retrouve un morceau vraiment remarquable qu'à partir du vers 593, jusqu'à lafin du chant.
Ce morceau se relie mal à la situation qui nous avait déjà montré les Achéens, au vers 387, luttant,montés sur leurs vaisseaux.
Car, sans que rien ait clairement indiqué auparavant un recul de l'ennemi, les Troyens, àce moment tentent un effort décisif, et c'e st seulement au vers 653 qu'ils arriveront « en vue des vaisseaux 1 ».
Ace moment critique, c'est la vaillance d'Ajax qui protégera ceux-ci contre l'incendie.
ajax défendant les vaisseaux.
(674-697).
Mais Ajax ne consentit pas, en son cœur magnanime, à se tenir là où les autres Achéens avaient reculé.
A grandesenjambées, il parcourait les planchers des navires, et ses mains brandissaient une longue perche marine, bienajustée avec des chevilles, longue de vingt-deux coudées.
Comme un homme expert dans l'art de la voltige, qui,ayant fait choix, entre tous, de quatre chevaux, les harnache, et, de la plaine, les mène vers la grande ville, sur lagrande route, tandis qu'une foule d'hommes et de femmes le contemple ; lui cependant, toujours sûrement, sansperdre pied, saute alternativement de l'un à l'autre, pendant qu'ils volent ; tel Ajax, sur maint plancher desvaisseaux légers, allait et venait, à grands pas, et sa voix montait jusqu'au ciel.
Ses cris terribles, sans relâche,ordonnaient aux Danaens de défendre les vaisseaux et les tentes.
Hector, de son côté, ne restait pas mêlé à lamasse des Troyens bien cuirassés ; mais comme un aigle fauve fond sur une troupe d'oiseaux ailés, qui picorent lelong d'un fleuve, ou grues ou cygnes aux longs cous, tel Hector allait droit contre un navire à la proue sombre, enbondissant.
Zeus le poussait par derrière, de sa main toute puissante, et excitait son armée avec lui.
Le vaisseau qu'attaque Hector est celui de Protésilas, autour duquel se livre une mêlée sanglante.
Hector a réussi àsaisir la poupe, et commande à ses soldats d'apporter des torches.
Ajax, qu'une grêle de traits accable, est lui-même obligé de reculer enfin, tout en continuant à se battre, et en réussissant à écarter les Troyens qui menacentd'incendier le navire.
Ce beau morceau ne se relie pas parfaitement, nous l'avons vu, à ce qui précède.
Il pourrait se rattacher aisémentau récit d'un moment antérieur à celui où nous a mené la première moitié du chant.
On a quelquefois pensé qu'ilpouvait appartenir à la partie la plus ancienne du poème où il aurait eu sa place dans l'intervalle qui séparait lechant XI de la Patroclie, et qui était probablement moins chargé d'événement que ne le sont aujourd'hui les chantsXII-XV, puisque l'auteur de la Colère d'Achille, — s'il a existé une épopée réduite à ce thème, — ignoraitvraisemblablement le mur.
Mais, s'il est aisé de voir que tout ce groupe de chants représente en son ensemble, undéveloppement postérieur, il est au contraire extrêmement difficile d'y retrouver les éléments qui peuvent y avoirété conservés d'un état plus ancien..
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