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Ce que dit Elsa - Aragon - Commentaire

Publié le 07/09/2018

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aragon

Il convient de se souvenir que ce poème a été écrit pendant la Seconde Guerre mondiale\\ sous l'Occupation. Aragon donne ici la parole à son épouse, Eisa Triolet, qui limite à la Résistance à travers la poésie.

Ce que dit Elsa

 

 

Tu me dis que ces vers sont obscurs et peut-être

Qu'ils le sont moins pourtant que je ne l'ai voulu

Sur le bonheur volé fermons notre fenêtre

De peur que le jour n'y pénètre

Et ne voile à jamais la photo qui t'a plu

 

Tu me dis Notre amour s'il inaugure un monde

C'est un monde où l'on aime à parler simplement

Laisse là Lancelot laisse la Table Ronde

Yseut Viviane Esclarmonde

Qui pour miroir avaient un glaive déformant

 

Lis l'amour dans mes yeux et non pas dans les nombres

Ne grise pas ton cœur de leurs philtres anciens

Les ruines à midi ne sont que des décombres

C'est l'heure où nous avons deux ombres

Pour mieux embarrasser l'art des sciomanciens

 

La nuit plus que le jour aurait-elle des charmes

Honte à ceux qu'un ciel pur ne fait pas soupirer

Honte à ceux qu'un enfant tout à coup ne désarme

Honte à ceux qui n'ont pas de larmes

Pour un chant dans la rue une fleur dans les prés

 

Tu me dis laisse un peu l'orchestre des tonnerres

Car par le temps qu'il est il est de pauvres gens

Qui ne pouvant chercher dans les dictionnaires

Aimeraient des mots ordinaires

Qu'ils se puissent tout bas répéter en songeant

 

Si tu veux que je t'aime apporte-moi l'eau pure

A laquelle s'en vont leurs désirs s'étancher

Que ton poème soit le sang de ta coupure

Comme un couvreur sur la toiture

Chante pour les oiseaux qui n'ont où se nicher

 

Que ton poème soit l'espoir qui dit A suivre

Au bas du feuilleton sinistre de nos pas

Que triomphe la voix humaine sur les cuivres

Et donne une raison de vivre

A ceux que tout semblait inviter au trépas

 

Que ton poème soit dans les lieux sans amour

Où l'on trime où l'on saigne où l'on crève de froid

Comme un air murmuré qui rend les pieds moins lourds

Un café noir au point du jour

Un ami rencontré sur le chemin de croix

 

Pour qui chanter vraiment en vaudrait-il la peine

Si ce n'est pas pour ceux dont tu rêves souvent

Et dont le souvenir est comme un bruit de chaînes

La nuit s'éveillant dans tes veines

Et qui parle à ton cœur comme au voilier le vent

 

Tu me dis Si tu veux que je t'aime et je t'aime

Il faut que ce portrait que de moi tu peindras

Ait comme un ver vivant au fond du chrysanthème

Un thème caché dans son thème

Et marie à l'amour le soleil qui viendra

 

 

 

1. Leurs désirs : les désirs des opprimés.

2. S'étancher : s’apaiser en buvant.

3- Le sang de ta coupure : la douleur de voir souffrir les opprimés.

4. Les cuivres : allusion à la musique militaire.

5. Chemin de croix : chemin qui conduit le Christ au supplice.

6. Chrysanthème : fleur traditionnellement associée à la mort.

7. Le soleil qui viendra : l’espoir de la libération.

 

B)L’imaginaire particulier de l’auteur.

_ Comparaisons génératrices d’images et représentatives d’un langage poétique à la fois très simple et

énigmatiques dans certaines formulations.

_ Nombreuse figures de rhétorique

=> appartenance d’Aragon au mouvement surréaliste.

Jeu sur les codes de la résistance.

C)L’amour au service de l’espoir.

_ Elément de l’énonciation: dialogue entre un couple, prosopopée

_ Lexique des sentiments, en particulier de l’amour qui unit le poète à Elsa, associé à l’engagement politique.

=> Grande complicité entre les deux personnages: ils ont un monde bien a eux.

Caractère indissociable de l’engagement politique et poétique au service d’une lutte.

A travers ce poème, Aragon rédige un véritable appel à la Resistance, en s’appuyant sur la dureté des conditions

de l’époque pour enfin l’inciter à se battre, à se révolter en donnant un message d’espoir grâce à son écriture

imaginaire et surréaliste.

Le but de ce recueil, au-delà de ce poème, est de lancer un message de révolte en utilisant l’amour: c’est Elsa qui,

en mettant en avant son amour pour le poète, l’incite à écrire au service de la Resistance.

les intellectuels, des travailleurs manuels. De plus, rénumération «Où l'on trime où l'on saigne où l’on crève de froid » (v. 12) suggère la rudesse du travail. L’emploi d’un terme familier « trime  rend plus explicite la référence au monde ouvrier. l’allusion au « café noir » (v. 14) que l'on boit « au point du jour » suffit à peindre des ouvriers qui quittent l’usine après une nuit de labeur et qui croisent ceux qui se rendent à leur travail. D’autre part, le poète résistant décrit la souffrance d’un peuple en guerre. Le champ lexical de la mon parcourt le poème {« sang », v. 3, « trépas »> v. 10, « crève >», v. 12, « chrysanthème », v. 23) et rappelle la fragilité de l’existence en temps de guerre. La vie est en effet menacée par les combats armés, symbolisés par « les cuivres » (v. 8) de la musique militaire, par les privations qui sont responsables de la faim, de la soif (« apporte-moi Peau pure », v. I) et du froid (« où l'on crève de froid»), mais aussi par ta torture. L’évocation du « bruit des chaînes » (v. 18) qui retentit dans la « nuit » (v. 19) et l’image du « chemin de croix » (v. 15) rappellent les tortures subies par les résistants pendant l’Occupation. Le poète est donc le porte-parole des sans-voix.

aragon

« • Texte 2: Alfred oe VIGNY, « Dernière nuit de travail, du 29 au 30 juin 1834 », Préface de Chatterton {1835) L'auteur explique ici ce que signifie, selon lui, être poète.

Mais il est une aurre sorte de nature, nature plus passionnée, plus pure et plus rare.

Celui qui vient d'elle est inhabile à tout ce qui n'est pas l'œuvre divine, et vient au monde à de rares intervalles, heureu­ sement pour lui, malheureusement pour l'espèce humaine.

[J y vient 5 pour être à charge aux autres, quand il appartient complètement à cette race exquise et puissante qui fut celle des grands hommes ins­ pirés.

-l.:émotion est née avec lui si profonde et si intime qu'elle l'a plongé, dès l'enfance, dans des extases involontaires, dans des rêveries interminables, dans des inventions infinies.

I.:imagination le possède 10 par-dessus tout.

Puissamment construite, son âme retient et juge toute chose avec une large mémoire et un sens1 droit et pénétrant ; mais l'imagination emporte ses facultés vers le ciel aussi irrésistiblement que le ballon enlève la nacelle.

Au moindre choc, elle part ; au plus petit souffle, elle vole et ne cesse d'errer dans l'espace qui n'a pas I5 de routes humaines.

Fuite sublime vers des mondes inconnus, vous devenez l'habitude invincible de son âme ! Dès lors, plus de rappom avec les hommes qui ne soient altérés et rompus sur quelque point.

Sa s e ns ibilité est devenue trop vive : ce qui ne fait qu'ef fleurer les autres le blesse jusqu'au sang; les affections et les tendresses de sa vie sont 2o écrasantes et disproportionnées ; ses enthousiasmes excessifs l'égarent ; ses sympathies sont trop vraies, ceux qu'il plaint souffrent moins que lui, et il se meurt des peines des autres.

Les dégoûts, les froissements et les résistances de la société humaine le jettent dans des abattements profonds, dans de noires indignations, dans des désolations insur- 25 montables, parce qu'il comprend tout trop complètement et trop pro­ fo ndément, et parce que son œil va droit aux causes qu'il déplore ou dédaigne, quand d'autres yeux s'arrêtent à l'effet qu'ils combattenc.

De la sorte, il se tait, s'éloigne, se retourne sur lui-même et s'y renferme comme en un cachot.

Là, dans l'intérieur de sa tête brûlée2, se forme et JQ s'accroît quelque chose de pareil à un volcan.

Le feu couve sourdement et lentement dans ce cratère et laisse échapper ses laves harmonieuses, qui d'elles-mêmes som jetées dans la divine forme des vers, [ ...

] - c'est L E POÈTE.

- 1.

Sens : jugement.

2.

Sa têœ brillée : pa r la flamme de l'inspiration. »

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