Candide (1759) VOLTAIRE - Chapitre III.
Publié le 14/03/2020
Extrait du document
Dans Candide, Voltaire met en scène un héros dont le nom révèle la naïveté et l'inexpérience. Ne connaissant que l'enseignement de son maître Pangloss, philosophe optimiste pour qui « tout est bien », le jeune homme découvre avec étonnement le monde et ses calamités, qu'elles soient naturelles ou humaines. Il apprend ainsi à ses dépens, et douloureusement, que les hommes ne sont pas dirigés par une providence bienveillante et que tout n'est pas « pour le mieux ».
Rien n’était si beau, si leste, si bien ordonné que les deux armées. Les trompettes, les fifres, les hautbois, les tambours, les canons, formaient une harmonie telle qu’il n’y en eut jamais en enfer. Les canons renversèrent 5 d’abord à peu près six mille hommes de chaque côté ; ensuite la mousqueterie ôta du meilleur des mondes environ neuf à dix mille coquins qui en infectaient la surface. La baïonnette fut aussi la raison suffisante de la mort de quelques milliers d’hommes. Le tout pouvait bien se mon-10 ter à une trentaine de mille âmes. Candide, qui tremblait comme un philosophe, se cacha du mieux qu’il put pendant cette boucherie héroïque.
Enfin, tandis que les deux rois faisaient chanter des Te Deum\\ chacun dans son camp, il prit le parti d’aller 15 raisonner ailleurs des effets et des causes. Il passa pardessus des tas de morts et de mourants, et gagna d’abord un village voisin ; il était en cendres : c’était un village abare que les Bulgares avaient brûlé, selon les lois du droit public. Ici, des vieillards criblés de coups regardaient 20 mourir leurs femmes égorgées, qui tenaient leurs enfants à leurs mamelles sanglantes ; là, des filles, éventrées après avoir assouvi les besoins naturels de quelques héros, rendaient les derniers soupirs ; d’autres, à demi brûlées, criaient qu’on achevât de leur donner la mort. Des cer-25 velles étaient répandues sur la terre à côté de bras et de jambes coupés.
Candide s’enfuit au plus vite dans un autre village : il appartenait à des Bulgares et les héros abares l’avaient traité de même.
Chapitre III.
Les images de la destruction et de la violence
Le deuxième paragraphe du texte est consacré à une évocation réaliste de ce qui se passe hors du champ de bataille. C'est ce que montre l'indication des lieux (« village », 1.17) et des gens (« vieillards », « femmes », « enfants », « filles » 1.19-21). L'utilisation des adverbes de lieu (« ici », « là »), le passage énumératif d'un groupe à l'autre (« vieillards », « filles », « d'autres ») attirent l'attention sur la généralisation de l'horreur, elle-même rendue par le champ lexical de la destruction. Les termes qui le composent sont très nombreux, désignant les victimes, les actes, les résultats : « cendres », « brûlé », « criblés », « mourir », « égorgées », « sanglantes », « éventrées », « coupés ».
«
15 raisonner ailleurs des effets et des causes.
Il passa par
dessus des tas de morts et de mourants, et gagna d'abord
un village voisin; il était en cendres: c'était un village
abare que les Bulgares avaient brûlé, selon les lois
du
droit public.
Ici, des vieillards criblés de coups regardaient
20 mourir leurs femmes égorgées, qui tenaient leurs enfants
à leurs mamelles sanglantes ;
là, des filles, éventrées après
avoir assouvi les besoins naturels de quelques héros, ren
daient les derniers soupirs; d'autres, à demi brûlées,
criaient qu'on achevât de leur donner la mort.
Des cer-
25 velles étaient répandues sur la terre à côté de bras et de
jambes coupés.
Candide s'enfuit au plus vite dans un autre village :
il appartenait à des Bulgares et les héros abares l'avaient
traité de même.
Chapitre III.
.
AXES DE LECTURE MÉTHODIQUE
INTRODUCTION
Dans le chapitre Ill, Candide, enrôlé malgré lui par des
recruteurs bulgares, fait l'expérience de
la guerre.
C'est
l'occasion, pour Voltaire,
de présenter deux visions opposées
de cette situation : l'une, très élogieuse, idéalisée et marquée
par l'optimisme de Pangloss, l'autre, réaliste et dénonciatrice.
Leur coexistence révèle des effets
de décalage caractéristi
ques de l'ironie.
Ce procédé joue un rôle essentiel dans la
force de la criüque que Voltaire fait de la guerre.
Compte tenu de ces caractéristiques,
on pourra analyser
méthodiquement
le texte en prenant pour axes d'étude:
-une vision élogieuse de la guerre,
- l'expression des horreurs de
la guerre,
-
la force dénonciatrice de cette double vision.
7.
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