Camus L'étranger La scène du meurtre - Commentaire
Publié le 27/09/2018
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De même, les métaphores développant le thème de l’ « épée de lumière » (l.6), utilisées pour évoquer la brûlure du soleil (la « lame étincelante », l. 34, « le glaive éclatant », l.38), semblent nourries de réminiscences bibliques – l’épée de feu étant généralement liée au châtiment divin : elles participent en ce sens à la tonalité apocalyptique qui s’installe progressivement dans le texte.
Les images apocalyptiques dominent à partir de la ligne 39 : « C’est alors que tout a vacillé. La mer a charrié un souffle épais et ardent. Il m’a semblé que le ciel s’ouvrait sur toute son étendue pour laisser pleuvoir du feu. » Le vacillement de l’univers entier, la personnification des éléments, le thème de la nuée ardente ou de la pluie de feu sont en effet récurrents dans les représentations de l’Apocalypse .
Le meurtre de l’Arabe, dont le récit clôt la première partie de L’Etranger, constitue en effet pour Meursault une véritable rupture avec le monde « d’avant » : « j’ai compris que j’avais détruit l’équilibre du jour, le silence exceptionnel d’une plage où j’avais été heureux » (l. 43) : il met définitivement fin à l’ « innocence » du personnage, à cet accord immédiat, sensuel et spontané avec le monde qui le caractérisait jusqu’alors. C’est ce que laisse entendre la dernière phrase du chapitre : « c’était comme quatre coups brefs que je frappais sur la porte du malheur » (l. 45). En ce sens, le meurtre s’apparente à une sorte de « Chute », au sens biblique du terme : il a perdu le bonheur immanent d’être au monde, et il s’apprête à entrer dans le monde de l’Absurde, dont son procès lui donnera progressivement conscience, avant de le mener à la révolte.
L’acharnement dont il fait preuve, sans raison apparente, sur le « corps inerte » de l’Arabe et qui sera retenu à charge contre lui par le Juge d’Instruction , peut donc s’expliquer comme un geste mêlé de désespoir et de colère ; mais les « quatre coups brefs » qu’il frappe « sur la porte du malheur » s’apparentent aussi aux coups de « brigadier » portés sur le plancher de la scène, au théâtre, juste avant le lever de rideau, pour annoncer le début de la représentation : « c’est là […] que tout a commencé. » dit Meursault. La « comédie » humaine (celle du Procès, avec ses mises en scène théâtrales, ses mensonges et sa mauvaise foi) va pouvoir désormais se jouer.
Conclusion
Guidé par le hasard ou la fatalité, dépossédé de sa volonté par la pression hostile du monde, « étranger » à ses actes et à lui-même, Meursault commet ici un acte dépourvu de signification, profondément « absurde » , dont il échouera à rendre compte devant la Justice. Le texte pose donc en filigrane la question de la responsabilité : si Meursault est indéniablement « coupable » du meurtre de l’Arabe, en est-il pour autant réellement « responsable » ?
Toujours est-il que cet acte est en même temps pour Meursault destructeur et fondateur : il marque la fin d’une certaine forme d’innocence dans son rapport au monde, mais il est en même temps la pierre angulaire de son « éveil » : la seconde partie du roman nous le montrera prenant progressivement conscience, au fil des interrogatoires et du procès, de sa propre « étrangeté », qu’il finira par revendiquer et assumer pleinement, en toute lucidité, face à une société qui ne peut, ni ne veut, l’accepter tel qu’il est.
«
cédé » (l.42) : la formulation, qui suggère un événement purement « mécanique », laisse entendre que le
coup est involontaire.Contrairement à l’acte d’accusation qui sera dressé contre lui lors du procès, le récit souligne enfin que
la rencontre de l’Arabe relève du pur hasard, et en aucun cas d’une quelconque préméditation : « J’ai été un
peu surpris.
Pour moi, c’était une histoire finie et j’étais venu là sans y penser » (l.
15).
La seule motivation
de Meursault est liée à un pur besoin physique de fraîcheur et de quiétude : « j’avais envie de retrouver le
murmure de son eau, envie de fuir le soleil, l’effort et les pleurs de la femme, envie enfin de retrouver
l’ombre et son repos » (l.
10) : l’anaphore du terme « envie » et le rythme ternaire de la phrase renforcent
l’intensité de ce besoin, décrit ici comme une sorte de pulsion irrépressible.
Comme Meursault tentera maladroitement de le faire comprendre lors de son procès, c’est son
hypersensibilité aux éléments naturels - déjà évoquée à de multiples reprises dans le récit, comme lors de
l’enterrement de sa mère, qui seule peut expliquer son acte.
II L’hostilité des éléments
Le soleil joue un rôle déterminant dans la scène.
A la façon d’un leitmotiv lancinant, le terme revient à
11 reprises dans l’ensemble du texte (l.
3, 5,10, 14, 21, 26, 28, 29, 32, 37).
Un double champ lexical lui est
associé, celui de la chaleur, tout d’abord : « toute cette chaleur s’appuyait sur moi » (l.3), « je sentais son
grand souffle chaud sur mon visage » (l.4) « son bleu de chauffe fumait dans la chaleur » (l.14) ; l’air est «
enflammé » (l.20) et une métaphore compare, de façon hyperbolique, l’atmosphère surchauffée du lieu à un
« océan de métal bouillant » (l.
23).
Le second champ lexical est celui de la lumière : on peut ainsi relever,
par exemple, l’évocation du « halo aveuglant de lumière » (l.8) qui dissout les formes et réduit le rocher à
une « masse sombre», ou le petit vapeur à « une tache noire » (l.23) ; la plage est décrite comme « vibrante
de soleil » (l.
25).
La relation qu’entretient à ce moment Meursault avec les éléments est placée sous le signe de la lutte,
du combat, comme le montrent un certain nombre de métaphores guerrières : l’éclat d’un coquillage ou d’un
débris de verre est ainsi évoqué comme une « épée de lumière jaillie du sable » (l.7), le reflet de la lumière
sur le couteau de l’Arabe est assimilé à une « longue lame étincelante qui [l’] atteignait au front » (l.34), à
un « glaive éclatant » ou une « épée brûlante » (l.38).
Souvent personnifiés, comme c’est le cas dès la première phrase avec l’évocation de la mer qui «
haletait de toute [sa] respiration rapide et étouffée », les éléments sont également la plupart du temps sujets
de verbes d’action hostiles, comme on le voit par exemple dans la phrase « toute cette chaleur s’appuyait sur
moi et s’opposait à mon avance » (l.3) ou, à la ligne 25, avec « toute une plage vibrante de soleil se pressait
derrière moi ».
Le lexique du combat, renforcé par l’emploi de l’imparfait à valeur itérative, s’impose donc dans
l’ensemble du récit pour évoquer l’effort de résistance de Meursault à cet environnement menaçant : «
chaque fois que je sentais son grand souffle chaud sur mon visage, je serrais les dents, je fermais les poings
[…], je me tendais tout entier pour triompher du soleil » (l.4-5), « mes mâchoires se crispaient » (l.
7) :
serrer les dents, fermer les poings, crisper les mâchoires : le personnage est tout entier arc-bouté dans son
effort pour résister à la pression hostile des éléments.
Le champ lexical de la souffrance physique accompagne d’ailleurs l’ensemble du récit et ne cesse d’aller.
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