Camus, L'Étranger, 1942 – scène de rencontre avec Marie Cardona
Publié le 18/06/2011
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Intro :
Qq éléments de contexte : Camus, son cycle de l’absurde et son exploration dans différents genres (Le Mythe de Sisyphe, L’Étranger, Caligula). L’absurde comme rapport au monde distancié, problématique : le monde semble vidé de son sens et le personnage de Meursault permet à Camus de donner la mesure de cette perte du sens, de cette perte des repères. Le rapport que le personnage entretient avec le monde extérieur, avec les autres, est sous le signe de l’indifférence ou de la culpabilité latente qui habite le personnage avant même qu’il se rende coupable du crime. Pourtant il est des moments où Meursault semble connaître une sorte de trêve qui lui permet d’accéder sinon au bonheur du moins à une forme d’apaisement et les scènes avec Marie Cardona dans la 1e partie du roman sont en cela révélatrice du bien-être auquel il peut aspirer. La scène étudiée ici est la rencontre entre les deux personnages, au lendemain de l’enterrement, lors d’une baignade à « l’établissement des bains du port «.
«
" pendant que nous nous séchions ", " le soir ", " vers la fin de la séance ", " en sortant ", " quand je me suisréveillé ", " j’ai pensé que c’était dimanche ") comme s’il s’agissait de ne garder la trace que des élémentseux-mêmes, en toute objectivité, sans chercher la réelle exactitude, sans leur conférer d’importanceparticulière.
Seule la fin de l’épisode est marqué précisément : " j’ai dormi jusqu’à dix heures ".
C’est donc unesorte de non événement qui est présenté alors même qu’il constitue un épisode d’apaisement singulier (nousy reviendrons)
- Des personnages qui se connaissent déjà alors que le topos des scènes de rencontre repose sur le coup de foudre et la révélation du caractère extraordinaire du personnage rencontré : Marie est d’emblée nomméepar son prénom et son nom, le lien professionnel qui a uni les personnages (" une ancienne dactylo de monbureau ") et la mention d’un désir ancien et manifestement réciproque (" dont j’avais eu envie à l’époque.
Elleaussi, je crois.
") Ce désir ancien est ici présenté dans un registre de langue familier qui donne à entendre lecaractère prosaïque du désir et écarte toute forme de véritable sentiment (Meursault dira plus tard à Marie,lorsqu’elle lui fait la demande en mariage, que " non ", il ne l’aime pas – ce qu’il éprouve pour elle n’est pas decet ordre-là).
Marie n’est à aucun moment décrite et rien ne permet au lecteur de se la représenter.
Le récit de cette rencontre s’écarte ainsi de ce topos romanesque : rien " d’extraordinaire " dans la scène quepropose Camus.
Pourtant c’est un moment singulier dans le roman parce qu’il permet de proposer une vision dupersonnage qui n’est pas encore dessinée et qui n’apparaît ensuite que par bribes : celui que l’on a vu s’écarter detout un chacun, " étourdi " chez Céleste, mal à l’aise avec les pensionnaires de l’asile qui veillent sa mère, entre icien contact avec cette femme dans un jeu de séduction qui annonce la liaison amoureuse.
2/ Le jeu de séduction
- un jeu qui s’opère par des échanges entre les personnages qui évoluent ensemble comme en témoigne la succession des actions dans l’eau :
o " je l’ai aidée à monter sur une bouée ", " j’étais encore dans l’eau quand elle était déjà à plat ventresur la bouée " : 1 e étape du jeu de séduction, les deux personnages sont encore séparés
o " elle s’est retournée vers moi " : 2 e étape lors de laquelle ce mouvement de Marie vers Meursault est une sorte d’appel, d’invitation
o " je me suis hissé à côté d’elle sur la bouée " : 3 e étape, le rapprochement s’opère qui sera suivi d’un contact appuyé avec la tête de Meursault sur le ventre de Marie
o " elle a plongé et je l’ai suivie.
Je l’ai rattrapée, j’ai passé ma main autour de sa taille et nous avonsnagé ensemble " : 4 e étape, un jeu de poursuite qui se termine par un corps à corps où les deux se fondent en un " ensemble "
Se dessine ainsi une scène de séduction réciproque où tous deux semblent jouer à se poursuivre pour mieuxs’attraper.
- Le contact est mis en scène
o à travers la présence du corps dont le champ lexical est abondant et permet au lecteur de sereprésenter le contact entre les deux personnages : " sein " de Marie (deux occurrences, au singulier,puis au pluriel), " cheveux dans les yeux " (Marie), " ventre " de Marie sur lequel Meursault pose sa" tête ", d’où ses " yeux " voient le ciel, dont sa " nuque " sent le battement ; puis Meursault dit :" j’ai passé ma main autour de sa taille ".
Au cinéma encore on trouve " sa jambe contre la mienne "." sur ", " autour ", " contre " : à mesure que la scène avance, les contacts se multiplient et secomplètent.
o à travers les verbes qui en soulignent la nature : " effleuré ", " posée ", " caressais " (dont l’imparfaitsouligne le caractère duratif), " embrassée " – même maladroit, le geste se fait plus volontaire, plusintense, plus sensuel.
- La légèreté de ce jeu de séduction et le bien-être qu’il procure sont soulignés par l’atmosphère heureuse qui émane du personnage de Marie : " elle riait ", " elle riait toujours ", " elle a encore ri " – à défaut dedescription nous avons une caractéristique du personnage, le rire ; en particulier, avec les deux occurrencesà l’imparfait, le rire est présenté comme durable, permanent, sans fin, ce que renforce encore l’adverbe" toujours " tout en étant aussi répétitif, ce que marque l’occurrence au passé composé et l’adverbe" encore " qui marque la répétition.
Camus joue avec deux valeurs de l’imparfait (durative et itérative) pourplacer le personnage féminin sous le signe de la légèreté et de la joie.
Si c’est Fernandel qu’elle choisit, c’estbien parce qu’il est un acteur exclusivement comique.
Cette scène, malgré son caractère trivial, prosaïque (un jeu entre deux personnages lors d’une baignade), seprésente comme une scène de séduction qui permet d’amorcer une liaison entre les deux personnages.
Loin de la.
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