Brunetière écrit en 1889 dans Questions de critique : « Ce n'est pas un aveu qu'il a fait, c'est une précaution qu'il a prise contre la postérité. Ses Mémoires ne sont pas ceux de l'homme qu'il fut vraiment, ni même celles de l'homme qu'il eût voulu être, c'est tout simplement le roman de ce qu'il a voulu qu'on le crût. » Vous direz dans quelle mesure ce parti pris de lecture vous paraît justifié.
Publié le 26/07/2013
Extrait du document
Dissertation littéraire
Introduction
I. Non pas un « aveu « mais un « roman «
a) L'influence romanesque
b) L'écriture romanesque
c) « Ce n'est pas un aveu «
II. La rupture du contrat de lecture
a) Un lecteur mystifié...
b) Une lecture à corriger
Conclusion
Introduction
La critique littéraire du XIXe siècle, fondée en grande partie sur le
culte du classicisme et une conception moralisatrice de l'œuvre d'art,
propose souvent une lecture réductrice et à contresens des œuvres qu'elle
est censée juger. Ainsi en est-il de Brunetière, jetant le soupçon sur la
sincérité de Rousseau. Déniant à l'œuvre son statut de confession (« ce
n'est pas un aveu «), il prête à son auteur des intentions plus obscures :
élaborer un « roman « en vue de donner à la « postérité « une image
entièrement recomposée pour elle. Nous verrons quelle est la part du
juste dans cette observation et dans quelle mesure elle déplace et fausse
le problème de l'autobiographie.
«
C'est donc à juste titre que Brunetière qualifie Les Confessions de «
roman », même s'il donne semble -t-il au mot le sens très étroit de «
me nsonge ».
De fait, l'œuvre, en apparence du moins, sacrifie aux
procédés romanesques : les anecdotes se succèdent, nous suivons le
héros à G enève, Turin, Paris, Annecy, toujours courant l'aventure.
Les routes et les rues sont aussi des lieux de prédilection, théâtre
des rencontres les plus insolites (cf.
le jeune abbé, très sensible au
charme du personnage qu'il rencontre prêt à dormir sur un banc de la ville
de Lyon, au Livre IV).
Le rythme semble également emprunté à la
tec hnique romanesque : les longs récits alternent avec les brefs épisodes
ou les portraits pittoresques.
L'aventure avec Mme Basile, au Li vre II, est
menée allègrement jusqu'à la scène cruciale, « vive et muette », qui se
déroule dans la chambre de la jeune femme : une main tendue, « deux
baisers brûlants », que le narrateur, concluant l'aventure, résume en «
folie romanesque ».
« Ce n'est p as un aveu »
Faut -il en déduire que l'œuvre « n'est pas un aveu » ? Certes, elle
renferme quelques inexactitudes sur les faits et les dates, excusables par
la rareté des documents ou la défaillance de la mémoire.
La critique ne
paraît cependant pas suffisa mment fondée : Brunetière oublie ce que le
titre de l'ouvrage présuppose.
Si l'on admet par ailleurs que le mot « aveu
» désigne le fait de révéler certains faits plus ou moins faciles à raconter,
et qu'il est donc indissociable d'une reconnaissance de cul pabilité, force
est de constater que les exemples ne manquent pas de ces événements a
priori inavouables et que le fautif avoue : confidences de certains
pe nchants sexuels, ou de traits de lâcheté.
Le jugement de Brunetière, s'il met l'accent sur certaines
caractéri stiques du texte, ses qualités romanesques en particulier, le fait
en réalité bien malgré lui.
Il semble même que son point de vue aille à
l'encontre de la lecture que Rousseau souhaiterait pour son œuvre.
Aussi
rompt -il d'une certaine façon le c ontrat de lecture qui le lie à l'auteur.
II. La rupture du contrat de lecture
Un lecteur mystifié...
Brunetière accorde au lecteur une place essentielle dans le projet
d'écriture de Rousseau, rejoignant en cela le principe autobiographique.
La
définition qu'i l donne de l'œuvre, « une précaution [...] prise pour la
po stérité », ne manque cependant pas d'ambiguïté.
Elle prête certes à
l'auteur des intentions des plus naturelles : écrire pour les siècles à venir
est le but de tout écrivain et Rousseau ne s'en cac he pas.
Cette intention,
naturelle en soi, est pourtant ternie sous la plume de Brunetière par le
terme de « précaution ».
De fait, la suite de la citation le prouve, le
cr itique accuse Rousseau d'être un calculateur qui s'est peint, non tel qu'il
fut, mai s tel « qu'il a voulu qu'on le crût ».
Le point de vue est en partie justifiable.
Ainsi, quand le narrateur
quitte le récit pour s'adresser au lecteur, c'est souvent pour prévenir un
éventuel jugement.
À la fin du Livre I, après avoir raconté sa triste
exp érience de l'apprentissage, il conclut : « on verra plus d'une fois dans
la suite les bizarres effets de cette disposition si misanthrope et si sombre.
»
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