Bouvard et Pécuchet (Flaubert) - l'astronomie
Publié le 20/05/2024
Extrait du document
«
Colle Bouvard et Pécuchet
Pécuchet continua :
– La vitesse de la lumière est de quatre-vingt mille lieues dans une seconde.
Un rayon de la Voie lactée met six siècles à nous parvenir – si bien qu’une étoile,
quand on l’observe, peut avoir disparu.
Plusieurs sont intermittentes, d’autres ne
reviennent jamais ; – et elles changent de position ; tout s’agite, tout passe.
– Cependant, le Soleil est immobile ?
– On le croyait autrefois.
Mais les savants aujourd’hui, annoncent qu’il se
précipite vers la constellation d’Hercule !
Cela dérangeait les idées de Bouvard – et après une minute de réflexion :
– La science est faite, suivant les données fournies par un coin de l’étendue.
Peut-être ne convient-elle pas à tout le reste qu’on ignore, qui est beaucoup plus
grand, et qu’on ne peut découvrir.
Ils parlaient ainsi, debout sur le vigneau, à la lueur des astres – et leurs
discours étaient coupés par de longs silences.
Enfin ils se demandèrent s’il y avait des hommes dans les étoiles.
Pourquoi
pas ? Et comme la création est harmonique, les habitants de Sirius devaient être
démesurés, ceux de Mars d’une taille moyenne, ceux de Vénus très petits.
À
moins que ce ne soit partout la même chose ? Il existe là-haut des commerçants,
des gendarmes ; on y trafique, on s’y bat, on y détrône des rois ! …
Quelques étoiles filantes glissèrent tout à coup, décrivant sur le ciel comme la
parabole d’une monstrueuse fusée.
– Tiens ! dit Bouvard voilà des mondes qui disparaissent.
Pécuchet reprit :
– Si le nôtre, à son tour, faisait la cabriole, les citoyens des étoiles ne seraient
pas plus émus que nous ne le sommes maintenant ! De pareilles idées vous
renfoncent l’orgueil.
– Quel est le but de tout cela ?
– Peut-être qu’il n’y a pas de but ?
– Cependant ! et Pécuchet répéta deux ou trois fois cependant sans trouver
rien de plus à dire.
Introduction :
Le 6 avril 1881, dans Le Gaulois, Maupassant écrit à propos de Bouvard
et Pécuchet : « J’y revois l’antique fable de Sisyphe : ce sont deux
Sisyphes modernes et bourgeois qui tentent sans cesse l’escalade de cette
montagne de la science, en poussant devant eux cette pierre de la
compréhension qui sans cesse roule et retombe.
»
Ce roman, dont Flaubert débute la rédaction en août 1874, est un
ouvrage non achevé, publié à titre posthume par sa nièce Caroline
Commanville et l'écrivain Guy de Maupassant en 1881.
Composé de 10
chapitres, il devait être accompagné d’un second volume dans lequel
devait se trouver une autre production de Flaubert : le Dictionnaire des
Idées reçues, catalogue satirique de clichés, de préjugés et de lieux
communs sur la société française de son temps, lui-même inachevé mais
tout de même intégré à la suite du récit principal.
Ce dernier raconte
l’histoire de deux copistes parisiens du 19e siècle à la retraite, réunis par
leur ambition commune de se retirer à la campagne afin d’entreprendre
une série d’expériences visant à embrasser l’ensemble des connaissances
humaines (scientifiques, politiques, artistiques, et bien d’autres).
Cependant, c’est par les mauvais, voire catastrophiques résultats de ces
expériences (qui condamnent les deux hommes à l’échec) que Flaubert
semble dépeindre ici une illustration de la bêtise humaine face aux savoirs
de son époque.
L’extrait, écrit en prose, se situe dans le troisième chapitre du récit,
dédié aux apprentissages de la science : il relate un dialogue entre les
deux personnages principaux.
LECTURE
Dans cet extrait, un narrateur omniscient retrace les réflexions orales que
s’échangent Bouvard et Pécuchet, sous un ciel étoilé de Normandie, dont
le sujet tourne autour d’un des nombreux savoirs auxquels ils décident de
s’intéresser : l’astronomie.
Ici, Flaubert insère diverses notions scientifiques établies qui témoignent
d’une certaine volonté de réalisme dans le récit.
En effet, il a effectué de
nombreuses recherches afin de mener à bien son œuvre, puisque dans
une correspondance, il affirme avoir lu et annoté environ 1500 livres lui
ayant permis l’intégration abondante de faits scientifiques, ou plus
généralement techniques.
3 mouvements :
1.
« Pécuchet continua tout le reste qu’on ignore, qui est beaucoup
plus grand, et qu’on ne peut découvrir.
» : dialogue au discours
direct entre B&P
2.
« Ils parlaient ainsi on y détrône des rois ! … » retour à la ligne,
passage au discours indirect par le narrateur
3.
« Quelques étoiles filantes glissèrent tout à coup fin » retour à la
ligne, action soudaine, au premier plan, signalée par le passé simple
« glissèrent » + « tout à coup », puis retour au discours direct.
Les réflexions des deux personnages, malgré leur connaissance de ces
notions scientifiques, sont parsemées de doutes et d’incertitudes.
Lors de
leurs échanges, leurs idées s’opposent les unes aux autres, et ne sont
pourtant pas le fruit de leur travail, ou de leurs expériences : en effet, ce
sont bien celles des savants et intellectuels de leur temps, et donc de celui
de Flaubert.
Ainsi, nous ferons une analyse des procédés par lesquels Flaubert
réussit à réaliser une véritable démonstration implicite d’une critique de la
science, en l’énoncant, ironiquement, par le discours de deux personnages
la respectant religieusement, la représentant ainsi comme un ensemble de
croyances inconstantes qui tentent de répondre à une multitude
d’interrogations dont la réponse dépasserait le champ de compréhension
de l’homme.
Mise en évidence d’un aspect comique lié au comportement de B&P, et
d’autre part d’une dimension plutôt philosophique, en révélant une critique
des savoirs issus des contemporains de son temps, qui seraient alors un
ensemble de croyances inconstantes menant à une multitude
d’interrogations qui dépasseraient le champ de compréhension de
l’homme.
1er mouvement :
1.
Est une scène, actions et paroles relatées selon une temporalité
analogue, souligne l’importance de dialogue
2.
1ere phrase, entrée avec énonciation au discours direct de
références scientifiques :
a.
Vitesse de la lumière, puisque 1 lieue étant égale à env 4800m,
cela équivaut à la vitesse encore établie de nos jours de 300
000km/s.
b.
Voie lactée, également réelle
c.
Constellation d’Hercule
P semble faire une véritable démonstration scientifique : ainsi, F
met non seulement en évidence les connaissances acquises par
Pécuchet, fidèles à celles des savants, mais également la pertinence
des syllogismes qu’il opère : les calculs qu’il réalise sont bons, rien
ne peut lui être reproché ou ne permettrait de souligner une
quelconque erreur de sa part.
3.
Cependant, incertitude de son interlocuteur, Bouvard, comme le
montre l’adverbe « cependant » (met en évidence opposition avec
l’énonciation précédente)
4.
On ne sait pas si c’est Pécuchet qui est flou dans sa réflexion, ou la
science elle-même : « plusieurs », « d’autres », « tout s’agite, tout
passe » : termes peu scientifiques, par le manque de rigueur qu’ils
mettent en évidence.
Flou souhaité par Flaubert ? permet d’affirmer une incertitude
quant à la connaissance de l’univers
5.
B&P ne sont pas la source du savoir qu’ils énoncent : « Mais les
savants aujourd’hui, annoncent… »
En apparence, cela les décrédibilise, en leur donnant une apparence
de suiveurs, d’hommes qui ne font que répéter ce qu’ils lisent, ce
qui a un but ironique.
Mais il ne peut être reproché à ces hommes
de croire en des choses tant établies, renommées et affirmées par
des gens dominants dans la sphère des idées du 19e siècle.
En réalité, ce sont des outils pour la démonstration de Flaubert, qui
tend à mettre en évidence des incohérences de savoirs dont B&P ne
sont que les porte-parole : thèses réfutées les unes par les autres,
soulignent inconstance du savoir dans le temps
Littéralement dans les verbes : passage d’un imparfait « croyait »,
avec adverbe « autrefois » au présent « annoncent »
6.
Ainsi, renforcement de l’incertitude, exprimée par Bouvard :
a.
« Cela dérangeait les idées de Bouvard » : souligne un embarras
qui n’est pas le résultat d’une stupidité ou niaiserie ne Bouvard,
mais plutôt un embarras légitime, auquel n’importe qui se pliant
aux lois de la science est indéniablement confronté.
on peut supposer qu’ici, Flaubert se met à la place de Bouvard
lui-même, mettant en avance ses propres doutes quant aux
savoirs scientifiques.
Réplique suivante de Bouvard met en lumière son hypothèse,
ou plus profondément, celle de Flaubert lui-même :
Dans cette réplique majeure, on observe une véritable rupture
avec la science du 19e siècle (prônant la rigueur et la raison).
Ici,
Bouvard suppose que les hommes ne sont pas seuls dans
l’univers par l’expression « tout le reste qu’on ignore ».
Cette
dimension n’a rien de surnaturel, et ne donne pas une dimension
fictionnelle au roman : elle est plutôt philosophique.
En effet,
Bouvard, malgré le soin avec lequel il a mis en œuvre ses
apprentissages, n’en arrive qu’à une seule conclusion : la science
serait trop restrictive, trop peu ouverte à l’univers qu’elle cherche
pourtant inlassablement à comprendre.
Pour F., cette
impossibilité à mettre....
»
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