"Bien placés bien choisis / quelques mots font une poésie" (Queneau)

« message que les vers ne font que porter.

Simples faire-valoir des idées, les ressources poétiques sont alorssecondaires.

Certains poètes refusent cette subordination du vers à l'idée ct affirment le primat de l'esthétismepoétique. [II — Mais la fonction première de la poésie est esthétique] Malherbe ainsi, selon les propos que rapporte son ami Racan, ne prétend pas défendre des idées ou sublimer sessentiments.

Il a conscience de pratiquer « un exercice [...] peu utile au public et à nous [poètes] » (l.

7). En effet, la poésie est pour lui l'art de « placer [les syllabes] si à propos chacune en leur rang » (l.

5). [A. Un jeu sonore] Loin de chercher à diffuser un message, la poésie peut trouver sa raison d'être dans une beauté formelle et d'abordmusicale.

La beauté des vers de « La Nuit de mai » de Musset ne tient-elle pas moins à l'expression explicite de lasouffrance, qu'au déséquilibre entre l'alexandrin, puissant et rassurant, de la Muse et l'octosyllabe, plus fragile, duPoète, déséquilibre accentué par la régularité d'un schéma de rimes croisées dans les paroles de la Muse et un wuirrégulier de rimes dans celles du Poète ? Dès lors, les mots priment sur le sens puisqu'ils sont choisis pour leurssonorités, leur pouvoir suggestif plus que pour leur signification.

Ainsi, Mallarmé, dans son fameux « sonnet en —yx», privilégie cette fonction esthétique et gratuite des mots au détriment du sens.

Nulle justification rationnelle aux rimes « onyx / Phénix » ou « lampadophore / amphore » mais une justification formelle et visuelle : celle de créerune récurrence phonique et une harmonie graphique.

Le message est brouillé quand le signifié l'emporte sur lesignifiant : le lecteur doit alors oublier la logique et sa rationalité cartésienne afin de se laisser bercer par la musiqueproduite par l'« excellent[...] arrangeur[...] de syllabes » (l.

4) qu'est le poète. [B.

Un jeu visuel] La quête d'une beauté visuelle peut aussi guider le poète dans son travail d'agencement des syllabes.

Les mots dessinentalors sur la page un véritable tableau.

Apollinaire a su user du pouvoir figuratif des mots.

Dans ses Calligrammes, publiés en 1918, chaque poème forme un dessin.

Par exemple, Apollinaire trace avec les mots les contours d'un coeur, d'un miroir etd'une couronne pour illustrer le titre de son poème « Coeur Couronne et Miroir ».

De même, dans « Automne malade »,poème du recueil Alcools, la mort de l'automne est montrée, rendue visible par le rétrécissement final du vers.

Telles les ultimes feuilles mortes qui tombent des arbres, les derniers vers du poème sont lentement égrenés avant de totalementdisparaître.

Dans cette perspective, plus que les idées, ce sont les mots dans toute leur matérialité qui importent. [Conclusion partielle] Être poète, c'est donc savoir se servir de façon désintéressée des mots.

Loin d'endosser une fonction discursive et rationnelle, les mots sont triés et choisis pour leur pouvoir de suggestion et d'évocation. [Conclusion] La poésie n'a pas une seule fonction : polyvalente, elle peut et doit servir différentes causes.

Certains y voient la possibilitéde « vivre jusqu'au jour » (v.

45) (Musset), d'autre en font une arme de combat efficace, apte à porter le combat politique età faire résonner un discours engagé.

D'autres enfin privilégient la fonction esthétique de l'écriture poétique.

La force d'unpoème réside sûrement dans l'union de ces différentes vocations.. »