Bien des personnages créés pour et par la littérature, le théâtre ou le cinéma peuvent acquérir la dimension d'un véritable mythe1. Leur nom propre devient même, parfois, un nom commun : un tartuffe, un tarzan, par exemple... A quoi cela est-il dû ? A quoi cela répond-il ? A quelles conditions est-ce possible ?
Publié le 08/03/2011
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Comme toujours, il faut lire et relire le sujet pour en cerner totalement les limites. Il nous présente une constatation puis pose les questions dont les réponses seront le développement de notre dissertation. Avant tout il faut bien préciser le sens de mots aussi équivoques que « mythe « et « type «. Ce sont deux termes-clefs qui permettent de poser clairement les problèmes à développer si on les définit bien au départ. Le « pour « et le « par « sont également très importants ; ils nous indiquent qu'il faut insister sur les sources du mythe et sur la façon dont un personnage devient un mythe.
«
langage : comment exprimer, en un mot, une réalité aussi complexe qu'un trait moral inhérent à l'homme ? Il en estde même quand il s'agit de trait idéal auquel l'homme aspire.
La société se « reconnaît » dans le personnage deTartuffe, elle « rêve » de celui de Tarzan.
« Réalité-défauts » (réalité qui malgré tout peut être sublimée commedans le mythe de Don Juan par exemple) et rêve-perfections ; voici les deux cas où un personnage de totale fictionpeut intervenir dans le langage courant en tant que nom commun.
Le nom propre, en se vulgarisant, devient un outilde la langue nécessaire pour enrichir le vocabulaire.
La foule aspire toujours, plus ou moins consciemment, à transformer l'abstrait en concret, à faire voir et à voir elle-même « l'invisible ».
Elle opère une sorte de réduction dans le personnage, elle le simplifie et en fait un symbole, unepersonnification du type humain qu'il représente.
Le nom propre, désormais, est lié à un contenu sémantique précis :Tartuffe-hypocrite, Don Juan-libertin, mais aussi Gargantua-gros mangeur, Tartarin-fanfaron...
(on pourrait multiplierainsi indéfiniment les exemples).
En simplifiant ainsi à l'extrême, la foule occulte obligatoirement mais inconsciemmentles traits mineurs mais néanmoins importants du personnage.
Dans ce cas « simplicité » serait-elle synonyme depauvreté (dans cette représentation allégorique de tel ou tel trait humain)?
Par exemple, Tarzan, d'abord issu des romans d'Edgar Rice Burrough, puis de plus de quarante films, apparaît commel'un des plus puissants mythes collectifs du XXe siècle.
Pourtant ce personnage semble assez inconsistant, mais ilreprésente en fait l'un des rêves les plus tenaces de l'humanité : vivre en harmonie avec la nature, triompher decelle-ci et prouver que le sens de la justice...
est inhérent à l'homme.
Cette préoccupation, déjà développée chezJ.-J.
Rousseau en tant que théorie, réapparaît dans le personnage de Tarzan, image d'un rêve, qui puise ses racinesautant dans le savoir que dans l'inconscient.
C'est pourquoi le mythe résulte d'un personnage qui parfois doit « mûrir » dans l'esprit de son public.
Don Juan, parexemple, conquiert son image de mythe avec le romantisme, deux cents ans après la création du personnage qui aeu le temps ainsi de s'enrichir d'une myriade de connotations culturelles.
Au XVIIe siècle, Le Trompeur de Séville etL'Invité de pierre, illustrent une réalité morale, celle de la cour d'Espagne, très religieuse; il est toujours temps de serepentir, pensa Don Juan.
Molière réadapte la pièce de théâtre de Tirso de Molina à son propre siècle, Don Juandevient « libertin et athée profanateur, véritable grand seigneur malfaisant et hypocrite » (selon Pierluigi Locchi).Molière, à travers ses comédies, ne cherche-t-il pas à dénoncer l'hypocrisie et l'orgueil des gens de son époque ?Enfin, le sens du péché chez le Don Juan de Mozart a presque totalement disparu, le personnage y lance un défi à lamort inéluctable.
Donc le XIXe siècle, en fait, a découvert en Don Juan la dimension mythique qu'il possédait déjàchez Molière, mais c'est à ce moment précis que les circonstances économiques, politiques, sociales, religieuses etculturelles favorisent l'éclosion du mythe donjuanesque (vers les années 1840).
En effet, le mythe « révèle » toujours les préoccupations profondes d'une société un peu comme une photographie ;il fait voir, il incarne.
Substitut du rêve, le mythe sert de refuge, mais, illustrateur de la réalité, il la dénonce.
Lagrande vogue de Tarzan apparaît au moment où la société industrielle est en pleine expansion, donc, au moment oùl'on recherche de plus en plus la nature.
En outre, cette société de consommation collabore au mythe de Tarzan,elle l'entretient grâce aux mass média ; la plupart des gens regardent beaucoup plus facilement la télévision qu'ils nelisent, et cette facilité d'évasion vers le « non-réel » appuie encore davantage le mythe de Tarzan.
Contrairement à ces films d'aventure et de vie quasi sauvage, les romans de Flaubert dépeignent une réalité socialede son temps.
Madame Bovary nous présente une jeune femme « victime des illusions qu'elle nourrit sur elle-mêmeet des aspirations qui ne s'accordent nullement avec une situation de petite bourgeoise », écrit un critique.
Lecourant réaliste a désormais conservé le nom de ce personnage de Flaubert dans un substantif dérivé de celui-ci, lebovarysme.
« A travers la destinée socialement misérable d'Emma Bovary, Flaubert veut montrer que la valeur del'homme réside dans la vie de ses images, qui sont des œuvres d'art en puissance », dit M.
Zeffara ; c'est l'hommeen proie à ses illusions, mais c'est aussi l'homme qui peut se concevoir autre qu'il n'est et mépriser toutes lesconventions sociales.
Donc, à travers cette conception de l'humanité que nous propose Flaubert, on passe d'un casindividuel, celui d'Emma Bovary, à un cas universel, à un type d'humanité doublé d'une réflexion sur la conception decette humanité.
En créant un personnage, l'écrivain, le dramaturge ou le scénariste nous livre sa vision de l'homme et du monde, quiparfois trouve un écho dans la conscience collective.
Elle s'approprie alors le nom du personnage qui matérialise ainsila pensée de son créateur et qui, en touchant son affectivité et sa réalité quotidienne, devient symbolisation d'untype de vie, au-delà du simple trait humain.
Le personnage échappe à son créateur et entre dans la culturepopulaire.
Don Juan en est un exemple frappant : sans cesse remodelé, dès son origine, c'est un personnage mytheen puissance.
N'est-ce pas là une des fonctions de l'œuvre d'art en général que de donner à la foule un miroir du monde et deshommes en l'obligeant à s'y réfléchir ?.
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