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BELLAY (Joachim du)

Publié le 16/02/2019

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BELLAY (Joachim du), poète français (château de la Turmelière, paroisse de Lire, 1522-Paris 1560). Considérée dans son ensemble, l'œuvre de Du Bellay s'inscrit dans plusieurs types de « logiques ». Celle, d'abord, qui correspond au principal mouvement historique qui la sous-tend : l'humanisme, et, singulièrement, l'humanisme littéraire de la Pléiade. Une logique biographique ensuite (déterminante surtout à partir du départ de Joachim pour Rome, en 1553), susceptible de rendre compte de la thématique propre à certains recueils (les Regrets et les Antiquités de Rome en particulier). Une logique, en troisième lieu, relative à l'état de la conjoncture littéraire aux différentes périodes de la vie du poète : ce n'est pas un hasard si la thématique pétrarquiste et le style tendu de l'Olive coïncident chronologiquement avec la publication de la Défense, tandis que le lyrisme familier des Jeux rustiques n'apparaît qu'après la victoire définitive des thèses contenues dans le manifeste de 1549. L'œuvre de Du Bellay ressortit enfin à un dernier type de logique, qui est sans doute le plus profondément déterminant, et, en tout cas, le plus significatif au regard de la lecture que nous pouvons faire aujourd'hui de cette œuvre : une logique symbolique, au sens à la fois subjectif (psychologique et psychanalytique) et objectif (littéraire et scriptural) du terme et qui apparaît dominée par une « figure » majeure, autour de laquelle se constitue sa cohérence, celle du manque et de la négativité.
 
Considérés tant du point de vue de l'inspiration humaniste que de celui de la « logique » conjoncturelle (et
 
également, si l'on met à part la Défense, de leur structure symbolique), les trois volets du triptyque publié par le jeune Joachim (encore élève, à cette date, du collège de Coqueret) au début de 1549 — la Défense, l'Olive, les Vers lyriques — forment un ensemble remarquablement cohérent. Tandis que la Défense (qui n’était rien d’autre, primiti vement, que la préface à l'ensemble du recueil) fixait le programme de la jeune école (dont le noyau était alors la petite équipe de la « Brigade »), l'Olive et les Vers lyriques apportaient une première illustration de ce programme dans deux, des principaux genres poétiques préconisés par la Défense : l'ode et le sonnet.
 
Nul n'ignore le rôle décisif que joua, à une époque où la langue des doctes était encore le latin, la publication de la Défense et Illustration de la langue française dans la promotion du parler national comme langue de culture, et singulièrement comme langue littéraire. Nul n'ignore non plus ce que ce manifeste, parallèlement aux œuvres qui en furent le complément et l’illustration, inaugure dans l’histoire de notre littérature : l'abandon, spécialement dans le domaine de la poésie et du théâtre, de la tradition médiévale, et l'avènement d'une littérature imitée des grands (et des moins grands) textes de l'Antiquité gréco-latine — autrement dit d'un « classicisme » dont l'hégémonie (à travers des avatars divers) ne devait pas durer moins de deux siècles et demi. Ce que l'on a peut-être moins nettement observé, c'est que, par un trait qui, aujourd'hui, nous concerne plus directe ment que les précédents, la Défense apparaît comme l'un des textes où s'inaugure avec le plus d’éclat notre modernité littéraire. Elle marque en effet la première en date des grandes ruptures d'avec la tradition, qui, dès lors, ne devaient cesser de scander le rythme de l'évolution de la littérature et de coïncider avec l'avènement de presque chaque nouveau courant ou école littéraire. Depuis la Pléiade et son manifeste, en effet, l'histoire littéraire française (si l'on excepte le long répit du classicisme) s'accomplit — et surtout, ce qui sans doute importe davantage, se vit imagi-nairement — sous le signe de la discontinuité. À cette rupture d'avec la tradition vernaculaire doublée d'une ouverture sur des littératures étrangères (gréco-latine et italienne), la Défense donnait pour fondement des considérations sur les langues dont la modernité, cette fois encore, est frappante. La pierre angulaire de la doctrine exposée par la Défense est en effet la dissociation stricte des notions de langue et de littérature (autrement dit d'usage littéraire de la langue) : anticipant sur les enseignements de la linguistique moderne, la Défense posait que toutes les langues se valent, qu'elles ont toutes les mêmes potentialités culturelles et littéraires ; que, partant, la langue française n'était, dans sa structure fondamentale, nullement inférieure aux langues grecque et latine. C'était, en somme, sur la base d'une dissociation singulièrement audacieuse pour l'époque, définir la langue comme une structure formelle indépendante en elle-même des différents usages qui peuvent en être faits, mais aussi, par là même, susceptible de tous les investissements culturels imaginables. Dissocier la langue de la culture dont elle est le support, cette simple opération intellectuelle, anodine en apparence, recelait en fait un formidable pouvoir de libération : identifier langue et culture, c'était en effet, dans la conjoncture de l'époque, ôter à la langue française toute chance de devenir jamais le support d'une culture et d'une littérature équivalentes à celles de l'Antiquité ; les dissocier, c'était au contraire lui permettre d'exploiter toutes ses virtualités.
 
Du programme affiché par la Défense, le recueil de l'Olive fournissait une illustration en tous points exemplaire. Ce canzoniere, inspiré de l'anthologie composée principalement de poèmes appartenant à la tradition pétrarquiste et publiée en 1545-1547 par l'éditeur vénitien Giolito, n'illustrait pas seulement la doctrine de l'imitation (celle des Italiens en l'occurrence) ; il se voulait surtout, à travers cette imitation même, travail d'écriture, essai poétique de la
 
plus haute volée. L'élément biographique y est très secondaire, peut-être même inexistant ; il n'en est pas de même, en revanche, de l'élément spirituel : c'est à une double ascèse, à la double quête d'une perfection à la fois littéraire et amoureuse, poétique et mystique, qu'on assiste dans l'Olive. Un triple désir s'y inscrit : désir de poésie, désir de gloire, désir d’amour, « autant d'avatars d'un même phantasme qui est désir de perfection, ressenti comme besoin incoercible d'un manque à combler » (F. Rigolot). C'est dans ce manque — un manque que le travail de l'écriture ne vise pas, semble-t-il, à combler, mais bien plutôt à creuser, béance définitive au cœur du texte — que se manifeste l'originalité de la quête de Du Bellay. C'est aussi dans ce qui constitue le principal instrument poétique de cette quête : l’exploration méthodique, inlassable, des potentialités connotatives, sémantiques, symboliques, du nom d'Olive. Olive : nom de la femme imaginairement aimée, de l'objet improbable dont le Désir, vers après vers, poème après poème, construit spéculairement l'image. Mais aussi, à travers l'association Olive/olivier (homologue de l'association pétrarquiste Laure/laurier, allusion à Minerve, déesse de la Sagesse, dont l'olivier est l'emblème (comme le laurier est celui d'Apollon), et, à travers elle, à cet idéal de poésie savante dont l'Olive, précisément, se veut l'illustration. Encore ne s'agit-il là que du dévoilement superficiel de chaînes connotatives inscrites dans une intertextualité préexistante. Plus représentatifs de l'investigation poétique originale effectuée dans le recueil (parce que s'y décryptent des significations inédites, imprévisibles) sont les réseaux anagrammatiques qui s'y construisent à partir du nom d'Olive (transformé en ceux de viol, de voile ou de vol} et en effectuent l'exploration onomastique. Exploration dont l'objet se confond avec le travail scriptural et lui est entièrement immanent.
 
Le troisième volet du triptyque de 1549, les Vers lyriques, illustrait lui aussi la poétique nouvelle dans un genre où, cette fois encore, Joachim devançait

bellay

« doute importe davantage, se vit imagi­ naire�ent- sous le signe de la disconti­ nuité.

A cette rupture d'avec la tradition vernaculaire doublée d'une ouverture sur des littératures étrangères (gréco· latine et italienne), la Défense donnait pour fondement des considérations sur les langues dont la modernité, cette fois encore, est frappante.

La pierre angu­ laire de la doctrine exposée par la Défense est en effet la dissociation stricte des notions de langue et de littérature (autrement dit d'usage litté­ raire de la langue) anticipant sur les enseignements de la linguistique mo­ derne, la Défense posait que toutes les langues se valent, qu'elles ont toutes les mêmes potentialités culturelles et litté· raires ; que, partant, la langue française n'était, dans sa structure fondamentale, nullement inférieure aux langues grec­ que et latine.

C'était, en somme, sur la base d'une dissociation singulièrement audacieuse pour l'époque, définir la lan ­ gue comme une structure formelle indé­ pendante en elle-même des différents usages qui peuvent en être faits, mais aussi, par là même, susceptible de tous les investissements culturels imagina­ bles.

Dissocier la langue de la culture dont elle est le support, cette simple opération intellectuelle, anodine en apparence, recelait en fait un formidable pouvoir de libération : identifier langue et culture, c'était en effet, dans la conjoncture de l'époque, ôter à la langue française toute chance de devenir jamais le support d'une culture et d'une littéra­ ture équivalentes à celles de l'Antiquité ; les dissocier, c'était au contraire lui permettre d'exploiter toutes ses virtua ­ lités.

Du programme affiché par la Défense, le recueil de l'Olive fournissait une illustration en tous points exemplaire.

Ce canzoniere, inspiré de l'anthologie composée principalement de poèmes appartenant à la tradition pétrarquiste et publiée en 1545·1547 par l'éditeur vénitien Giolito, n'illustrait pas seule· ment la doctrine de l'imitation (celle des Italiens en l'occurrence) ; il se voulait surtout, à travers cette imitation même, travail d'écriture, essai poétique de la plus haute volée.

L'élément biographique y est très secondaire, peut-être méme inexistant; il n'en est pas de même, en revanche, de l'élément spirituel : c'est à une double ascèse, à la double quête d'une perfection à la fois littéraire et amoureuse, poétique et mystique, qu'on assiste dans l'Olive.

Un triple désir s'y inscrit : désir de poésie, désir de gloire, désir d'amour, «autant d'avatars d'un même phantasme qui est désir de perfec· tion, ressenti comme besoin incoercible d'un manque à combler » (F.

Rigolot).

C'est dans ce manque -un manque que le travail de l'écriture ne vise pas, semble-t-il.

à combler, mais bien plutôt à creuser, béance définitive au cœur du texte -que se manifeste l'originalité de la quête de Du Bellay.

C'est aussi dans ce qui constitue le principal instrument poétique de cette quête : l'exploration méthodique, inlassable, des potentialités connotatives, sémantiques, symboli­ ques, du nom d'Olive.

Olive : nom de la femme i.maginairement aimée, de l'objet improbable dont le Désir, vers après vers, poème après poème, construit spéculairement l'image.

Mais aussi, à travers l'association Olive/olivier (homologue de l'association pétrarquiste Laure/laurier, allusion à Minerve, déesse de la Sagesse, dont l'olivier est l'emblème (comme le lawier est celui d'Apollon), et, à travers elle, à cet idéal de poésie savante dont l'Olive, précisé­ ment, se veut l'illustration.

Encore ne s'agit-il là que du dévoilement superficiel de chaînes connotatives inscrites dans une intertextualité préexistante.

Plus représentatifs de l'investigation poétique originale effectuée dans Je recueil (parce que s'y décryptent des significations inédites, imprévisibles) sont les réseaux an agramm atiques qui s'y construisent à partir du nom d'Olive (transformé en ceux de viol, de voile ou de vol) et en effectuent 1 'exploration onomastique.

Exploration dont l'objet se confond avec le travail scriptural et lui est entièrement immanent.

Le troisième volet du triptyque de 1549, les Vers lyriques, illustrait lui aussi la poétique nouvelle dans un genre où, cette fois encore, Joachim devançait. »

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