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Baudelaire, Les Fleurs du Mal, Tableaux Parisiens, Le Crépuscule du Soir, CX.

Publié le 09/02/2011

Extrait du document

baudelaire

La servante au grand cœur dont vous étiez jalouse Et qui dort son sommeil sous une humble pelouse, Nous devrions pourtant lui porter quelques fleurs. Les morts, les pauvres morts, ont de grandes douleurs; Et quand Octobre souffle, émondeur des vieux arbres, Son vent mélancolique à l'entour de leurs marbres, Certe, ils doivent trouver les vivants bien ingrats De dormir, comme ils font, chaudement dans leurs draps, Tandis que, dévorés de noires songeries, Sans compagnon de lit, sans bonnes causeries, Vieux squelettes gelés travaillés par le ver, Ils sentent s'égoutter les neiges de l'hiver Et le siècle couler, sans qu'amis ni famille Remplacent les lambeaux qui pendent à leur grille. Lorsque la bûche siffle et chante, si le soir, Calme, dans le fauteuil je la voyais s'asseoir, Si, par une nuit bleue et froide de décembre, Je la trouvais tapie en un coin de ma chambre, Grave, et venant du fond de son lit éternel Couver l'enfant grandi de son œil maternel, Que pourrais-je répondre à cette âme pieuse,

Voyant tomber des pleurs de sa paupière creuse?

"Plus sinistres que les cimetières du Moyen âge sont les nécropoles modernes, closes de murs, silencieuses, séparées, toutes leurs portes fermées la nuit... La mort, en des heures comme celle-ci, semble à Baudelaire une continuation, une aggravation peut-être, des servitudes d'ici-bas... C'est la suprême, l'incurable maladie. Et qui sait si, de cette ultime affliction, le corps, ou ce qu'il en reste, ne garde pas une conscience horrible, en même temps qu'il ne cesse point de pâtir, dans la tombe, de la rigueur du climat?... Baudelaire, tout à coup, redevient le petit Charles, il songe à Mariette. Il croit la voir tapie... et qui pleure" (F. Porché, Baudelaire, Histoire d'une âme).

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« périodique du style : chacune des trois parties que nous avons distinguées ne comprend qu'une phrase.

On songeaux idées exposées dans la Genèse d'un Poème : « S'il est une chose évidente, c'est qu'un plan quelconque, dignedu nom de plan, doit avoir été soigneusement élaboré en vue du dénouement...

C'est en ayant sans cesse la penséedu dénouement devant les yeux, que nous pouvons donner à un plan son indispensable physionomie de logique et decausalité, en faisant que tous les incidents et particulièrement le ton général, tendent vers le développement del'intention.

» III.

— Baudelaire représentant de la poésie intime. La poésie intime, par opposition à la poésie descriptive, décrit les sentiments les plus intérieurs de l'âme en mêmetemps que les plus secrets, « ceux qu'on ne peut livrer que dans une confidence discrète et voilée » (Bénac, LeVocabulaire de la Dissertation). On se référera aussi à la Préface des Odes (1822) de Hugo : « Le domaine de la poésie est illimité.

Sous le monderéel, il existe un monde idéal, qui se montre resplendissant à l'œil de ceux que des méditations graves ontaccoutumés à voir dans les choses plus que les choses.

La poésie est tout ce qu'il y a d'intime dans tout.

» Demême, dans la Préface des Voix Intérieures (i832), Hugo écrit : « Si l'homme a sa voix, si la nature a la sienne, lesévénements ont la leur.

» Continuant la veine intime des Feuilles d'Automne, le poète se montre dans le cadre de samaison, dans l'intimité de son foyer. Or il y a, malgré les apparences, des traits semblables dans notre fragment : 1.

La poésie du foyer : évocation du soir d'hiver (lorsque la bûche siffle et chante), le fauteuil, le coin de lachambre; — évocation de la douceur de la nuit (compagnons de lit, bonnes causeries). 2.

La poésie familière : c'est la vision des êtres chers, faisant partie de la famille.

Baudelaire songe sans doute auxconversations qu'il avait avec sa mère au coin du feu.

La servante se tapit humblement dans un coin, comme si elleavait honte de venir troubler la quiétude des vivants. 3.

La poésie funèbre (une humble pelouse, quelques fleurs, son lit éternel...).

Le poète éprouve une certainedouceur à assimiler les morts aux vivants.

On observera la suprême simplicité du vocabulaire et des attitudes.Baudelaire restitue aux termes les plus simples l'éclat qu'ils ont perdu dans l'usage banal.

IV.

— Le réalisme et le goût du macabre. Grâce à son imagination implacable, Baudelaire nous communique une espèce d'hallucination.

Il veut nous surprendreet nous choquer, nous bouleverser pour provoquer notre inquiétude.

Certes, la poésie du cadavre existe déjà chezVillon (Grand Testament) et même chez Bossuet (Sermon sur la Mort), mais Baudelaire a ajouté, ici aussi, un «frisson nouveau ». 1.

Le tableau extérieur. ...Quand Octobre souffle, émondeur des vieux arbres,Son vent mélancolique à l'entour de leurs marbres... Il y a là plus que le thème romantique dans sa banalité.

L'auteur des Fleurs du Mal a toujours été obsédé parl'approche de l'hiver (cf.

Chant d'automne) : c'est que le paysage extérieur correspond, en lui, à un paysageintérieur, dominé par l'angoissante pensée de la mort.

Cette pensée devient le plus souvent vision, obsession desformes les plus odieuses.

Ici le poète franchit même un pas de plus : la mort n'apparaît plus comme l'unique remèdepossible aux souffrances de la condition humaine, puisque les morts gardent la conscience et la sensibilité desvivants.

L'image est plus saisissante encore par la personnification (Octobre, sans article), tandis qu'émondeurinsiste sur l'activité et renouvelle l'image de la Faucheuse (Victor Hugo). Mais le délabrement des pierres tombales (Remplacent les lambeaux qui pendent à leur grille) témoigne del'ingratitude et de l'oubli des vivants.

Le cimetière évoque un paysage de désolation et d'abandon que le poète voitdans toute sa laideur.

Lambeaux s'oppose violemment à marbres, symbole de la somptuosité avec laquelle lesvivants honorent au début leurs morts pour les oublier ensuite.

Il y a là une suprême ironie. 2.

Les personnages. a) Souffrances physiques. Vieux squelettes gelés, travaillés par le ver,Ils sentent s'égoutter les neiges de l'hiverEt le siècle couler... On songe invinciblement au poème La Charogne, où Baudelaire nous donne l'horrible vision du cadavre endécomposition.

Mais, du moment que les morts ont gardé leur sensibilité, c'est là un lent supplice physique. »

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