Baudelaire : la photographie est une pure et simple technique ... nuisible à tout art digne de ce nom.
Publié le 14/10/2011
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A l'époque où écrit Baudelaire, la photographie, malgré des artistes comme Nadar, n'est encore pour le plus grand nombre qu'un miracle technique, celui de pouvoir reproduire dans sa fidélité la plus exacte le monde qui nous entoure, « la nature «.
«
Comme l'industrie photographique était le refuge de tous les pein
tres manqués,
trop mal doués ou trop paresseux pour achever leurs
études, cet universel engouement portait non seulement le caractère
de
l'aveuglement et de l'imbécillité, mais avait aussi la couleur d'une
vengeance.
Qu'une si stupide conspiration, dans laquelle on trouve,
comme dans toutes les autres, les méchants et les dupes, puisse
réussir
d'une manière absolue, je ne le crois pas, ou du moins je ne
veux pas le croire; mais je suis convaincu que les progrès mal appli
qués de la photographie ont beaucoup contribué, comme d'ailleurs
tous les progrès purement matériels, à l'appauvrissement du génie
artistique français, déjà
si rare.
La Fatuité moderne aura beau rugir,
éructer
tous les borborygmes de sa ronde personnalité, vomir tous les
sophismes indigestes dont une philosophie récente l'a bourrée à
gueule-que-veux-tu,
cela tombe sous le sens que l'industrie faisant
irruption dans l'art, en devient la plus mortelle ennemie, et que la con
fusion des fonctions empêche qu'aucune soit bien remplie.
La poésie
et le progrès sont deux ambitieux qui se haïssent d'une haine instinc
tive, et, quand ils se rencontrent dans le même chemin, il faut que
l'un des deux serve l'autre.
S'il est permis à la photographie de sup
pléer l'art dans quelques-unes de ses fonctions, elle l'aura bientôt
supplanté ou corrompu tout à fait, grâce à l'alliance naturelle qu'elle
trouvera dans la sottise de la multitude.
Il faut donc qu'elle rentre
dans son véritable devoir, qui est
d'être la servante des sciences et
des
arts, mais la très humble servante, comme l'imprimerie et la sté
nographie, qui
n'ont ni créé ni suppléé la littérâture.
Qu'elle enrichisse
rapidement
l'album du voyageur et rende à ses yeux la précision qui
manquerait à
sa mémoire, qu'elle orne la bibliothèque du naturaliste,
exagère les animaux microscopiques, fortifie même de quelques ren
seignements
les · hypothèses de l'astronome; qu'elle soit enfin le
secrétaire et le garde-note de quiconque a besoin dans sa profession
d'une absolue exactitude matérielle, jusque-là rien de mieux.
Qu'elle
sauve de l'oubli les ruines pendantes, les livres, les estampes et les
manuscrits que le temps dévore, les choses précieuses dont la forme
va disparaître et qui demandent une place dans les archives de notre
mémoire, elle sera remerciée et applaudie.
Mais s'il lui est permis
d'empiéter sur le domaine de l'impalpable et de l'imaginaire, sur tout
ce qui ne vaut que parce que l'homme y ajoute de son âme, alors quel
malheur
à nous!
Je sais bien que plusieurs me
diront :.
»
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