BAUDELAIRE: Des vers à la prose
Publié le 07/09/2013
Extrait du document

La prose comme dépassement de la poésie
L'intelligence critique
Bien que la gloire de Baudelaire reste essentiellement attachée
à ses Fleurs du Mal, il est impossible de dissocier son
oeuvre en vers de son oeuvre en prose. Celle-ci se divise en
quatre sections; les Petits Poèmes en prose auxquels Baudelaire
donnera comme titre définitif Le Spleen de Paris, Les
Paradis artificiels, livre inclassable inspiré des Confessions
d'un mangeur d'opium anglais de Thomas De Quincey, les
Journaux intimes et enfin l'oeuvre critique qui elle-même se
subdivise en trois rubriques, la critique littéraire, la critique
musicale et la critique d'art. Tout cela offre à première vue
un ensemble disparate. On y distingue deux pôles, la prose
poétique qui s'inscrit dans le prolongement des Fleurs du Mal
et la prose critique axée sur le commentaire de la production
littéraire, musicale et artistique de son temps.
Pour certains lecteurs de Baudelaire et non des moindres,
sa prose apporterait non seulement un complément à sa poésie,
mais la dépasserait même en originalité, en audace. Hugo
Friedrich, dans le chapitre qu'il a consacré à Baudelaire dans
ses Structures de la poésie moderne, écrit :
«Un aspect fondamental de Baudelaire est sans doute sa
rigueur intellectuelle, la clarté de sa conscience artistique.
Il unit le génie poétique à l'intelligence critique. Ses
réflexions sur le mécanisme de la création poétique se
situent à un niveau aussi élevé que sa poésie elle-même,
la dépassant parfois, comme c'était déjà le cas chez
Novalis. Les perspectives qu'il ouvre ainsi ont exercé sur
les années à venir une influence peut-être plus profonde
que Les Fleurs du Mal proprement dites. Elles sont
réunies dans les recueils critiques Curiosités esthétiques
et L'art romantique (ces deux oeuvres parues à titre
posthume en 1868). Toutes deux comprennent des interprétations,
des programmes fondés sur l'observation des
oeuvres contemporaines non seulement de poésie mais
aussi de peinture et de musique. « 17
Vers l'art total
Telle est également l'opinion du grand poète T.S. Eliot qui,
en 1930, dans une étude destinée à présenter la publication
en anglais des Journaux intimes écrivait :
« La plus grande partie des écrits en prose de Baudelaire
(à l'exception des traductions de Poe, qui ont moins
d'intérêt pour un lecteur anglais) sont aussi importants
que la plupart de ceux de Goethe. Ils projettent certainement
de la lumière sur les Fleurs du Mal, mais aussi
accroissent immensément le jugement de valeur que
nous portons sur leur auteur. «
Et plus loin il précise :
«Les poèmes seuls ne suffisent pas, j'ose dire, à nous
faire appréhender ce qui m'apparaît être le sens et la
signification véritables de l'esprit de Baudelaire.« 18
Cette approche de I'oeuvre tend à renverser les rapports habituels
entre la critique et la création. La critique ne se limiterait
plus à «éclairer« la création, à la commenter, mais elle
en constituerait le prolongement et même le dépassement
vers l'horizon utopique de l'art total. Autrement dit, Baudelaire
aurait été plus novateur dans ses conceptions sur l'art et
la poésie, préfiguration de la future modernité, que dans ses
réalisations achevées.
Une oeuvre en projet
Il est vrai que l'oeuvre de Baudelaire étant constamment en
projet, on est tenté de préférer à ses accomplissements formels
des idées qu'il n'a pas eu le temps, la possibilité concrète
d'appliquer mais qui sont autant d'ouvertures sur l'avenir.
Sa modernité consisterait donc davantage dans cette accélération
de la pensée théorique et dans les potentialités qu'elle
recélait que dans un bilan par trop fragmentaire en regard de
la grandeur de ses ambitions créatrices sans cesse laissées en
suspens.

«
«Un aspect fondamental de Baudelaire est sans doute sa
rigueur intellectuelle, la clarté de sa conscience artisti
que.
Il unit le génie poétique à l'intelligence critique.
Ses
réflexions sur le mécanisme de la création poétique se
situent à un niveau aussi élevé que sa poésie elle-même,
la dépassant parfois, comme c'était déjà le cas chez
Novalis.
Les perspectives qu'il ouvre ainsi ont exercé sur
les années à venir une influence peut-être plus profonde
que Les Fleurs du Mal proprement dites.
Elles sont
réunies dans les recueils critiques Curiosités esthétiques
et L'art romantique (ces deux œuvres parues à titre
posthume en 1868).
Toutes deux comprennent des inter
prétations, des programmes fondés sur l'observation des
œuvres contemporaines non seulement de poésie mais
aussi de peinture
et de musique.
» 17
Vers l'art total
Telle est également l'opinion du grand poète T.S.
Eliot qui,
en 1930, dans une étude destinée à présenter la publication
en anglais des Journaux intimes écrivait :
« La plus grande partie des écrits en prose de Baudelaire (à l'exception des traductions de Poe, qui ont moins d'intérêt pour un lecteur anglais) sont aussi importants
que la plupart de ceux de Goethe.
Ils projettent certai
nement de la lumière sur les Fleurs du Mal, mais aussi
accroissent immensément le jugement de valeur que
nous portons
sur leur auteur.
»
Et plus loin il précise : «Les poèmes seuls ne suffisent pas, j'ose dire, à nous
faire appréhender ce qui
m'apparaît être le sens et la
signification véritables de l'esprit de Baudelaire.» 18
Cette approche de I'œuvre tend à renverser les rapports habi
tuels
entre la critique et la création.
La critique ne se limite
rait
plus à «éclairer» la création, à la commenter, mais elle
en constituerait le prolongement et même le dépassement
vers l'horizon utopique de l'art total.
Autrement dit, Baude
laire aurait été plus novateur dans ses conceptions sur l'art et
la poésie, préfiguration de la future modernité, que dans ses
réalisations achevées..
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